Ceci est un court descriptif de la méthode expérimentale en psychothérapie que j’ai nommée la “méthode polyrythmique”. Je vous remercie d’y avoir porté votre attention et au plaisir d’en discuter ensemble.
La méthode polyrythmique est une méthode pratique et didactique qui peut être employée par elle-même ou en complément d’une pratique psychothérapeutique classique. Elle a la particularité de s’appuyer sur les résultats d’une hypothèse théorique et transdisciplinaire originale liée à l’anthropogenèse (étude de l’évolution de l’espèce humaine).
Cette hypothèse théorique, appelée “théorie du paradoxe sensorimoteur” est quelque chose sur quoi je travaille depuis une douzaine d’années de façon indépendante (en échange avec le psychanalyste anglais Darian Leader) et dont les développements s’étendent de la philosophie, de la neurobiologie et de la psychologie jusque dans les sciences sociales, avec une perspective féministe queer, intersectionnelle et anti-validiste, mais aussi instruite du Bouddhisme des premiers textes.
La base de ce travail porte donc sur l’hypothèse d’un paradoxe sensorimoteur qui pourrait être à l’origine du développement des facultés imaginaires et des structures cognitives de la pensée dans notre espèce. La sensorimotricité est un terme qui décrit l’interaction constante dont nous faisons l’expérience entre nos stimulations sensorielles et nos réponses motrices, qui nous permet d’interagir avec notre environnement. Par exemple, pour me saisir d’un objet, je coordonne le mouvement de ma main avec mes perceptions sensorielles.
[Note : Quand on parle de “paradoxe sensorimoteur”, on parle d’une situation particulière dans notre développement qui met en contradiction ce mode d’interaction courant de notre corps avec notre environnement (surtout si l’on se place du point de vue de nos ancêtres avant le développement des facultés du langage). Un exemple de ce type de paradoxe est le fait de regarder sa propre main en face de soi, que la bipédie rend plus accessible : cette main ne peut pas être l’objet de ma considération et le moyen de m’en saisir en même temps. La boucle de la sensorimotricité est rompue et l’image mentale qui en résulte ne peut se résoudre dans l’action de saisir – cela pourrait marquer la naissance des structures de l’imaginaire.]
Le point de départ de la méthode “polyrythmique” serait donc d’accepter ce postulat comme un principe de base : notre activité de pensée et tout notre univers mental seraient fondés sur un paradoxe. Mais une des conséquences de ce postulat est que cette même condition fondamentale pour qu’il y ait de la pensée est impossible à résoudre. On ne peut qu’apprendre à vivre avec ce paradoxe.
Je propose donc à partir de ce principe une méthode dite “polyrythmique” en cinq étapes, d’abord par un travail didactique et théorique, puis pratique :
1) L’apprentissage et la compréhension du fonctionnement relativement autonome de notre vie mentale (par exemple, l’absence d’un contrôle absolu sur notre flux de pensée), mais aussi des états de dissociation que ce fonctionnement provoque vis-à-vis de nos interactions avec l’extérieur. En somme, il s’agit de comprendre que bien que nos représentations mentales soient issues de notre mémoire corporelle, elles se substituent en fait à sa mise en action, la bloquent et la simulent.
Un premier travail pratique consisterait donc à repérer la manière dont les actes de pensée rentrent en conflit avec l’impulsion du corps à rentrer en action (par exemple, on ne peut pas inspirer et émettre une pensée en même temps). L’exercice que je vous propose est : essayer d’arrêter de penser, de suspendre votre flux de pensée. C’est difficile et ça met le corps en tension ? C’est normal, c’est parce que votre flux de pensée a pour fonction de dériver l’énergie corporelle qui est bloquée par le fait de devoir maintenir votre corps dans une conduite correspondant à des normes socialement et culturellement situées. En bref, que la pensée monopolise le corps ;
2) Un travail de visualisation des différents espaces de vie dans lesquels évolue la personne et de leur caractère imbriqué et concentrique (notre corps, puis le cercle des personnes qui nous sont proches, nos espaces sociaux et professionnels, la société dans son ensemble, la biosphère, …) ;
3) Une observation des différences de rythme que l’on peut vivre et même subir (par exemple, dans des situations de stress) entre différents états de pensée et de corps, en tension avec ces différents espaces ;
4) Un apprentissage de systèmes de cohabitation de ces différents rythmes (polyrythmie), sur la base d’un modèle pratique simplifié (par exemple, l’exercice d’un rythme musical dit “binaire-ternaire”). En effet, souvent dans notre vie, nous ne pouvons résoudre la complexité des choses auxquelles nous devons faire face. Nous devons donc apprendre à vivre avec et nous positionner face à cette complexité qui échappe à notre contrôle ;
5) Mise en pratique de systèmes de différenciation aidant l’auto-détermination (la capacité à choisir ses propres modes d’implication), c’est-à-dire apprendre à articuler ensemble ces différents espaces de vie avec leurs rythmes propres, sans chercher à les uniformiser.
Cette méthode s’apparente donc à une pratique de médiation inspirée des enseignements bouddhistes, mais avec un ancrage sensorimoteur. Peu de gens peuvent se permettre de vivre dans un environnement préservé des perturbations extérieures, comme un monastère ou un couvent. Les impératifs de la vie en société réclament notre implication, souvent même contre notre consentement, et nous exposent aux agressions. Ces dernières altèrent profondément la relation que nous entretenons avec nous-mêmes et notre corps.
La méthode polyrythmique propose un outil d’appréhension pro-actif de cette insécurité. Elle permet notamment de mieux comprendre la relation entre les phénomènes de tension et de dispersion de la pensée lorsque l’on tente de résoudre nos difficultés en élaborant un discours sur ce qui nous arrive. Appréhender intellectuellement les choses est important, mais il est tout aussi important de permettre à son corps de les comprendre.
En effet, lorsque poussé-e dans des situations contradictoires, qui n’a pas tenté de mettre sous contrôle et de faire taire une bonne fois pour toute le caractère disruptif et diffluent de ses états de pensée ? Les états de détresse émotionnelle et de déséquilibre sont inhérents à l’expérience humaine. Or, au lieu de simplement dire : “C’est comme ça, il faut faire avec”, ici, nous pouvons expliquer pourquoi c’est comme ça et offrir des pistes pour mieux appréhender cette part essentielle de notre existence.
Le but de ce travail est de permettre à toustes de se réapproprier des aspects de leur vie qui semblent constamment échapper à leur contrôle et génèrent de la souffrance. J’espère aussi que cette manière d’aborder les choses aidera à une meilleure compréhension des ressorts de notre capacité à exister pleinement lorsqu’il s’agit de proposer des manières d’êtres au monde et de faire société qui sortent de cadres normatifs, politiques et sociaux, prescrits de façon univoques et violentes.
Il n’y a pas de soin individuel s’il n’y a pas de soin collectif.
Dans l’impatience d’y travailler ensemble,
Clémence Ortega Douville
Praticienne en psychothérapie / Psychanalyste queer
Crédit photo : Anna Rakhvalova

