[Décryptage] Une récente campagne de @wfwfrance a mis en avant la notion de contrôle coercitif pour remplacer celle d’emprise souvent employée dans des contextes de violences intra-familiales et conjugales. Cela m’a donné envie de rappeler comment les mêmes mécanismes sont utilisés pour conditionner notre rapport à l’actualité et au politique, affectant directement notre équilibre psychique et émotionnel. Loin de seulement me concentrer ici sur ces seuls mécanismes structurels, j’avais envie d’aborder quelques pistes pour se sortir de la relation toxique et à court-terme à laquelle on nous contraint à la chose politique. L’occasion de nous réapproprier un peu mieux les moyens par lesquels nous devrions pouvoir participer de l’organisation du vivre ensemble en société.
Ressources :
Pierre Bourdieu, « L’essence du néolibéralisme », Le Monde Diplomatique, mars 1998 (archive sur leur site internet)
« Le contrôle coercitif : un concept essentiel dans les violences conjugales », womenforwomenfrance.org , 05/06/2021
À l’époque anxiogène où nous vivons, celle des réseaux sociaux, d’un espace médiatique dominé par les idées d’extrême-droite et des crises à répétition, il peut être difficile de respirer et de prendre du recul. Les personnalités politiques, dans ce contexte, semblent persister à nous provoquer, en disant souvent l’inverse de ce qu’elles s’acharnent à faire contre l’avis général. Et quand la population sort dans la rue pour leur réclamer d’arrêter de nous précariser davantage, la seule réponse qui leur est donnée semble être une répression brutale et univoque.
Pour rappel, le rôle du politique, essentiellement, est d’organiser le partager des ressources nécessaires à une vie digne. Fabriquer et maintenir des structures d’inégalité quant à leur accès est donc un choix politique. Comment de fait arriver à prendre la distance nécessaire pour se préserver tout en restant informé-e et mobilisé-e pour défendre nos droits ? Je vous propose ici certaines pistes qui pourraient être utiles. Tout d’abord, il faut comprendre les stratégies de coercition qui sont à l’œuvre dans le but de nous forcer à une relation toxique avec la chose politique et les personnalités qui la représentent.
Lorsque quelqu’un-e vous agresse, tout votre corps et votre énergie sont mobilisées à répondre et à se défendre contre cette agression. Les stratégies courantes de coercition psychologique et affective consistent dès lors à nous maintenir dans un état de vigilance en alternant provocation et chantage émotionnel à un retour à l’ordre, de sorte qu’on se raccroche spontanément au moindre espace de paix qu’on veuille bien nous laisser.
C’est ce que la journaliste et essayiste canadienne Naomi Klein avait théorisé dans La stratégie du choc (2008) : les structures au pouvoir tendent à instrumentaliser les crises, quelles soient politiques, économiques, liées à une guerre, climatiques ou sanitaires, pour mettre les populations en état de choc émotionnel et leur faire accepter un recul des droits et des libertés en échange d’un retour à un ordre sous conditions.
À partir de là, le rôle des personnalités politiques telles que celle du président de la République, notamment dans l’espace médiatique, est en fait de catalyser les colères et les frustrations. Parce que tant qu’on est occupé-e-s à réagir à court-terme aux provocations et aux attaques sur nos droits fondamentaux, on perd la capacité de se projeter et de se mobiliser à moyen et long-terme pour proposer de nouveaux modèles de société. On est saisi-e-s dans l’urgence du moment, une crise chassant l’autre.
Je rappelle que comme le soulignait le sociologue Pierre Bourdieu, l’essence du projet néolibéral est la destruction systématique des structures collectives et des corps intermédiaires (« L’essence du néolibéralisme », Le Monde Diplomatique, mars 1998). Ainsi, en faisant sauter ces relais originalement dédiés à la participation de chacun-e à l’organisation du vivre-ensemble, le corps politique nous rend complètement dépendant-e-s de ses décisions, qu’il prend de façon arbitraire et unilatérale (on l’a vu avec le recours devenu systématique à l’article 49.3). De fait, le président et les membres de son gouvernement nous mettent en ligne de tension directe avec son image omniprésente.
Et c’est là que se situe l’emprise, parce que ces personnalités publiques ont beau nous mentir et ne pas s’en cacher, les relais pour contester leurs pratiques ont été coupés et la voie de la rue, même pacifique, confisquée par la répression policière.
Mon conseil, c’est donc de ne pas se laisser piéger par le cycle de réaction à court-terme dans lequel l’emploi des chocs à répétition veut nous enfermer. Au contraire, essayez de vous concentrer sur les enjeux structurels à moyen et long-terme, ceux sur lesquels nous pouvons nous projeter, travailler et maintenir une ligne à la fois éthique et émotionnelle.
C’est difficile, parce que comme on l’a vu dans un précédent post, ces stratégies politiques jouent sur le rapport étroit qui est entretenu entre violence symbolique (les représentations, les discours, les lois) et violence physique (la répression, l’emprisonnement, la confiscation des biens et des ressources). Comme dans les relations dites toxiques qu’on peut observer dans des contextes inter-personnels, les structures au pouvoir organisent sciemment des manœuvres de chantage pour obtenir notre « consentement » à des pratiques inégalitaires d’oppression.
Une pratique issue du Bouddhisme des premiers textes que je pourrais conseiller consisterait à apprendre à ne pas s’identifier à nos mécanismes de réponse et de défense aux agressions. La manière dont on nous oblige à mobiliser notre énergie à réagir nous parle plus des personnes et des structures qui nous agressent que de nous-mêmes. Mais spontanément, nous, quel mode de vivre ensemble voudrait-on voir se réaliser dans le monde que nous pourrions tenter de porter ?
Photo : interview E. Macron France 2 du 14 juillet 2020


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