Une publication un peu particulière puisqu’il s’agit de photographies et que je n’ai pas tellement l’habitude de cultiver la diffusion régulière d’images de moi-même ou de ce qui devrait me représenter – peut-être pour avoir longtemps placé en priorité les domaines de créativité que je jugeais plus urgents à ce moment de mon parcours. Néanmoins, je me rends compte aujourd’hui que je ne peux continuer mon engagement en faveur des droits de toutes et tous sans m’engager en tant que corps et en tant qu’image – qui compte sur le plan symbolique – dans l’espace social.
D’une, parce que ma position, comme toute position, n’est pas neutre. Mon point de vue, ma perspective et ma relation au monde en tant que femme trans instaurent certains biais dans ma relation avec les autres. Je suis grandement dépendante de leur jugement et de leur compréhension des enjeux qu’être cela impose de porter, face aux autres et à moi-même.
De deux, parce que depuis que ces photos ont été prises à l’été 2018, avec ma chère amie Anna, mon regard sur moi-même a changé, mes appréhensions ont changées et je suis plus à même aujourd’hui de décider de la place que je veux prendre et de comment je veux la prendre. Certaines photos que j’avais mises de côté à l’époque sont, avec le recul, devenues mes préférées. Peut-être par pudeur, ou par cette peur de ne pas être « assez », assez convaincante, assez crédible, assez « femme », et parce qu’il faudrait encore, toujours, le prouver.
Or cela m’amène au troisième point, qui est que je bénéficie d’une situation assez privilégiée. J’ai le privilège de vivre chez mes parents et d’avoir pu prendre le temps nécessaire de faire tout ce que j’avais à faire pour pouvoir m’inscrire dans ce monde heurté avec toutes les armes dont j’aurais besoin. J’ai pu élaborer à la fois la théorie, les aspects artistiques mais aussi les questions intimes, et je remercie mes parents infiniment pour leur soutien, même s’il et elle ne comprennent pas forcément qui je suis, ce qu’est la transidentité, ce que sont les enjeux du genre dans nos sociétés de monopole et d’abus de pouvoir.
Aujourd’hui, non seulement une image juste et légitime de moi-même me semble nécessaire à cultiver pour moi-même, mais aussi pour celles et ceux qui se posent des questions similaires et ont besoin d’être rassuré-es, de trouver des modèles, des voies possibles et des espaces de droits réglés par et pour nos singularités. Tous les corps existent, et avec eux toutes les identités. En voici un de corps, une identité, dont j’apprends moi-même à ne pas avoir peur, et surtout à ne pas craindre autant le jugement négatif d’autrui. Parce qu’il ne s’agit jamais de « faire comme » ou « faire la fille ou le garçon », mais d’être, au plus près d’une expression la plus sincère et juste de ce qui jaillit spontanément de nous.
Vous n’avez à demander à personne l’avis ni l’autorisation d’être ce que vous êtes et d’exister. Nos sociétés ont leurs défauts, mais nous ne sommes pas déviant-es d’une norme absolue. Le droit pour chacun-e d’exister pleinement ne peut s’établir que dans une concertation collective. J’espère avoir le privilège, maintenant, de faire ma part.
Crédit : Anna Rakhvalova, été 2018, à Paris