Nous avons toutes et tous à faire face à la question du genre, quelle que soit notre origine sociale et/ou raciale ou autres déterminations indépendantes de notre volonté. Lorsque des personnes comparent la transidentité à l’appropriation culturelle et raciale, comme en témoigne encore récemment l’attaque subie par le compte Instagram Aggressively Trans, nous faisons face à un grave problème.
Que diraient ces personnes face à des personnes trans* noires, nord-sahariennes ou asiatiques, par exemple ? De qui s’approprieraient-elles la culture ? L’identité de genre fait appel au sentiment intime de ce qui fait le genre pour soi, alors même qu’il commence à se former, au départ, en réponse au regard des autres. On interroge des émotions personnelles et intimes qui nous touchent quelle que soit notre culture. Nous reconnaissons ou tentons de reconnaître le genre des personnes que nous croisons quelle que soit leur culture. L’identification extérieure et superficielle du genre en fonction de ses indices visibles sont source d’une oppression systémique qui ne touche pas les personnes identifiées comme « hommes » ou « femmes » de la même manière. Elle ne touche pas les personnes trans* ou de manière générale, les personnes queer et associées à un imaginaire dégradant, de la même manière que des personnes cisgenres, ce qui n’en diminue pas le préjudice fait aux femmes dans leur ensemble. Mais cette discrimination basée sur le sexe en tant que déterminisme biologique et sur le genre en tant que déterminisme social et culturel, touche autant les personnes blanches que les personnes racisées, à l’extérieur comme à l’intérieur de ces groupes. C’est donc paradoxalement quelque chose qui crée une communauté d’expérience entre les groupes sociaux et raciaux, et sur laquelle il est difficile d’affirmer qu’elle appartient à l’un ou à l’autre. Cette différenciation nous touche tou-te-s dans notre intimité.
D’autre part, des personnes subissant elles-mêmes le racisme n’auraient sans doute pas aussi aisément recours à une telle analogie. Peut-être auraient-elles d’autres raisons d’incriminer les personnes trans*, en regard de leur propre tradition de discrimination. Dans tous les cas, balayer d’un revers de la main l’expérience des personnes trans* racisées en invoquant un argument prétendument anti-raciste, en s’attribuant leur voix tout en remettant leur existence en cause, fait preuve d’une inconséquence en ce qui concerne le droit prétendu de le faire. Votre usage de cet argument est déclaratif, vous vous placez en arbitre en abusant d’une parole que vous confisquez sans même prendre la peine de consulter les personnes concernées. Cette aisance-là, ne vous en déplaise, constitue un privilège dont les personnes trans* ne jouissent pas lorsqu’elles parlent pour elles-mêmes, quelle que soit leur couleur de peau.
Dans son livre Apprendre à transgresser (1994) dont je vous recommande la lecture, la penseuse afro-féministe bell hooks discute avec le philosophe Ron Scapp autour de la question de l’enseignement. Elle y évoque le cas de ces enseignant-es qui se déclarent progressistes, voire intègrent dans leur cursus des auteurs-rices racisé-e-s, sans pour autant remettre en question leur propre situation privilégiée en tant que personnes blanches, en maintenant l’assomption selon laquelle on pourrait séparer l’esprit du corps qui le manifeste pour éluder le problème. Aussi selon elle : « La personne la plus puissante a aussi le privilège de nier son corps. » (p. 128)
Sachez que quand vous vous attaquez aux personnes trans*, vous vous attaquez à des personnes vivant potentiellement dans tous les groupes sociaux, culturels et raciaux. Elles ne délitent pas ces structures mais y fondent leur vie propre. Elles ne s’instituent pas en tant que groupe mais en tant que personnes, en tant qu’individualités singulières à part entière. A l’intérieur de tous groupes sociaux, il y a des personnes identifiées en fonction de leur genre. Cette identification affecte ces personnes à l’extérieur comme à l’intérieur de leur-s groupe-s. A l’intérieur comme à l’extérieur du groupe social et familial, une oppression liée au genre peut avoir lieu et isoler ces personnes dans leur intimité. Si le corps des personnes racisées est opprimé en fonction de la couleur de leur peau, il l’est en tant que représentant du groupe auquel il est censé appartenir. L’identification de genre associe bien sûr les personnes à un groupe, mais encore une fois cette identification se fait à l’intérieur-même des groupes culturels, qui peut avoir pour effet d’isoler les personnes de tout recours extérieur. Les discriminations se cumulent mais ne touchent pas l’intimité des personnes de la même manière.
L’oppression de genre peut avoir lieu partout, même au sein de la structure familiale, avec des personnes qui ont la MÊME couleur de peau que vous. L’argument de l’appropriation culturel ne tient pas et de toute manière, ce n’est pas à vous d’en émettre le jugement.
Gros soutien à Lexie qui comme beaucoup, fait office de tampon à cette violence.