Par Clémence Ortega Douville, A.K.A. Nina Hedgsworth
Il y a des moments qui sont clés dans une vie, parce que vous devez prendre position et vous situer clairement dans un contexte qui ne vous laisse guère le temps pour le faire collectivement.
En pleine urgence sociale et politique, nous sommes témoins et victimes de l’irrépressible et systématique destruction des structures collectives et des espaces intermédiaires, ceux-là même qui font pourtant la richesse réelle, humaine et vivante de toute société.
En plus de me déclarer en soutien des manifestations qui ont cours sur le territoire français et ailleurs, je me vois poussée à questionner mon propre positionnement. Je suis penseuse, je suis artiste, j’ai un engagement militant féministe et humain. Pour de nombreuses raisons, être tout ça et ce de façon légitime revient parfois à faire le grand écart. N’étant pas spécialisée pour être totale et avoir une approche globale des choses peut compliquer la position qu’on occupe dans l’espace scientifique, artistique ou militant, d’autant que la crédibilité accordée à une personne trans sur des sujets censés toucher à une certaine universalité est dans nos sociétés peu évidente.
Il nous reste alors deux choix : soit accorder sa manière d’être et de se présenter à l’exigence du milieu qui dicte ses normes, soit renoncer à aboutir quoi que ce soit dans les domaines où sa manière d’être est exclue… Soit assumer une autre voie, autrement fondatrice, qui revient à tout faire, et être queer.
Être queer pour moi, c’est une manière de tout porter, de dire non au découpage et à la compartimentation arbitraire et autoritaire de milieux sociaux qui favorisent un entre-soi politique et ce dans une perspective de maintien de structures du pouvoir inégalitaires, de façon systémique.
Être queer, c’est une force unificatrice. On peut être chercheus-e de façon sérieuse et appliquée, artiste libre et militant-e concerné-e… en étant queer sans que cela biaise votre jugement – mais être d’autant plus impliquée en l’étant parce qu’il y a une guerre idéologique et politique qui se joue, à travers le système patriarcal, capitaliste et néo-libéral, et que face à cet état de fait, pour ne pas être acculé-e, il faut s’organiser autrement.
Je ne serai plus neutre dans cette bataille. Je choisis mon camp et je m’engage, ce qui m’engage à donner des couleurs particulières aux espaces que j’ai décidé d’ouvrir : des espaces de vies communes, et non seulement de pensée.
A toutes celles et ceux qui résistez, je vous embrasse et je vous aime. Persévérez.
Clémence
Aux copines de Deuxième Page et Polysème
A Sacha