Pour celleux qui ne me connaissent pas encore, je me dirige vers une pratique de la psychothérapie informée autant par la théorie et pratique de psychothérapie classique (avec une lecture critique de ses biais oppressifs, issue d’une approche féministe, anti-validiste et intersectionnelle) que par celles du Bouddhisme tel que transmis à travers l’étude des premiers textes. Mais qu’est-ce que ça veut dire ?
Le bouddhisme dit des premiers textes (« early Buddhism » en anglais) est une approche séculaire des enseignements bouddhiques tels qu’on les retrouve notamment compilés dans le canon Pāli. On trouve en effet plusieurs versions des premiers textes (pāli, sanskrite, chinoise), avec certaines variations.
Il faut savoir que si le Bouddha Gautama aurait vécu, élaboré son enseignement et établi l’ordre monastique qui lui survivra entre les VIe et Ve siècle avant J.C., les textes qui en sont issus ont été composés, mémorisés et transmis oralement avant d’être mis à l’écrit. De nombreux commentaires, courants et écoles se sont développés par la suite au fil des siècles et hors de l’Inde en Asie de l’Est et du Sud-Est. Le Bouddhisme des premiers textes s’attache donc à l’étude de ces premiers enseignements tels qu’ils nous ont été transmis et aux pratiques qui s’y réfèrent. Ceux-ci peuvent être abordés pour eux-mêmes, en-dehors d’un cadre monastique traditionnel (dont le Theravāda, surtout présent entre le Sri Lanka et le Cambodge, est la tradition réputée la plus conservatrice de ces textes).
Le Bouddhisme des premiers textes est en effet d’abord un corpus philosophique, composé d’une théorie de l’esprit et d’un ensemble de pratiques individuelles qui sont d’ordre à la fois psychologique, éthique et spirituel.
Il s’articule entre autre autour de quelques grands principes :
Le principe d’impermanence
Tout dans notre expérience est soumis au changement, à quelque degré que ce soit. Notre expérience sensorielle et émotionnelle peut être décrite comme une succession d’états qui apparaissent et s’estompent, qui naissent et qui meurent. Aussi, un enseignement au cœur des pratiques bouddhiques consiste à comprendre qu’il est vain de s’agripper à l’espoir de figer nos expériences du changement, qu’il s’agisse de nos états de douleur comme de plaisir, dans quelque chose qui serait permanent. Cela ne pourrait mener à terme qu’à nous maintenir dans un état de tension et à de l’insatisfaction (dukkha).
Le principe de non-soi
Une des conséquences de ce principe d’impermanence est que si notre relation à notre expérience quotidienne est changeante et impermanente, on ne peut établir non plus qu’il existe un « soi » immuable, indépendant et imperméable au changement à quelque degré que ce soit. L’idée que l’on aurait d’un « soi » serait au contraire une construction d’éléments hétérogènes (les Cinq Agrégats) que l’on composerait ensemble à travers nos catégories de langage, de description et de représentation (par exemple, se décrire en disant « Je suis grand-e, je suis brun-e, je suis Noir-e, je suis trans, je suis féministe, … »). Ces outils du langage ont une utilité contextuelle pour interagir avec les autres. Ils nous offrent un contrôle relatif sur les choses qui nous arrivent et notre propre corps, mais pas un contrôle absolu. Notamment, la vie de notre corps et notre flux de pensée nous échappent constamment, comme lorsque nous subissons les agitations compulsives de notre corps, des poussées d’émotions fortes ou des pensées intrusives face à un sentiment de contrainte.
Les principes de non-agrippement et d’équanimité
En conséquence, une pratique au cœur des enseignements bouddhiques est celle de non-agrippement. Il s’agit d’apprendre à prêter attention aux différents états qui nous traversent, agréables comme désagréables, à les reconnaître et à les accepter mais à ne pas nous y agripper par peur qu’ils nous échappent. C’est un long travail et une discipline qui nous mènent à accueillir l’intégralité des réalités sensorielles et émotionnelles dont nous faisons l’expérience, à ne pas être dans le déni face à elles et à nous relâcher, à nous détendre en leur présence. Cette capacité à rester paisible et d’humeur égale face à l’impermanence des choses est décrite par le principe central d’équanimité.
Les principes de compassion et de sagesse
Ne pas s’agripper aux choses et faire la paix avec tous les aspects de notre réalité ne veut pas dire ne pas agir pour tenter de changer les choses qui causent de la souffrance aux autres et à soi-même. Les pratiques bouddhiques sont aussi avant tout un ensemble de principes éthiques, guidés par un principe de compassion (mettā) pour les autres et pour soi-même.
La sagesse, dans le Bouddhisme des premiers textes, est alors décrite comme la capacité de ne parler ou de n’intervenir dans une situation donnée qu’aux moments et dans les conditions où notre implication aura le plus d’efficacité, dans le sens de sa propension à générer une pacification et un apaisement.
Tous ces éléments à la fois philosophiques et pratiques peuvent avoir un grand intérêt au sein d’une pratique psychothérapeutique. Ces enseignements permettent d’aborder avec une grande clarté nos réflexes d’agrippement, qui s’enracinent dans nos insécurités et de les prendre comme tels. Si la psychothérapie par la parole permet d’aborder par les mots les discours, les modes de pensée et de contrôle au travers desquels nous tendons à éviter les choses qui nous font mal et nous angoissent, une telle approche pratique permet aussi de prendre une distance avec le discours lui-même et sa tendance à figer notre rapport aux choses. Son premier but est de relâcher notre tendance à nous y agripper et à tenter de contrôler par ce biais tous les aspects de nos vies qui échappent à notre contrôle.
Bien sûr, tout le monde ne peut pas s’immerger dans une pratique bouddhique telle que la permettrait une vie monastique, à l’écart de toute l’agitation de nos vies laïques. C’est d’ailleurs une chose intéressante que les enseignements du Bouddha se soient dès le départ adressés également aux populations laïques qui entouraient le Sangha (la communauté monastique) et avec laquelle le Bouddha aurait dès le début souhaité et structuré le fonctionnement de la communauté de façon à maintenir avec le monde autour du monastère un lien de proximité et d’entraide. L’approche des enseignements bouddhiques peuvent, aussi dans leur dimension pragmatique, nous rappeler que nos moyens d’organisation collective peuvent aussi être une source de paix, d’entente mutuelle et de prospérité : mettre en œuvre ensemble le mode de vivre ensemble dans lequel nous souhaiterions vivre.
Credit : Anna Rakhvalova ❤


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