« Comme un Oiseau dans un Bocal » de Lou Lubie (Interroger les étiquettes ou se les réapproprier)

Un petit post de chronique après la lecture de Comme un Oiseau dans un Bocal, la jolie nouvelle bande-dessinée de Lou Lubie aux éditions Delcourt (2023). Le livre aborde les questionnements de ses deux personnages autour de la catégorie diagnostique HPI (Haut Potentiel Intellectuel). L’occasion pour nous de parler étiquette, validisme et réappropriation. Je vous conseille d’ailleurs d’aller voir les posts de @autistequeer_le_docu sur la question de l’emploi du terme d’autiste Asperger. Bonne lecture !

J’ai découvert le travail de la dessinatrice Lou Lubie à travers la bande-dessinée La Fille dans l’Ecran (Marabulles, 2019), qu’elle a co-écrite avec Manon Desveaux et qui m’a beaucoup touchée – les copaines de Deuxième Page en avait publié une chronique à l’époque. J’ai continué à suivre son travail depuis via son Atelier et j’ai enfin eu l’occasion d’acheté son dernier livre, Comme un Oiseau dans un Bocal : Portraits de surdoués (Delcourt, 2023).

La bande-dessinée nous livre la rencontre de Birdo, un oiseau jeune chef d’un restaurant réputé, et de Raya, poisson équipée d’un corps articulé qui travaille comme caissière d’un cinéma. Birdo a été diagnostiqué « surdoué » lorsqu’il était enfant et mène une vie professionnelle et sociale en apparence épanouie. Raya, elle, passe de petit boulot en petit boulot, s’intéresse à tout mais peine à trouver un sentiment de stabilité. Les deux ressentent un profond sentiment de décalage avec les autres. Pourtant, lorsqu’iels se rencontrent lors d’une soirée trop bruyante pour elleux, la connexion se fait instantanément.

Comme un Oiseau dans un bocal retrace dès lors l’évolution de leur relation autour des questionnements de Raya, dont on lui a dit qu’elle était peut-être HPI (Haut Potentiel Intellectuel), mais aussi des mécanismes de sur-compensation de Birdo, dans son effort pour se sur-adapter aux attentes des autres. Le déroulement de l’histoire est donc tout autant didactique et documentée qu’elle explore la complexité des liens inter-personnels de personnes neuroatypiques.

Le livre est touchant et demeure une bonne introduction à son sujet tant on s’attache à ses personnages. Son point fort est de toujours questionner et nuancer l’emploi des termes diagnostiques et des étiquettes qu’il interroge et les raisons pour lesquelles les personnages y entretiennent un rapport conflictuel. Est-ce que se déclarer HPI relèverait d’une forme d’arrogance, ou plutôt d’une volonté d’expliquer aux autres une différence de vécu, ce sentiment de décalage qui habite nos deux personnages ?

Dans les luttes anti-validistes et contre les oppressions psychophobes, on a tendance à se méfier des critères diagnostiques qui proviennent d’une volonté politique de hiérarchiser les êtres humains. En effet, les systèmes validistes (organisation de la société par et pour des corps identifiés comme valides) procède d’une doctrine capacitiste, laquelle discrimine les individu-e-s selon leur capacité ou non à produire un certain type de travail. À l’instar de termes comme « autiste de haut niveau » (ou Asperger, du nom du pédiatre affilié au régime nazi) qui distingue les personnes autistes performantes et « utiles pour la société » des autres, la qualification de Haut Potentiel Intellectuel est sujet à la controverse.

Si le livre retranscrit bien le malaise de Birdo et de Raya quant au fait de considérer les personnes ayant un fonctionnement cérébral particulièrement rapide comme ayant foncièrement plus de valeur, il pointe aussi l’impact des facteurs à la fois génétiques et environnementaux, ces derniers impliquant des structures d’inégalités. Il démonte aussi le stéréotype des « surdoué-e-s génies des mathématiques », en privilégiant une compréhension de profils complexes et divers. Il invite par ailleurs les personnes qui se sentent concernées à se diriger vers des professionnels spécialisés pour contrer tout doute de suivre un « effet de mode ».

Quoi qu’il en soit, l’important est de comprendre que comme toute catégorie, l’outil diagnostique HPI n’a qu’une utilité contextuelle permettant de se réapproprier des expériences de dissonance sociale, intellectuelle et affective dans une perspective positive. Nous vivons dans des modèles de société qui de toute manière nous hiérarchisent et la bande-dessinée pointe bien le fait que les personnes appartenant à de nombreux groupes sociologiques restent de fait majoritairement exclues de la possibilité d’accéder à un test approprié et même de s’y sentir légitime.

D’un point de vue de thérapeute, je dirais que comme pour tout, il ne faut pas aller trop vite. Ce qu’illustre avec beaucoup de douceur Comme un Oiseau dans un Bocal, c’est que le concept de HPI est avec un outil de compréhension et permet d’élaborer un positionnement social plus harmonieux avec ses intérêts et ses besoins. Il a une utilité relative, dans ce qu’il n’a de sens que dans un contexte où nos vies et leur valeur sont évaluées en permanence selon des critères de sélection et de compétition, ce qui influence les relations inter-personnelles. Il permet aussi d’alléger l’emprise d’un sentiment de culpabilité et d’imposture qui souvent s’enracine dès l’enfance.

Je conseille la lecture de cette bd, qu’on se sente concerné-e par la question du HPI ou pas et qu’on soit d’accord avec son emploi ou pas d’ailleurs. L’intérêt du livre est que Lou Lubie ne pose pas l’utilisation de cet outil comme un critère absolu. S’il rend compte d’une certaine disposition cérébrale et d’un champ d’expression varié selon les personnes, il place surtout au cœur de son histoire le parcours de questionnement de ses personnages, l’impact de facteurs discriminants et le sentiment d’ouverture que procure la rencontre de personnes qui nous ressemblent. Tous ces éléments font avant tout de Comme un Oiseau dans un Bocal une histoire touchante à l’univers graphique très doux.