Anthropogenèse

Pensée et communication

Il ne s’agit pas tant de produire une pensée, que de communiquer une pensée. Qui dit « produire » dit la constitution d’une réserve, en sorte que ce qu’on produit doit demeurer à disposition d’un usage futur. Penser en terme de production nous ramène toujours au résultat de ce qui est produit, à savoir un bien dont quelqu’un-e d’autre doit pouvoir user. L’individu-e se met donc au service de la production d’une pensée qui doit pouvoir satisfaire aux attentes d’un-e ou de plusieurs usagers-ères. Les termes dans lesquels on produit cette pensée répond à un apprentissage, à une éducation sociale et affective largement basée sur celle de l’obéissance. Notre capacité à produire est évaluée selon des critères plus ou moins arbitraires qui encourageront moins notre capacité à établir des relations qu’à recevoir la sanction ou la récompense.

Ici, la constance est mise du côté de la production, dans le sens où il faut toujours qu’il y ait une réserve de pensée dans laquelle on serait censé-e pouvoir puiser ; même si dans les faits, personne ne nous y rend visite ni n’y puise quoi que ce soit de singulier qui ne soit pas déjà produit en série par d’autres. Or, cette réserve est aussi une accumulation, laquelle ne trouve ainsi pas toujours d’usage ni de personne pour la recueillir, hormis la personne qui produit, quitte à produire à vide. Si cette pensée ne peut être transmise, son accumulation sera aussi l’accumulation d’un souhait de la communiquer qui ne pourra s’exprimer, sera mis en attente et donc également, avec son énergie d’investissement, la violence de sa retenue.

Une pensée, comme résultant de la mémoire d’un échange verbal ou gestuel, d’un accord, s’inscrit dans la structure relationnelle de sa communication. C’est en veillant ainsi d’abord sur l’intégrité de cette structure et des parts qui la composent que l’effort de pensée ne s’établit non pas sur le mode de la réserve, mais de la circulation. La nécessité d’accumuler une pensée est relative à la nécessité d’établir sa propre valeur, ici sur sa propre faculté à produire une manne utile, sans pour autant préciser l’autorité vis-à-vis de laquelle nous nous sentons enjoint-e-s à la produire – tout spécialement dans nos sociétés patriarcales, capitalistes, impérialistes, coloniales et validistes.

Avant de se demander ce que l’on peut produire comme sens, il est utile de se demander à qui et comment l’on serait à même de le transmettre. Si les moyens de cette transmission ne sont pas garantis, de même que l’intégrité physique et psychique des personnes qui sont engagé-e-s dans son partage, tout ce qu’il en restera sera à la charge, tout spécialement, de la ou des personnes ayant initié le souhait d’être reconnu-e-s à l’origine de la production d’un savoir. Or, aujourd’hui, nous avons bien plus besoin de réparer les moyens par lesquels nous pensons et le cadre dans lequel nous sommes poussé-e-s à le faire, que d’ajouter encore et encore à l’accumulation de souhaits conditionnés par l’injonction à produire pour exister, telle qu’elle règle encore les hiérarchies de pouvoir dans nos sociétés.

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