Texte en pdf : Clémence Ortega Douville – Recueil de saison (2010-2011)
Note : ces poèmes ont été écrits alors que je m’appelais encore Jérémy et n’avais qu’une très pauvre conscience de ce dont j’aurai besoin plus tard. Néanmoins, ils constituent l’une des marques de ma lente évolution.
Recueil de saison: Cent pages de poèmes pour la vie (2010-2011)
Par Clémence Ortega Douville
Triptyque « Ode à la vie » (août 2010)
I. Ode à la vie
I. De ce que de la vie des femmes
De ce que de la vie des femmes on a tiré un souvenir,
J’appris que par un thème, de l’avenir on cite l’avenir
Et que des corrompus de la pérenne tendresse
Voilà que je chante, par l’ombre, l’ombrageuse paresse.
Il n’y a pas un an que je ne pense pas
Quand à la larme facile j’allège l’excellente
D’allégeance à la part du roi
Tu courbes, je m’aligne aussi.
Tu as pour toute ma chaleur de l’enfance les traits
Délicieusement pour trait la chaleur d’une cillante et sereine…
À ta poitrine! si familière qu’on brosse et qu’on te broie
Au noir! de l’encore et du large tu chantes ta particularité
De la rame jusqu’à la main
De la faux jusqu’à l’endroit.
De ce que de la vie des femmes on a appris de tout un chacun
Quand d’une femme sous l’onde d’un glissant artifice
On le sauva des flammes, l’apprenti sacrifice
Lapidation par l’audience, à ton bouton de rose, nous t’écoutons
Car il pleut la torpeur de l’âme indigène
Je pense à toi.
II. Lanterne
J’avoue que depuis
Et ce en maints endroits
J’ai péché par excès de tendresse
Et pour l’amour de toi
J’ai encore une fois humé
Par-delà le jonc le jasmin
De ta perlée sueur
Sur le dos de ma main.
J’avoue encore une fois
Et de détresse
J’ai oublié ton nom
D’Amour et par la régence
Est conquise la prenante incidence de nos caracoles infidèles.
J’avoue que par la vide humeur tu te rends
Sur les doigts qui de la belle
Aventure a pris fin
J’adore l’engeance qui t’a faite loi
Arborescence sensuelle, tu me le rends bien.
De ta pleine vitalité, familière actuelle
J’alloue à mes pensées
Le bouquet de nos tutelles.
III. Quand la lune était belle
Quand la lune était belle
J’étais de format à m’y glisser
Dedans la lune belle
J’aiguisai alors mes jeunes dents.
J’eus à tâter, du melon d’avoine
Les dentelles d’un champs de pivoine
Quand à l’azur pavoisant
Une aurore Gabrielle
Passe avec un cordon.
Au clair j’admire la chair du bourdon
Quand elle vient éclore sur ta boutonnière
Et s’étirer du colimaçon
La chanson de ta chaumière.
L’hirondelle au corbeau
La casserole et à foison
De la pivoine jusqu’au chardon
Je suis la luzerne au grand sillon.
IV. Les quatre derniers jours
J’ai mal au dos, les quatre derniers jours pire encore
Je n’aurais jamais dû, non jamais dû
Je n’aurais jamais dû donner de la puissante chance
La force capricieuse du tord.
Ma mère au front abandonné
Mon père aux serrures sans clefs
Ma trahison aux silencieux remords
J’ai peine à le dire, mais j’ai eu peur de n’éclore jamais
Ma liberté a cher payé de la survivance.
Mon caprice pour diviser mes énigmatiques errances
La pluie fine sur les bas-résilles de la misère intellectuelle
J’effectue l’as pour un mort, tu es la belle.
Je cours, et j’ai raison de courir
Encore, le fil n’est qu’un timoré silence
Pour l’ombre qui, en patience, cadence, quand danse
La pauvre à la lueur d’un horizon banal
Et déchirée au sacrifice des liaisons anales
Putain de quartier pour ne point trop mériter
Qu’on nous nommes, et pour le bien, faisons les putes de la charité.
Mais délivrance, sans diligence, j’arrive pour soigner l’artifice
Ma suffisance, pour joindre les deux bouts, se contente des orifices
Pourquoi fallut-il que femme naisse sous un si boiteux destin
Et s’en aille à pieds joints au-dedans, sous les robes de calamiteux célestins?
J’abhorre vos prières et j’abhorre vos chagrins
Je suis une fille sans plume et sans chemin
De prier à Lilith qui désespère
Et ce du soir, et jusqu’au matin
Je m’en vais sucer le Fils
Et puis le Père
Dans des louanges sans lendemain.
V. Être femme
Être femme qui sans un drame
Adore encore changer.
Ne s’en remet pas
La chance des histoires raccompagnées
J’ai compris cela, dix pour un à trois cent bras
Sur ma fourrure, moins que cela.
Pour être comme pour femme homme sans malice au cèdre et cætera
Qui une fois cède s’aidera
Qui je suis? De l’antre au soleil qui en mon lieu sommeille
Et cherche l’almanach: des corps, des têtes, des échalas.
Si je suis homme, fait-moi la femme, à comprendre
De l’homme la féminité naissante dans la rencontre d’un superlatif animé.
Dans l’absolu l’être humain se dégénère pour admirer
Et de ses régénérations par mille autres candeurs
Admire ce que font les hommes pour des femmes
Qui de parties d’eux ne font que
La science exacte d’une alchimie synchrone.
J’adore, j’adore, comme je suis homme
Dans le ventre et dans le blâme
J’adore j’adore, et pour vous aimer
J’adore et chéris
Des louanges jusqu’aux doux vins de votre table :
Être femme.
VI. Belles de feu
Belle de feu, ou de ton feu
Belle de l’être, et sans l’être
En feu.
Incendiaire, et sans bouteille
Tu prends l’âge
De tes talons vermeilles.
J’envie et jalouse tes cuisses belles
Et rebelles comme des truites
La chevelure aux amoures détruites.
Romançant tes rançons
J’ai dans la bouche un cadre, une chanson
L’amour dans une prison
Aux mots doux des doux espoirs
Et des doux colimaçons.
Dans tes mains, sont jointes, la vie
Autour de nous, décrire un arc
D’écrire un cercle, autour de soi
Il s’agit, d’appeler
Un chat un chat
Et du chien qui de la patte à la chatte a
L’amant à sa liqueur douceâtre
Comment appelles-tu cela déjà?
L’Oiseau de Feu qui du volcan connaît la loi
Tu es à mon chapeau ce que la plume est au puma.
VII. Dans la rue du bordereau
Dans la rue du bordereau
S’insinue le sinueux
Éternue la sinueuse.
Qu’il est beau de s’arrêter voir, dans la vitrine du grand boulevard
La femme, la divine, la perdue caresse
Mais nous les hommes, savons-nous donc admirer cette majestueuse paire de fesses?
Je m’avance comme un enfant quand tous, à l’œil qui siffle
Du même côté, regardent, et bavent des « je t’aime »
Des « viens à moi »…
Comme je jalouse leur témérité
Quand je supplie en lamentant la tranquille vérité.
Marchant par les couloirs à genoux
S’insinuant dans les placards
L’un sinueux, insigne heureuse,
S’insinue dans la sinueuse
Et décroise en tire-bouchon
La tête géante du caribou.
VIII. Solitaire
Le tigre, ô solitaire
Dans la campagne à mi-terre couché
Et pour colorer la trouble troupe du vice
Dore en dévorant la luciole d’un serpent vivant.
Que tu me touches, j’aboierai pour donner à l’alarme salutaire
Un flamboyant renouveau
J’ai mal appris à n’aimer pas la silencieuse humeur des vagabonds
Et du carnage des plus sages, des plus viles scénarios,
Sous l’aride fleuve, je m’abreuve, et molestant l’absence,
Je fais le beau.
Je suis un tigre solitaire, perdu parmi les panthères
Et comme un lama je désespère
Que mes comparses me crachent dessus.
Dure loi alors pour l’animal enorgueilli
Qui veut de la justice réclamer un tribut.
« Jadis il y avait dans ce pays moins de crimes et d’abus
Contre le refus à la tendresse, et j’entends bien que l’on m’explique
Pourquoi il faut qu’en ce monde, toujours, encore, souvent,
Pour se parler bien ou se dire bonjour, l’on s’agresse.
Je voudrais juste être aimable, à ces dames pour une compagnie souhaitable,
Je réclame le soutien. »
Mais tigre, ô des tigres,
De la joie il y en avait assez pour que tu n’en ais pas
Et comme nombreux sont les jours où se croisent de lourds appâts
Attends, attends encore,
Et le jour où du peu la cascade saura verser de l’autre côté du nid
Où de ton repas tu daigneras signer,
Moi j’allumerai, dans un temple ou dans une église,
Un cierge pour les rois.
IX. L’indispensable
L’indispensable, c’est d’aimer
S’aimer soi de comprendre pour soi
Dans la multitude une et autre
De l’autre, l’indispensable loi
D’une éternelle récréation.
Si tu savais comme je t’aime
De n’être qu’infidèle à ce que je voudrais te faire
Faire, faire dire à tes genoux sans lois
Quand tu danses selon les tiennes, m’échappes
Et ne m’absentes pas.
Si tu savais comme je t’aime
Quand tu vis et que je n’ai que peu de mérite
Sinon la bonté que tu me donnes à partager.
L’indispensable, c’est d’aimer
Et j’ai aimé trop de fois
Et me lamente
De ne m’en souvenir pas.
X. Ronds de fumée
Je me rappelle
Tes ronds de fumée
Insolente.
Je me rappelle
Comment tu m’aimais
Indolente.
Je me rappelle
Tes crottes de nez
En dilettante.
Je me souviens
Tes charnus baisers
Trop contente
De pouvoir me laisser
Sans chercher à flâner
Je te retrouve enfin!
Je t’aime et transpire à coups d’œil
Ton parfum.
Je me délecte
Je me souviens
Dans le frein.
Je me délecte
Je me souviens
Je t’aimais bien.
XI. Récréation
C’est l’heure
Au temps long quand les violons
Proclament la récréation lente
Tu, dans un sanglot, recrée le monde.
Affranchie par la renaissance des lettres
L’obscurité aux premiers points de clarté
L’esprit agile, la mine courbe
Tu ploies sous la ligne et l’échelon du fourbe.
Vite! que sous l’aile de la villégiature
Du diable tu saisisses ta monture
Et à dada sur mon bidet, lave du plomb dans tes abcès.
Mon cœur, mon poussin, mon oursin, ma lune, splendeur de la femme!
Tu dors et ce soir sous de charmantes et calmes palmes!
Ma larve, ma cigogne, ma rose, toutes clameurs que tu gagnes!
Je rêverai tantôt d’y apercevoir, du bout de ton petit nez, une étoile.
XII. De renaissances d’hommes et de femmes
Protège, de tes scrupules, les renaissances de l’homme et de la femme
En toi, comme dans la pénétrante acidité du mouvement qui courbe tes mains
Je sais qu’en ton cœur se découvre un désir souverain.
Tu cries en toi-même le désir d’en découdre.
Tu cries devant la vie l’injuste censure de cette foudre.
Qu’y a-t-il dans ton propre pays qui te soit si indifférent?
N’aimes-tu pas les landes de ce paysage si contraignant?
Ne le trouves-tu pas porté par une certaine émotion?
Ne te parle-t-il pas?
Moi il me parle, mais il ne m’appartient pas
Pas plus que mon propre corps.
Mon corps appartient à ma terre, et ma terre saura se porter garant de sa succession.
Par pudeur, tu caches ton chagrin.
Alors, par pudeur, viens cacher le mien.
Tu sais que nous sommes tous d’hommes et de femmes
Pourquoi refuser cela, et faire le parjure en plus du blâme?
Pourquoi blâmer, oui, nos écarts si différents
Quand ceux-ci ne nous en rendent que d’autant plus grands?
J’avoue avoir raté l’oraison singulière de tes pleurs,
Je n’en réserve pas moins des places pour le premier des prochains quarts d’heure!
Me reprocheras-tu de n’avoir pas été de tout le temps ton intimité?
C’est que j’étais, il est vrai, bien préoccupé…
Ma propre sècheresse à peine en éponge, j’avais le cœur en bouillie épaisse
Et je ne possède aucun filtre…
Ne m’en veux pas. J’aime la féminine présence de ton à propos
Je serai bientôt présent, allongé dans tes seins chauds.
XIII. Délicat spleen
Le délicat spleen de la délicatesse
C’est quand de la terre on ne sait plus
Suzeraine, je te sais
Du vassal obligé, je veux porter une couronne d’épine
Tu me connais, je ne raterai pour rien au monde
Le massacre indulgent des jeunes filles
Quand à genoux on les appelle pour prier
Sur l’autel de la sexualité éveillée.
XIV. Ode à la vie
De l’Ode à la vie j’appelle à la lumière
Qu’on sorte les flocons, les couleurs, le champagne!
Des verres des arlequins freluquets et bavards
Des destins des sauterelles qui auraient de poids des coccinelles!
De l’Ode alla vie, je voudrais partager la saison aux fruits d’un été à la brume oppressante!
Je voudrais dire que le temps est beau sous les belles vacantes!
Bacchantes, apportez l’huile! Il faut en finir et faire déraper le hasard!
De l’harmonie tirons les foins de la discorde,
Et que sur ces radieuses fleurs mûrissent les raisins de la nouvelle Gloire!
Et si elles ne veulent ainsi chanter sur les terrains salés de notre horde
Alors allez-vous en faire valser sur les cimeterres de la Concorde… nos déboires!
19/08/2010 Nice
II. Recueil du Bauer
1. Transigeance
Allumer le jour
D’un pompe sur le calumet
De la paix ou de l’oblongue monticule
Arborescent et cruel
Quand la flamme calme le bouillon
Le disjointe, le décapsule.
La lune a de son capricieux délire
Su dire qu’elle avait saisi
Un geste d’importance, au nom
De la catastrophe.
La lune au principe a jauni
Pesté contre l’éructante qui en médisant
Caresse l’avenir
L’infini du « comment dire déjà »?
Allumer le jour de cette nuit
Allumer
L’amulette dans le puits des songes
Caisse d’illusion sur la semelle du prince
Caillasse la chasse à l’impardonnable.
À la lune que visite le trublion jupon de nos nuisances
Un geste encore insoupçonnable
L’horizon.
Au portail s’attribuèrent des calendriers de lézards
Ils adoubent parfois le patriarche qui se couronne
S’il lui plaît, raconte-moi une histoire
J’ai l’embryon qui toujours le soir, s’assaisonne
De n’être point de Jules, ou de César.
Ici on vit
Dans ma maison à la cabosse des pays des drôles
De Char
Qui fait chanter la pluie
Griffonne un flanqué
Flaque qui luit donne, et l’oblige à sourire.
Sur le blé dans les gonflés remous de la terre sans mastique
Je me plais à me perdre, dans une vague d’enfance
Confondu
Tout goût pour le hasard.
Je vois dans ces bouquets de têtes droites
Quelque danse qui m’enchante, et me désespère
Il n’y aura donc point d’autres toupies
Que celles qui s’élancent autour du vaste chêne
Et du tilleul qui par foi s’encre en terre?
Entre les lames, des canotiers indistincts
Les jolies dames qui ont la minuit
Et encore, se désarment
Déforestations de l’immobile.
Chaque parasol abrite l’ennui
Je transige
Je m’accole à la buée
Un parapluie.
Ainsi au-dehors
Je crois
Quand vient, un parking, à heurter ma fenêtre
Les jongleurs du gagne-pain.
J’aperçois les remparts d’un sauteur de brique et violoniste
La mine opale, il se décortique
Les mains attachées
Le haut d’un virtuose tremplin
Un trampoline.
Et j’aimerais aussi voltiger, avec lui, sur l’onde pâle
Du petit garçon que je suis, je me demande…
Quelle médaille mon père aurait pu recevoir d’un tel exploit?
Quel mérite, a ma mère, à se découvrir
Apte, de ses propres lois?
Et je ris, et je ris
Car le plongeon, sur le dos du clown, me sourit encore
Et ses grimaces sont un baume
Sur mon cœur aux si curieuses marées
Si curieux cyclones
Un champs d’hymnes et d’oboles
À la droite carabine, une limace
Et à son phoque, un duvet
La loi maritime de patauds dictons.
Alors
Il y eut en mon cœur une large autoroute pour les âmes sans péril
Quand en quittant les petits chemins de campagne
Elles trouvèrent dans ces valeureuses canes
Qui ayant quitté à bas leurs chiots
De l’éclosion
Vont dans le lac
Pour bientôt
Jeter, à l’abordage de l’autre rive, toutes rames.
J’eus dans mon mouillage des totems gris pour n’avoir jamais verrouillé
Ce qui dans la séparation du python charmeur forme la conscience.
J’ai forcé la canne raide et grave de mes aïeuls
Et ses secrets ont fouillé avec moi dans la terre ravine
Les mains pleines de libellules
De vilaines malices
Et de substantielles interférences.
Alors
Je ris en sautant dans un parc de branchages
Et des rameaux qui sous le déluge devinrent rances
Je découvrais le futur loisir d’être un homme, une frontière
Le plafond d’une croix
Une bonne croisière.
J’allai vers le vieux chêne
Pour boxer mes antennes je brandis des gants
Au velouté fer
Depuis la carapace vague qui feuilletait dans mes frayeurs
Brigands et héros
De, luisant, chrysanthèmes
Puis j’émoussai de la lame brillante mon suivant héritage
La mousse d’une crème à la promesse digitale.
Devant la foudre, je criai
Devant le tonnerre, des yeux, encore
De mes bras j’ai hurlé
Un chant de guerre
Que j’avais des oreilles
Et de ces mille marmailles de sermons
Qui m’environnaient comme des sœurs
Je me débattais pour en dénouer le calice de mes erreurs.
Non, il n’y avait de nom dans le pas de mes consonnes
Depuis la fin des temps nouveaux, j’effaçai ses sures de ma couronne.
J’étais en masse d’être encore un homme à nouveau
Brillante lutte de la nature
J’abritais dans mon sein un certain sang du corbeau
À sortir d’un mouchoir le prénom d’Isabeau
Et ma mère courut vers moi, m’attrapant
Pleurait que je devenais fou
Sous les vagabondes en zigzaguant
Ces provocatrices perles jaunes qui tombaient des Enfers.
J’étais un homme, me voilà paire
Ivre de raison
J’avançai vers le ciel pour y puiser
Absolument incertain, ma légitime colère.
« N’es-tu pas un saint, ou bien un lâche?
Toi, Ciel! Instille pèlerin!
Pleurniche à ma portée! »
La course à l’alliance prit suivant sa tournure grande
Les mollassons s’effondrèrent sous les déviantes
Entre mes pieds la planète s’engouffre
Et je grille, obsolète, dans la noirceur de mon squelette.
Je suis en vie, certes, je me consume, comme tous les êtres
De toutes reines fourmillent
Mes vaisseaux courent les sentiers
Délicieux lombrics
Et je me courbe pour ramasser cette poignée de divines Amériques!
Oh… oui! À moi la soif d’itinéraire!
Oh oui, elle délivre, au creux de ma tristement belle
Le grain savoureux du doucement amer!
Oh… il y a des tunnels que nulle tortue n’emprunte à jamais
Ses œufs, petits et lourds, attendent
De peur d’y rencontrer le Diable
Et il y a dans chaque été boréal
Une Krishna pour en souffler les attablées clairières!
Oh que le torrent creuse au fond du terrier
Et en agrandit la source!
J’y vois dans le gouffre, mon image qui se balance.
Tomberai-je? Ne tomberai-je pas?
Et en ce moment même,
Ne tomberais-je pas déjà?
Puisque je suis Homme, il faut que j’agisse comme tel
Je vois pour mes caresses, à soi-même
Le griffon de mes tutelles
Je m’absente dans l’amour de toi
Je reviens dans les gerbes phosphorescentes d’un cerveau
Un flocon
Ce canevas!
Les filles, à vos ombrelles!
Cachez de vos épaules les trop fragiles tourtes!
Je les vois qui toujours dévorent
En chassant de l’œdipe les vaillantes et courtes
Sauterelles
Elles sont pires que des démons
Pour l’antre des garçons
N’y aimez que les ailes!
Devant mes pères le Diable au bonnet brisé
Au néant du moins, depuis, se dresse
Quand ils réclament à la suite de la traverse
Une flute pour Pan
Le droit d’invoquer la majesté antique
Et l’antique tendresse.
Tombera? Tombera pas?
Qui en ce monde, alors, voudra remplacer le Démoniaque?
Sûr qu’il y aurait des candidats…
Je vois en cette ombre comme un fuseau
Le mistral qui s’y perd sans rien avoir
Pour perdre le magnant faisceau
Et de son gigantesque ventre, le nombril pointant de l’antre la présence
D’un point de choses plus effrayantes encore
Que le dandy qui n’amusera pas plus que le nom
Dont il gronde la mauvaise bêtise, la légère méprise
J’aspire ma propre tête
Comme un lait à la matrone
Foudroyante.
Au-dessus de lui, le vignoble à la bile violoniste
Et le grillon heureux, sans guitare ni bonne chanson
D’entamer courageusement un air
À disturber la créature consensuelle.
« Je vois que l’on s’amuse encore, lance-t-on,
Pour se rendre plus présentable, à faire,
Bien correctement, des pieds et des mains
Pour nous présenter au diable!
Ne sait-il donc pas parler? »
Le joueur s’arrête, s’avance vers nous
Et le Diable, derrière, à genou
Alors que les matinaux sifflent
Déjà les quelques brins d’esclaffe
D’escapade
Et d’une gifle
Nous livre sa viole.
Tout en s’essuyant,
Du front il nous indique la caravane d’un coupe-gorge.
Un instant
Il s’applique
Au ramage distingué
Un rose moineau.
« Il n’y a pas que le rouge qui sied à mademoiselle
Encore faut-il que, pour subsister, je m’entraîne à remuer des ailes
Des guiboles.
S’il faut que, pour devenir maçon, je me frotte
À la lueur des boissons sérieuses
Je veux tout de suite m’envoyer paitre
Me déclarer portraitiste, et vous rendre
De mon estomac capricieux, le portrait du peintre.
Fait à son image, je ne suis ni du Dieu, ni du Diable
Mais seulement d’une bien curieuse combinaison
De la pêche, ou bien du sable.
Voyez, mon violon
Et si j’ai raison, transportez-moi. »
Aussi, de remettre mon chapeau, jamais je ne me lasse
Pour donner court à des idées folles
Je me délaisse, les bras en belote
Quand je vois venir, du bout d’impérieux hameçons, et d’une rigole
Ma tête qui danse
La gigue au doux vocable
À la porte d’un train.
II. Kaléidoscope
Une bulle dessus le chat
Qui dort
Je ne m’en remets pas, moi
De le voir, dormir
Pacha, sans histoire
Finira dans trois semaines
D’allumer ses chandelles.
En arpentant une colline
L’apparent chat cherche la parente
La liberté qui sans des doigts
Livre ses tâches
Du blanc et du noir
Du blanc et du noir
Divergences hallucinatoires
Qui voit chat titubant dans les couloirs
D’arides ascenseurs
Il tombe des étages
De catastrophiques immeubles.
Retombera-t-il? Ne retombera-t-il pas
Sur ses pattes
Alors que le rêve se ploie?
Je le suis dans sa folle descente
Tandis que par malchance
Ma trop légère tendance
M’incline à chavirer
Vers le haut d’une autre vallée.
Une fois tordus en deux
Le chat et moi
Dans deux aspects séparés
Ne rassemblons plus rien de commun.
Je ne ressemble en rien au chat
Qui de moi-même semble prendre les traits
Dans l’engourdissement de mon visage esseulé
Mes pattes hérissées
Lesquelles sont le poids
Et l’engendrement illimité
D’un étrange imaginaire.
Je ne suis en rien
Le chat, oui
Le chat, oui.
À l’heure du thé
Se distraire
Quand je contemple
Par la fenêtre
La cour ronde
Ma cité.
III. Trompeur hasard
Je me levai tôt
En brûlant les tranches du bois vert
Une brindille.
Il y eut dans un filet de fumée
Toute l’incandescence d’un incendie barbare
Et la dantesque sècheresse d’une symphonie liminaire.
Ô que le hasard est trompeur
Quand l’éveil
Joue de lui soutirer quelque mystère.
Que pouvons-nous bien cacher le long de ces vagues chimères
Pour combler
L’absence de rites dans nos horizons sans joie?
Je ne voyais alors
Pas de remède
Je ne voyais pas
Qu’un humain intermède
Puisse découvrir
Du circuit, les guirlandes.
De cette illusion j’ai humé la fabrique d’un drapeau
Et j’ai bâti à mes côtés
De mailles en tresses serrées
Pour ne point pouvoir, à l’aube des premiers soupçons
M’en dégager bien
Une château de sable en chaise cannée.
Voguant ainsi sans travail
Je me précipitai
Tête avant dans la bataille
Et du treuil en acheminant
J’ai ramassé ces quelques poignées
Non moins précieux
Diamants.
Ô quelle folle aventure que celle-ci
Alors que, dans la nuit, le soleil se lève
Et renverse en traversant
De mon tourment la courbe lèvre.
Comme un silex je suis lancé contre les miens
Et je me sais de ne pouvoir m’arrêter
Dans ma course, sans demain
Et comme un ours, au-devant et par-delà
Par-delà et au-devant
La mer.
Je m’enroule
Comme un prétentieux contorsionniste
Je ne peux m’empêcher
De ne point contrôler
La singulière floraison qui de mon corps
Propre, jaillit
Et dérange la molle pâte du temps.
Contre moi le seuil
Le soleil, le vent
De l’iode l’impériale liqueur:
J’irai au levant
Si le ressac ne m’éponge.
Coincé ainsi face à la mer
Que puis-je, alors, bien faire?
Dans l’herbe tendre
Un pré-salé
Et un bouc me rogne le scalpe
Invoquant mon trickster
En croyant calmer mon tempérament.
Fut-ce celui-ci l’acte altruiste
Je ne pus déchaîner autrement la grille du triste
Clown aux mille dents
Qui me sourit sans malice
Non sans raison
Mais de sacrifice, au front de la salaison.
D’une incisive basse, je récupère mon secret
Enfoui, profondément, dépeint
Enfin, j’ai réussi une pensée.
Entre mes doigts, ou dans ma main
Avec indulgence
Je la regarde en fermant les yeux
Elle se déploie.
IV. Un jour j’ai vendu un chameau
Un jour j’ai vendu un chameau
Il n’avait ni mine, ni ciseau
Ni crayon pour un quelconque dessein
Il n’était pas très charmant
Aurait-il eu l’air d’une clameur
Du bas de sa lèvre supérieur
Il n’y avait
Une dent
Jamais peur?
J’ai tourné ma tête vers lui lentement
Il tourna la tête
M’aurait-il déjà pardonné?
Il revint vers moi un jour
S’en fut d’un cheptel en fuite
Je bégaye
Il, doucement, m’explique
Assis sur des bagues avec un chapeau:
« Tard, tard, le soir,
Quand la lune s’effondre dans le sable
Et que les yeux contemplent les étoiles
Hautes, où le cou se disloque dans les grimoires
Quand des cierges s’allument des caravanes
Je me suis souvenu, de ton regard,
Le destin sans gloire. »
Nos lueurs à l’auge de nos différences
Brillèrent côte à côte
Camarades
Charmeurs des entrechats
De l’Histoire
Nos dérisoires trajets
Ma trajectoire.
V. Sous les rapides
Abrité sous une cascade
Quand jouant parmi les rapides
J’abrite, myriade
Un rocher disparate.
Le courant qui glisse vers moi
Murmurant un cantique
Annone une clef
Pour délivrer son plain-chant.
Ah que la lumière est belle
Réfléchie dans la nuit
Claire de ses suppléments
Des louves et des grigris, des vagabondages
Un écureuil, sur le trépas consentant des fleurs
Passe
De sa jalousie des sommets
Me défie, et, de ses petites griffes,
Me masse.
Sous ses cliquetis j’imagine
Ce que nulle microscopie
Ce qu’aucun polyphonique vertige
Ce que nulle machine
Et nul belliqueux engin
Ne saurait me dire.
Dans cet environnement
Sans heurt et sans chemin
Je m’endors
Je ne sens rien
Je ne sens
Plus
Rien.
VI. Totem
Sur les fronts verdoyants des soldats
De joyeux totems, où le grisou s’ébat
Quand explose la colline
Au ventre aiguisé d’une mine,
Glissent parmi les hommes
Sans voix.
Les gardes applaudissent
Sans bien savoir
Ou ne sachant que trop
Que des luxes du pouvoir
On se distingue de l’échafaud.
Des comètes, comme de nouveau spectatrices,
Surgissent du ciel
Et les jeunes gens ébahis
Se jouent de la menace
Et rient.
Ils ne savent que trop
Que des luxes du pouvoir
On se distingue, presque sans le vouloir,
Du salvateur escabeau.
Des pieds sur les délirants magiciens
De tous bords
Sortent leurs manches
Des vrilles, des gardiens
Qui autour d’eux veillent
En un imposant
Service d’ordre.
Il n’y eut pas de police
Pour une si virulente manifestation
Quand aux remparts de la galère
Ils s’engagèrent dans les rues
Et étranglèrent
De la sainte armistice
La Cité en ruine
La Reine à son goulot.
Dans les fermes, ou à la misère
Joue contre joue
On se serre
On déjoue de l’horizon le puissant éclat
La colère
En imaginant ce que peut bien être une ville
Quand le ciel, ainsi échauffé
Devient rouge.
Il n’y eut pas de cri
Pas même de crime
Pour qui de tous les jours
Sourit à l’albatros
Et si à ces uniformes
On avait fait jurer
Au prêtre
Je suis sûr, sur ma main
Je l’aurais même parié…
N’y eut-il pas ce même ennemis commun
Ni même ce si cuisant allié
J’aurais eu force, et, courageusement
Tu aurais eu honneur, et clarté.
Précaution, à l’ombre et à la lueur
Je m’avance
Les bascules se balancent
Et bousculent les jets d’eau
En brumeux pompiers
Et silencieuses bacchantes.
C’est un ballet délicieux
Que de voir la ville en cendre
S’éteindre sous le tintamarre enamouré
Des miaou miaou
Des amants échevelés
De partout, on accoure
Et je me sens ravi de me joindre
À la cohorte de cette cour.
De partout, on vient
Et on continue à venir
La cité enfle
Et le maire semble alors
Prévenir
Que si nul, du néant
Ne sait aménager
La Vie
Il n’y aura pas un fonctionnaire
Et pour bâtir, il faudrait des volontaires.
Vaillant, un peu honteux,
Je me propose
M’ont-ils aperçu
Sous les mains qui, en l’air,
Pleuvent?
De prises alourdies
Dépité, je baisse la mienne
Et c’est le désert
Mais je n’ai pas de peine
Toujours tourne le carrousel
Et le shérif emmitouflé
C’est une charge
Passe
Et je ne peux, non je ne peux m’empêcher
À son galbe amidonné
De boire.
Le voilà, cette grondante
Qui hurle de rire
Prête à mourir
D’une fièvre jaune
Il s’anime comme un jouet, le diantre
Et d’une image à la seconde
Étire son large fouet
Selle son salon
Et part, part loin
Me laissant en ville
Et le malin
Dans la bulle
Dans ma main
Élimine les pourquoi.
Là-bas, silencieusement
Toujours s’agitent des fontaines
Qui, parodiant l’incendie
Au royaume des sirènes
Là-bas, autour de la vie renaissante
Allument un foyer
Un havre dilettante.
Je m’y enfonce sans y penser
Et des conséquences je ne sais la portée
D’actes téméraires
D’actes insensés
Et pourtant si salutaires
Aussi salutaires que la pensée.
La niche me recouvre
Je cours
J’aboie
À errer jusqu’aux carrefours
Des quatre chemins.
La guerre était finie.
VII. Cela dut être l’heure
En ce jour de longs calibres
La neige tombe, et nous rend libres.
J’ai hâte, de ce jour, de sortir
J’ai hâte de jouer à lever la tête
Me laver de mes absences.
En ce jour de grande fortune
J’appartiens, au monde, à ma présence.
Aussi cela dut-il être l’heure
Où de l’almanach je trouve ma juste saison
Je ne marche pas, je reste
Et je demeure sous cette dune concrète.
Il y a, là-dedans, de l’eau
Il y a, encore, les houleux matins.
Un perroquet gris passe, déteint dans les alluvions blancs
Ses sagesses alanguies.
Aussi cela dut-il être l’heure
Où du chapelet je tire, d’un briquet, une luciole
Et résout la candeur de cette masse blanche
Découvrant, du feu, la terre rouge et brune.
Sa voix est celle du roc en éruption
Et j’avoue avoir séché vite
Enseveli par la nature alarmée.
Toute la vie s’amasse
Et je deviens un foyer de neige
Pour le groupe pressurisé des voyageurs du temps
Du vivant éclos déjà, en route pour un destin anonyme
Du début et de la fin
Du bain où le demain, à chaque moment, s’affine.
Aussi, de devenir à moi-même ma propre terre
J’existe…
Je vais me taire.
VIII. L’orge et le prisme
L’orge se balance
Balayé, toujours
Depuis mille ans
Et s’approche
Progressif
Transgresse
D’une loupe
Et la lumière du prisme
Quand ses lianes étourdissent ma main
Au poignet
Sauvage, intense
Invasif.
Je, porte le message
Arrive au milieu d’un nulle part
Où aucun parage
Nullement hagard
M’agrippe au temps
Que je lasse à ma cheville.
Partout destiné à me suivre
Il s’incline, je cueille des bouquets
Tresse des couronnes dans le soir brun
Du bouc j’imite les tendances salines
Salivant ma parole
Et fuit autour de moi
Dans des signes capricieux
Priant à mon envol
Priant entre mes mains.
Je caresse son odeur mièvre
Son étrangeté
Qui se transforme
Se mue en d’hallucinants blasons.
Laissant son épileptique système
Aux arrières de ma psalmodique cargaison
Je, porté par une barque, découvre bassins et marécages.
Brisons de son cours les flots
D’une canne, les fonds, je touche
J’abreuve la boue magicienne
Ses pieds aux alouettes sereines.
Au portail, des monts aînés
De jeunes montagnes pointent leurs grands nez
De tentaculaires dentelles, à cette vue
Je sors, à cette longue vue
Le cercle gyroscopique de ma visée
Et les nuages, ces autres mousseuses incandescences
Forment une coupe autour de leurs têtes.
Guidé par un lièvre au bec singulier.
Écartant de notre chemin des grenouilles
Nous gagnons terre.
J’eus peine à retrouver le sens de la marche
Après avoir tant navigué
Dans les eaux du patriarche.
Cette vieille mémoire
A trouvé le repos
Et je m’en vais chercher, dans ses vers,
Les restes d’un cadeau que je lui fis
De naître, encore, chaque jour, dégradant les mille couleurs
De la présence continuelle.
Une guêpe vient m’instruire sur le déroulement du temps
Une taupe répond de sa non-science
Dit qu’il faut creuser, tant que l’on a l’existence
Et le faucon passe me faire saisir une vue plus vaste
À son image, conscience
La surface du globe, vue d’en-haut
Est bien différente…
Exister dans la mémoire passée
N’être plus ce déroulement
N’être que l’acceptation de la continuité sans marques
L’éternelle transformation
L’immuable recommencement
Voilà que mes genoux me délivrent…
Je n’ai pas terminé…
Mais qu’importe
C’est là que je dois finir.
Je me réveille, je me relève
On m’appelle pour manger.
IX. Hôtel
La commode, vieille et abîmée,
Verte et large
Au-dessous des cabrioles
Des vastes passages
Des passages vastes.
X. Boucle sur une joue
Si tu pouvais me convaincre
De me faire faire une boucle
Sur la joue, sur le rebond de ses yeux
Je le ferais, mais seulement
Sans raison
Je ne fais rien.
Dans ma salle de bain, un éléphant moderne
Puise, avec sa troupe
Et de sa trompe
Passe
Lance les adieux.
Il y a dans le jongleur
Aux automobiles qu’on manipule
Un cadre pour ma maison.
Je te retrouverai ce matin
Et partagerai mon repas
Radieuse compagnie.
Si tu pouvais me convaincre
Que du massacre des traites
Sur les boulevards
On adore commenter du toujours
Les délicieuses ignominies
Qu’on se heurte le corps
Et que de se jouer du front on regagne les terrains de la vie
Et parce que « si » est un autre à venir
Je suivrai le flamand rose et rond
Déchirer le ventre d’un lapin.
Son sang lui mouillera le bec
Et de sa grande silhouette
Il démembre la structure de l’espace.
La terrible brutalité
La concrète violente
Hante ainsi la vérité
Qu’à se cogner aux murs de la conscience
On n’en trouve aucun que l’inflexion ne contracte
Et nous en trouvons contraints à nous rallier, ainsi, à nous-mêmes
Remuer nos organes en deuil
Quand à la luxuriante jungle de nos espèces d’idées
Rebondissent les couloirs de nos cités.
Si tu pouvais me convaincre de la complexité de nos formes
Je pourrais alors demeurer cette anonyme nécropole
Et dans une résolution simple
Dénouer, de la sagesse, la rigueur.
Mais laisse-moi
Sur ta joue cueillir la boucle charmante
Et je te donnerai ma mienne monstrueuse
Le Moi qui vibre
Sous le vent délirant
Sous la lune dérivante.
XI. Hors
Hors du nid
Toujours
La présence
Du vide.
31/08/2010 Nice
III. Les nocturnes
1. Grive
Plume, échaudée
Sortir.
De l’eau de ma coupe
Illumine, l’or
La grive
Morte, ou endormie
Par le givre
Dort.
Te sortirais-je de là cent fois
Tu ne t’en trouverais
Que moins misérable
Si
Petit amas, dans la forêt
Du sable
Caresse adoucie
De l’orifice d’un globe
Mi-mot de l’esprit.
Je suis las d’être ce devant
Quand derrière moi, au loin, passent
À ma porte non-close
Les serments
Que je rate
Les grimaces
Les chutes de l’envers
Et à l’endroit qui vibre
Quand tes pupilles
S’illuminent
Vrillent
S’effacent
Je délimite ce que je désespère.
Tu es la grive au long pardon
Qui chasse l’heure, et de ses serres
Attache une mèche à ses cordons.
II. Silence
C’est quand, environnés par le hasard
À nos oreilles jaillissent des hameçons
Pour nous les tirer jusqu’au blizzard incertain
De ruminantes lunes
Contraints par l’espace et l’impression
De l’air jaillissent de puissants hameçons
Pour s’agripper jusqu’à l’incertain blizzard
Et dériver jusqu’à la limite
À rebondir contre les pores
Qui remplissent les dures cadastres
À nos oreilles des alluvions
Vaillants secrets de nos partages.
Ainsi, le silence à jamais, toujours déjà
Quand des moissons larges de larges faucilles
Tournent le soir en vain, apprend l’Homme et la nature
Des choses incertaines, et au soleil et à la lune, les valeureux destins.
III. Demain
Demain.
J’abrite la conscience
De l’enfant, je dérobe le jouet
Je dévoile l’existence et
Sans plus
De sentences
Il luit.
Déroutant vers moi, sur le chemin de terre
Il s’avance, le fétu de paille
Qui dans la bouche s’incline
Et se serre
J’avoue avoir réagi sans faveur
Devant l’étonnante censure
Grisant, de son éclat, la césure
Et délivre l’horloge
L’aiguille, au bout de l’Histoire
S’allume, et défie l’absence
De perception.
Les puits, se retirent
La nuit, le matin, à midi
Un soldat, une mère
Un glorieux principe, un embryon digital.
Je vais, je fuis, je viens
J’abandonne
Les mains en terre
Prennent racine
Et je mue, je grille
Un bras, au suc de l’Enfer
Délirant Paradis
La perversion
La sagesse
Le néant
Le rien.
L’enfant court
Lui aussi
Car le soldat
Prendre sa vie
Partager une pensée
Et soleil
Oui, le soleil
À midi
Éclipse.
IV. Cassis jalon
Le cassis, comme une boule
Boule, et s’enroule
Longe une piste, aux gerbes altruistes
Et cabre sa louange devant les quilles
De la sainteté maligne.
J’ouvre la bouche, tire la langue
Le filament, jusqu’à l’onde
Entre à l’éther, une seconde
Pointe gratis
Je vis, ton jus
Dedans mon palais
Trouve la raison.
Je ris, moi aussi, comme l’être fou
Qui se retrouve
Exhalaison, au concours
Discourir.
Tire, oui tire-moi comme la perdrix
Qui manque aux campagnes du Sud
Ou lâche-moi de l’élevage
Jusqu’au crépuscule.
Cassis, pourpre,
Dedans ma cuisse
S’écrase
Mauvaise idée
Grille d’opale.
De l’ivoire d’un quelconque animal
Je récolte les fruits
Et aux diamants du Saint-Esprit
J’offre, au jour nouveau
Une couronne de fleurs.
V. Mémoire dérivant
Mémoire dérivant
Il n’y a plus de guides autres
Que la divine Ours
Du cœur à la fabrique
De nouveaux songes
Je me perds dans les ravines
De roches blanches et bleus
Et d’ombres rouges
Quand sur la crête des icebergs
Surgissent d’effrayantes créatures
Qui dansent ensemble
Et, de la plante de leurs pieds
Vieux de leur héritage
Me lancent de monstrueux saluts.
Fascinés nous-mêmes par notre propre nature
N’a-t-on pas, de la déraisonnable attitude,
Voulu perpétuer l’étonnement
À la pâture
Pour dresser tout autour
Des tables
Les carillons de nos jugements?
Par maints ordres, je les entends déchirer
La fibreuse cale de mon vaisseau humble
Trop hardi pour la haute mer
Et m’en vais percutant
Du nez l’épine inévitable d’un virage
Et de ce tournant implacable
Laisse le sublime à son effondrement.
Mais par beaucoup
Du trop par trop lui-même
S’assigne une réalité
Je lui soutire
Sa couette, son divan
Je m’endors
La brise est fraîche
Le ciel noir, et aux étoiles
Je t’attends.
VI. J’attendais une compagne
Devant l’abricotier, à l’heure où l’on se bride pour jeûner,
Qui de son virginal pétale annonce le changement
Sur la rive, et de la berge
J’attendais une compagne.
VII. Joyeux drille
Sur les mains il teste du plafond
Jusqu’au parfum d’une jeune vierge
Une très ancienne coutume
Le joyeux drille
Passe le message
À sa tendre
Une mariée
S’épuise dans une larme
De joie
Le joyeux drille
En l’aiguille
L’air, cocorico
Écrase, dans sa paume, un poussin
Le raisin de l’adultère.
« Non je ne te tromperai jamais
Non, je te, à jamais, pour toujours
Serai fidèle
Du joyeux drille
J’ôterai les plumes
Je te prendrai
Oui
Femelle
Curieux animal
Pour femme ».
Aussi j’embrasse
Du joyeux drille
Le valeureux serment
Et offre à ma promesse
Envers la Vie pleine
Tout ce qui ne s’achète pas
Par le sang.
VIII. Aux armes
Aux vagues
Tiramisu
Un tsunami
Dans mon assiette
La vie, au lent soupçon
Se goûte
À la frontière d’un bonbon.
IX. Finir
Ligoté dans une grotte
À la clairière de l’instinct
Voilà que de l’indistinct
Je perçois l’indistincte colère.
Quelle misère donc
Si la vie, dedans le bocal
D’un appartement que l’on rogne
À l’ongle
Ne savait se tirer jusqu’à l’arc
Ou l’arbalète
Et s’élever, des racines
Jusqu’à la cime
Brisée
Des arbres
On ne pourrait alors
Enfants terribles
Enfants
De la paix
Qu’appeler, de nos gorges petites
Les manteaux de notre mère
Quand des pupilles jusqu’aux grivois
La jungle puise dans l’appui de ses missiles
Des hymens dans l’incendie.
Le fulgurant organisme
Jadis
Mystères
Et écarlate
Grime
Un visage
Une mémoire
Jubile, se ploie
Dans la poche du cabaret,
Pauvre subsistance d’un si riche filament
Qui grandit jusqu’à la piste qu’on imagine
Courbe
Encore, toujours, souverain
Mais non sans mal,
Le pont entre nous
À nous-mêmes
Quand des millions de nos espèces
Aux traits sinueux
Chantent à nos traits communs
La divine caresse sur la silhouette,
La pauvre, qui manipule
Au trépas des crépuscules
Et des futurs aux identités si remarquables
Le facteur le plus partagé
Du vivant jusqu’au minéral
À la recette de ce cocktail
Aux liaisons intimes
D’éclats artificiels
De couleurs vives
Dans l’astre imminent de l’éminent azur:
L’Ode, la lutte, la singeante absurdité
Qui de l’éternelle activité de cette Terre
Fait encore, toujours, souvent
À jamais obscur…
Le panache de l’Être humain.
01/09/2010 Nice
Poésie sans nom ni chemin
Les amants
Les amants
Étourdis
Sont comme deux pierres
Qui, regroupant leurs membres dans le lierre,
Enlisent au plus profond des ravins
Leurs cœurs
Et déchirent tous les incestes jamais commis
Quand ils brûlent
Dans leurs souffles
Barbares.
05/10/2010
dimanche 26 septembre 2010
Tout en vigueur
Du faucon
Fond
Le cygne qui pleure.
Londres (à Stephen – dit « Cochon » – et Lara)
Et à quelques centaines de kilomètres
Séparés par une mer
Deux êtres qui s’aiment
Peuvent encore se voir
Et s’aimer.
Il fallait pouvoir dire cela
À un vieil ami
Parti là-bas
Parti encore
Pour la revoir
Se laisser prendre
Un peu
Pour changer la pluie en soleil…
Mais la ville est bien trop exclusive.
Et à quelques centaines de kilomètres de là
Séparée par une mer froide et sombre
Il pouvait bien y rester ce foyer commun
Qui refusait
Oui, refusait de s’éteindre
Si bien qu’on pouvait y voir
Comme un de ces miracles de notre espèce
Si prompt à dédaigner
Que l’on soit de Mars ou de Venus
Si tant est que l’on puisse être de l’un ou de l’autre,
Au profit du désir d’être ce même Mars, et cette même Venus
Distinctement interceptés
Résistant au mélange
Et pourtant si proches…
Il fallait pouvoir dire cela
À ce vieil ami
Qui tenait pour distance
Tout ce qui n’était que temps non partagé
Et qui tenait pour temps non partagé
Tout ce qui n’était que distance soumise à la volonté
Tenace
Du désir d’aimer…
Moi-même, j’ai ce désir d’aimer
Et je veux le communiquer
À cet ami, j’ose dire que je veux
Communiquer cela
Mon propre désir
Ma propre fièvre de pouvoir
Prendre dans mes bras
Serrer, ne pas quitter
Mais, juste
Laisser aller… et puis laisser venir à nouveau
Pour que le va-et-vient devienne continuité et rythme
Et non une aplasie du cœur
Dont la lente chimiothérapie dégraderait la vitalité…
Et à quelques centaines de kilomètres d’ici
Il y a peut-être la mort ou bien la vie
Il y a peut-être le foyer d’un feu autour duquel seront installés des amis
Mes amis… d’un jour, d’une nuit
Ou d’une éternité de la mémoire humaine
Il y a peut-être un être aussi prêt que moi
À l’instant semblable
Désirant comme moi
Découvrir la sagesse du moment que l’on partage,
Comme le pain et le vin,
Et de la distance absolue…
Il fallait pouvoir dire cela à un ami
Qui se demande s’il y a une raison pour laquelle
Les êtres humains restent ensemble
Et s’unissent parfois sous d’heureuses heurs
Tandis qu’autour de leur appartement chamarré d’or
Foyer de la vie renouvelée
Et à des centaines de kilomètres de là
De lourds canons s’abattent sur les cimetières.
24/09/2010 Bezons
Les beaux esprits
Les beaux esprits sont comme des boas
Qui grivois dans l’enroulement
Lorsqu’ils s’enserrent
Amoureusement
Autour d’une victime
Réclament de leur beauté une raison.
Ils ne savent donc pas qu’à se dérouler ainsi
Fussent-t-ils les plus infimes
Au cou de la victime
C’est à la lisière d’eux-mêmes
Qu’ils abordent l’asphyxie.
Atrophiés dedans leur chance
Sur les pas d’une carence
Et décimant les espèces différentes
Les boas recherchent dans les sphères belles
Leur annihilante logorrhée
Les rumeurs de leurs fanges
Pour se caresser,
Mais s’étranglant alors eux-mêmes
Dans leur contorsion,
Le bout des ailes.
22/09/2010
Régresser
Et je me dénude toujours
à la lumière du jour
Au couché du
Soleil.
Vraiment, ce qui m’émerveille encore
C’est de voir son or
Se répandre sous le lisier des fleurs
Et l’infiniment plusieurs des coulis fragmentés de la Seine
Ou de quelconque autre courant d’eau, de tailles si différentes…
Mais, toujours le même
Moi-même je suis différent à
Moi-même, pour moi-même
Isolé du reste du sentir
Je participe à cette fragmentation du monde
Réuni sous le signe de l’acceptation du moment m, définitivement indéfini…
Je parle du reste du monde que je ne connais pas
Et j’invite ce reste du monde à rencontrer d’autres que moi
Pour que moi je demeure
Là, insatiable
Insaisissable
Jamais désuni, et pourtant si éclaté
Car j’aime, et me trouve encore une fois, et un, isolé.
Sa douceur est une pudeur
Qui me rend grâce
Et je suis gelé
Sous le poids d’une rencontre
Qui n’aurait jamais dû avoir lieu
Qui me réduit au silence, au néant
Au renouveau du toujours le même…
Qui je suis, et qui je resterai?
Il y a dans sa gravité une chanson misérable
Qui est un regard que je ne saurais soutenir
Car de tous les enfants turbulents
Je ne suis ni le meilleur
Ni le pire
Je me trouve sur la ligne moyenne
Qui oscille entre l’indulgence et la médiocrité
Je suis sur la ligne persane
Qui délimite la présence de l’absence, notre débilité…
De tout le pays d’où je n’ai connu aucune culture
Je ne retiens que la terrible absence de sens
De poids, dans nos mots pourtant si sûrs
Si plein de sens
Et mûrissant comme des fruits trop éclatés déjà de science
Je vois nos efforts vains devant la majestueuse leçon de la vie sur cette planète
Cet équilibre
Où l’être humain n’est qu’une branche
Dévalant les flots impérissables…
De mon pays d’où j’ai connu la rencontre
J’aurais pu verser une larme
Qui serait tombée du pont jusqu’au fleuve
Pour abreuver la mer de nos sanglots
Si présents devant l’absence
De réponses de nos parois graves et transparentes
Et pourtant, je me trouverais bien lâche
En aplomb de la silencieuse raison de cette pente
Et pourtant si raisonnable
C’est toujours mieux que de s’y jeter…
Et pourtant… qui sait ce que me raconterait ma chute?
En tombant
Que me raconterait la mémoire
De ces pays que je n’ai pas connu
De ces êtres qui les peuplaient
De l’amour sincère que je n’ai jamais osé affronter?
De mes illusions sèches
Que je leur confrontai?
Que me diront mon père, ma mère
Mes amis, et ceux qui ont pu m’aimer
Sans que je daigne
Sans que je daigne…
Mon Dieu, si tu existais, tu ne me verrais même pas
Je suis si petit
Un petit grain qui de l’enfance soutire au règne des choses
Le droit de régresser jusqu’à la vieillesse
Sans peine, sans regret
Quitte à n’avoir pas vécu
Mais, s’il te plaît
Avec au moins, dans le cœur
Une illusion de sagesse.
21/09/2010 Bezons
Les cinq poèmes du chat noir
Complicité sereine
Complicité se reine
Et s’enfuit.
Si seulement je savais
Comment la retenir
Car j’aime
Voir venir
Et ne sais pas
Jamais
Franchir le pas
Et attend, les autres.
Complicité sereine
Et chanceuse d’être
Quand à distance, je refuse
La chaleur triste et diluvienne
Le partage de l’ombre
La fuite des apparats.
Complicité se reine
Car je sais ne savoir toujours pas
Pour me montrer simple
Ne pas penser
Me distinguer du roi qui isolé
Autour de lui isole
Chaque jour
Les complots à réunir
Esseulé.
Complicité sereine
À ma tartuferie féminine
Et à sa reine complice
S’illuminent les aubes de la vie nouvelle
Je recommence
Par le seuil
Bref…
Je pense à toi.
–
Parfois, j’aimerais pleurer
En français, en langue mienne
Ma langue natale
Mais je suis si injuste
Envers moi-même
Je ne sais pas pleurer.
Une amie, quelqu’un qui me comprenne
Quelqu’un qui me comprenne, qui puisse être pour moi disponible
Et pour qui je pourrais
Enfin, être disponible
Serait-ce là une telle injustice
Envers elle que j’admire?
Faut-il admirer d’ailleurs, où l’admiration peut gâcher tant le regard?
Parfois oui, parfois je regrette
Mais c’est ainsi fait
Et je me suis ainsi fait moi-même
Que je ne sais, toujours, lier, envers quiconque
Aucune amitié.
Ne subsiste que l’estime
Et un constat amer
Pour un amer bilan
Pour qui se targue de sourire au jour
Tel que je me targue d’être un être de lumière
Et qui ne suis qu’ombre et tristesse
Je suis seul, et cela aussi
Est vrai.
–
Accepter
Car il faut savoir
Prendre avec soi
Sa vulnérabilité.
Parfois
Je pense à la mort
Je pense à la lasse locomotive
Mettant à bas
Une batterie de charbon
Et je suis moi-même las
De cette noire cargaison.
–
Cela ne justifiait pas un tel carnage
Mais au-devant de la bonté qui encore surnage
J’allonge le pas, me précipite
En courant vers le couvent
Dénicher des hordes de hasards
Délivrer d’absents et rêveurs criquets
Et griller sous le feu d’une liberté idéalisée, et indécise.
Je suis fragile comme une jarre trop parfaite
Dont on aurait de trop loin poussé et poli les traits
En y oubliant au passage la couleur de l’aurore
Et la splendeur du couchant.
Je suis là, silence bavard d’un vieillard obtus
Qui, penché sur son testament
Dont on aurait dû taire les sacrifices égoïstes,
Se fait lui-même sa propre confidence
Pour se crier, dans l’incessant jugement de sa danse
Sur tous les toits.
Je suis l’injuste coagulation du noir sur le banc
Traître
Car je suis noir quand je joue
À me reconnaître dans l’autre
Comme un poison à l’appel du châtiment
Le défi lancé aux sourds de n’être
Moi comme je m’entends.
–
C’est tout un apprentissage
D’oser se montrer nu
Au-delà de son ventre charnu
Glissent au passage
Des nombrils qui éternuent
Leur suave complaisance.
Oui, c’est toute une vie
D’apprendre à être
Impudique, de se croire au-delà
De toute raison, de toute détresse
Juste soi
Impérieux.
Si Je veut se montrer honnête
Je doit avouer l’horreur de sa fonction
Car Je est l’emmerdeur des morts
Qui se voit plus qu’eux-mêmes, dans son rêve
Le sauveur des vivants.
vendredi 17 septembre 2010, à 15:28
Aux illusoires du songe
Aux illusoires du songe
J’ai créé l’éternel de mots sans apparence
Depuis l’appartenance du temps
Jusqu’au dernier regret d’une grue aux cendres verdoyantes
Je me suis donné
Sans effort, sans triomphe
Sans dette
Si un jour on me demande
Combien il a été difficile de croire
Je répondrai que nous demandons à croire
En quoi croyez-vous?
Je crois en la continuation
Je crois que tant que l’on pourra avoir à dire «merci»
Rien ne sera totalement perdu
Et à qui dîtes-vous merci?
Dîtes-vous merci à l’hypothèse d’un monde heureux?
Le dîtes-vous au temps qui nous embrase?
Dîtes-vous merci aux heureux qui, à la lumière, s’embrassent?
Je dis merci à l’heure en effet
Car elle me rappelle que je suis là
Et nombreux sont ceux à qui nous pouvons encore demander
Et la silencieuse humeur du nord:
«Si jamais tu as été un ami sincère
Donne-moi l’heure de la voile
Car je suis seul désormais
Comme un garde-fou qui garde bien plus que sa propre vie
Mais un secret qui ne désespère
De n’être rien d’autre qu’une rumeur sauvage
Dans le temps qui n’existe pas
Et pourtant comme nous passons
Il passera
Car nous sommes là pour le regarder passer
Encore, et encore,
Veiller à ce qu’il n’en prenne pas ombrage».
11/07/2010
Matin sans son soleil
C’est l’ancre finale
Quand on a usé tous les artifices, tu sais
Qu’il est bon de partir
J’ai participé à des paix sans noms
Elle a disparue sous l’herbe et grasse est la tempête
Drôle de petit songe
Parfums de guerres
Goutte sur le front des hommes
Qui pensent pour ne pas penser
Qui aura de réponse assez brève
Pour les contenir toutes sans attendre
La vieillesse
Il est des personnes de sens et de raisons
Qui délivrent la roue libre avant l’horizon incertain
Par mesure d’économie
Il est des corps qui environnent l’indistinct
Pour se fondre avec le bonheur
Et le temps
J’avoue ne pas être, peut-être, assez sagement cuit
J’ai la fièvre jaune encore d’un sommeil patient
Le temps des réponses est pour le responsable une dette qui se partage
Et qui en ces temps partage la dette des pauvres en sauvetages?
J’ai assisté à des prêtres sans paroles
Des fenêtres sans brumes, sans encens
Des fêtes où l’esprit même ne s’en trouve qu’apaisé
Demandant plus, plus encore
Ne pas être seul
Ne pas être cheminant
Ne pas être là
Arrêter la machine d’un calme pendant de notre savante inertie
Prenons mot sur le sol et les semences
La moisson est une pluie pleine pour les jeteurs d’hameçons
Et je me prends toujours dans l’un d’entre eux en riant:
«Très bien! Je suis pris au piège!»
C’est tant mieux, c’est justice
Je finirai cuit point comme les autres
A point fermé, en sirène de bataille
Je crie, je siffle, je pointe, je hurle
Tapissée la tapisserie
Le mur de nos scrupules.
Dimanche 27 juin 2010 12h10
Inauguration
C’est fini
Il n’y a plus d’espoir
Il n’y a plus de temps
Il n’y a plus rien
Si je pouvais disparaître
Si je pouvais quitter
Si je pouvais partir
Ne rien laisser
Pas même la vague mémoire d’un passage
N’avoir pas été
N’avoir pas pu finir, pas pu commencer
Aujourd’hui, quelque chose meurt
Le cœur
Pour ne laisser que les mains
La tête
Et je serai vide de blessures
C’est fini
Fini ce nom
Fini de ce prénom
Ils sonnent depuis lors comme le grotesque, le ridicule
Le dérisoire
Les emprunts d’une naïveté touchante
De quelque chose qui a été à moitié fait, à moitié là
Un masque
Un masque mortuaire
Une personne
Ce nom est vide de sens
Il n’a jamais vécu
Il ne fit qu’attendre
Le moment de s’évider dans la raison
Et plus jamais
Il n’existera
Ne restera que l’absence
Un grand vide
Un grand trou
Une intimité qui s’enfuit
Un reste de chaos qui se résout
Se donne des ailes
À cette enveloppe
Pour que l’art s’échappe
Et que l’artisanat se mette en branle
Pour les espoirs d’autres qui s’ébattent dans le silence épais
De la brume
Oui, aujourd’hui, ce n’est pas un papillon qui renaît des flammes
C’est un oiseau qui s’élève, courbatu de tout
Dans la crainte de rien
Et tout entier certitude que, même abattu
Il restera à ces ailes de quoi accrocher à un trophée
Celui de la victoire de l’esprit humain sur sa propre folie.
Aujourd’hui où l’esprit et la vie scindés
Abandonnent une part de leur contradiction
Que l’esprit me quitte, et que la vie demeure
J’abandonne aux autres l’espoir de me juger
Comme disait l’autre
Je commence, commente, trempe la lame de l’humanité
Dans l’eau tiède de mes ulcères fatigués
N’étant pas digne d’être pauvre, je ne me plaindrai pas, certes
Je recevrai les flèches, je me pourvoirai de cibles pour les ricochets des balles
J’élèverai dès ce soir le front dégarni de nos idéaux
Et sur le tombeau aux fleurs fanées de nos valeurs
Je dis, dès aujourd’hui, n’espérez plus me toucher
Tannez la cible, tonnez la terre
Chassez à ma suite votre humble éclaireur
Je ne suis plus un homme
Je ne serai jamais un dieu
Mais le simple sacrifice
Du gibier qui est destiné aux hommes
Pour être abattu en plein vol
Dont la chute dessinera les lacunes d’un monde
Un monde que j’ai aimé
Un monde dans lequel je crois
Un monde que je regretterai
Mais jamais, oh jamais
L’illusion de la bonté
Seulement les faits dans la tourmente
Dus-je heurter, moi-même, à sa place
La terre d’où elle est née:
La bonté n’est pas pour moi
Question de droit.
Tuez à votre tour
Enterrez, chacun qui avez cru connaître
Celui qui a cru vous voir
Celui qui a cru vous regarder
Enfermé dans la cage d’une île emmurée
Le haut d’un phare à la visée duquel on voit le chemin
Dévissez de son trône la manière dont vous m’avez nommé
Prenez la garde de la naissance
D’un Oiseau de la Terre
Déployant des ailes
N’empruntant à l’albatros que la puissance
Et ne déchirant dans le ventre de la tempête que sa propre errance
Abandonnez, abandonnez celui que vous avez cru croiser
Abandonnez, libérés comme, d’une carcasse par des vautours
Régulateurs de la vie en notre endroit,
L’enfant qui déjà s’en est allé
Caillassant sa mémoire
Et contemplant une dernière fois, en s’éloignant
Cette humeur noire et chaude
Y voyant déjà naître les prémices
D’un vie décharnée, le squelette de la vie
Agiter des rumeurs dans le vent
Dans les convulsions d’une énergie impérissable
Agiter des serpentins d’idées éternelles
Comme le carnaval qu’on offre à ceux qui sont morts
À l’image de ceux qui ont vécu, à la mémoire de ceux qui naissent encore
À l’intention de ceux qui naîtront
Quittez, quittez la vision de restes moribonds
Ce qui nous attend est pire encore
Mais voyez d’en-haut
L’oiseau qui pleure
Et c’est de là que s’illuminera, peut-être, un jour
Une raison plus forte que nous seuls
La Joie de tout un ensemble
La Joie de nos croyances belles
La Joie de tout un espoir
Tandis que le faucon qui s’exécute dans sa descente
Et pèche dans la terre et dans l’herbe qui bouge
Récoltera et vous tendra comme une couronne
Serviteur loyal
Les rançons âpres et victorieuses
Les vitraux multicolores de nos cathédrales
Les rythmes incertains de nos mémoires actuelles
Les mélodies d’ivresses et d’oublis
Les rainures diluviennes de l’eau qui coule
Le long coulis de l’âme humaine
Sur l’écrin ganté de blanc
De notre incertaine Gloire
Qui toujours, encore et encore
Sur le front jeune des nouveau-nés
Se prend à rêver, et apparaît
Pour disparaître alors
Sur leurs ventres en un tâtonnement qui soudain s’alarme
Quand en tout vacarme, l’éveil du vide
Complainte éternelle, à nouveau
Leurs petits museaux courent
Au-devant des trésors affamés de leurs mères
Pour transmettre, de leurs tétons doux-amer, l’alcool enchanteur
Et dans un dernier et insouciant baiser
Plissent doucement les yeux vers les cieux bleus,
Où dans l’esprit tout puissant de la chair
Ils s’épuisent,
Puis soupirent
S’enroulent
Sur le seuil, puis le long du chemin
S’agenouillent, une clef à la main
Et le corps, le cœur et la voix
Tous pleins d’espoirs
Qu’ils lacent avec conscience
Avant que de décrier l’absence d’une Voix qui leur eut été fidèle
Leurs yeux qui jadis avaient contemplé les éthers
S’enferment dans leurs globes
Et c’est la fin des mystères!
Ils jettent des regards accablés tout autour d’eux
Et se jettent contre les arbres en priant que demain ne vienne jamais
Ils sont prêt à prier Dieu et à aimer l’air blanc qui les entoure
L’air transparent, l’air indigeste, l’air absent
Terrorisés
Et à deux yeux de la croyance suprême
-C’est un délit que d’en arriver à un tel dilemme –
Ils ne s’agenouillent plus et n’osent plus prier
Et leurs yeux dans leur astre encore
Vers qui? pour quoi?
Non ils ne savent plus
Vers qui les tourner?
Ils sont jeunes encore, ils ont tord de croire que l’insouciance est rebelle
Ils sont jeunes encore, et notre cygne à nous
Sur le lac de l’espérance
Est bien vieux
Alors ils tournent, tournent encore les yeux
Se remettant à croire qu’ils pourront vivre aussi
Comme eux
Eux qui jadis ont passé
Eux qui ce soir ont passé
Eux, devant qui la chance d’avoir un monde se plie encore
Et jusqu’au seul infini de la décision, fait signe de trois
Et dans une respiration une et retenue de tous
Sans jamais plus regarder en arrière
Se permet un dernier soupir
S’élance
Et roule.
11/11/2010
À ceux qui entendent, je veux dire ceci, que la terre n’est pas l’astre vain du soleil, que nous ne sommes vains que par le désir d’être la lumière qui nous obsède. J’ai été trompé. J’ai cru. J’ai cru que tout pouvait se décider sur l’instant. Je suis fatigué. Fatigué de tant d’efforts utiles. Que changerai-je si je demeure une métamorphose dans la brume? Que ferai-je en brûlant le papillon de la nuit devant le loup, et le cèdre? Aussi petit que je sois, je vois l’éclat des êtres qui parcourent la vie, et sur le filin des chapiteaux orgueilleux, je vois des singes qui paradent… Voilà où nos ancêtres nous ont menés. Voilà où nous finirons, où nous finissons…
Quel téméraire orgueil, si je ne pouvais aujourd’hui prononcer ces mots si durs: « je ne veux plus ». Non. Aujourd’hui, tout simplement, ce soir, hier, demain, je ne veux plus. Ce soir, je veux être éphémère. Ce soir, je voudrais renaître papillon de nuit, et me résoudre dans le destin simple des chantres de la lune. Je veux me recueillir au parfum des louanges du soir, et caresser dans ta chevelure le doux frimas des espoirs du monde. Si je pouvais ne plus être parcouru, et traverser en nombre de battements d’ailes, plutôt qu’en foulées humaines… Si tout pouvait s’effacer, si je pouvais abandonner ma charge pour t’accompagner… je le ferais, sans hésiter. Si je pouvais tout quitter de ce qui m’appartenait, et n’appartenir plus qu’au silencieux oubli de la nature, je le ferais. Si je pouvais abandonner tout ce qui fait peur, et gagner tout ce qui émeut, tout ce qui est confiance absolue, absence de crainte ou de méfiance, je le ferais. Si je pouvais disparaître pour renaître dans une autre condition, je disparaîtrais. Si je pouvais être cet aveugle mouvement, agitant ses écailles de soie autour du plafonnier de ta maison, je donnerais tout pour que tu lèves la tête, que tu me regardes, que tu sois intriguée par mon ombre. Mais je ne le peux, et m’évanouir serait un gâchis, et un manque cruel de conséquence.
Tu sais que je t’adresse ces mots. Tu sais que je suis blessé de ne pouvoir te les dire en face. Tu sais que je suis las de ces parades virtuelles. Je suis las de ma lâcheté, et pourtant si vulnérable. Aujourd’hui, la vie me redonne ce qui était mien tout entier: ma blessure. Ma blessure honteuse. Ce flot contradictoire de deux énergies en perpétuelle inflexion commune: une humeur noire qui toujours plombe mes appuis, et qui crie contre la vitalité indomptable. Je suis un animal, il serait tant de l’accepter. Comme nous tous j’ai fait dériver cette innocence brute vers une avalanche de croyance. Et je reste néanmoins cet animal sauvage prêt à se rappeler à quelle forme il a dédié sa jalousie.
C’est vers des chemins sans compromis que je jète des cailloux sur le sentier, et si c’est pour ne plus jamais te revoir, je t’embrasse de tout mon imaginaire, et te dis encore, et encore, tout l’amour que tu ne saurais comprendre.
Tout ceci est réel. Nous partageons bien ce moment. Je suis bien là, debout, en train de vous parler. J’ai le visage grimé de noir, le torse nu, les couleurs à mes jambes. Je suis bien fou, et vous écoutez le fou comme s’il s’agissait d’une personne tout à fait ordinaire, banale… Mais si je meurs demain… Si demain, alors, j’arrête d’être, si soudain la force des évènements m’enlève à la vie… que deviendra l’espoir du garçon que j’ai été, que je suis, que j’ai porté, que j’ai osé ouvrir devant vous? Que deviendra ce quelque chose de vulnérable, cette sensation de ce qui va mal dans les augures à venir, et de ce qui pourtant est si bien lorsque je pèse le cœur de ceux qui vivent? Nous détruisons notre monde. Le monde que j’ai connu semble perdre espoir. Si je meurs demain, que vous dira encore la mémoire d’un moment de théâtre, qui n’est peut-être pas la vraie vie, mais qui au fond est porté par elle? Le théâtre n’est rien. Le théâtre est un tissu d’accords liés entre eux. Le théâtre est la manière d’aimer le théâtre, d’aimer la vie humaine, la vie consciente. Mais si demain la vie s’échappe, la vie s’en va, la vie sort de nos corps, que restera-t-il de ce moment que nous n’aurons su retenir? Saurez-vous retenir ce moment, en pensant très fort qu’il ne nous appartenait pas à nous, acteurs, mais à nous tous qui nous regardons faire et vivre, parce que nous n’avons que ça à faire: vivre. Nous sommes nés pour vivre et non pour mourir. Dès le premier instant nous avons vécu, tout le pendant nous nous serons vu vivre, et jusqu’à la fin nous nous porterons vivant, pour rester vivant dans le cœur de la mémoire de ceux qui vivrons encore et continueront à se battre pour ça. Le théâtre n’est pas anodin. Le théâtre n’est pas une question de corps de métier! Le théâtre c’est une question de vie ou de mort, parce que nous nous engageons à tenir tête, tous ensemble, à rassembler l’amour et la colère qui nous ont mis au monde pour vivre, corps et âmes, esprits. Nous nous engageons en tant que personnes, lorsque nous montons sur scène, et lorsque nous descendons de scène, et dès que nous rentrons dans l’enceinte d’un théâtre ou d’un espace dédié à l’art à la création artistique, nous engageons l’humanité entière dans notre qualité d’humain. Oui, chacun… L’humanité entière et son sens suivent chacun de nos pas à l’intérieur de cette enceinte… Parce qu’il s’agit de ça! Nous avons fait un choix. Nous avons choisi. Nous sommes là, ensemble, réunis pour nous sentir être et vivre. Nous avons eu le sens, nous animaux, de créer des espaces de considération et d’amour, de mesure de ce que nous sommes; des bêtes, perdues entre mille, des êtres vivants, à l’énergie inépuisable, des êtres humains, capables d’êtres bons, heureux, joyeux, et même vertueux! Et si jamais demain je viens à mourir, par accident, par infortune… je perds tout ça, mais aussi je sais pouvoir laisser aux autres, qui allongent dès à présent le pas, ma confiance, la confiance qu’ils continueront à lutter pour faire de ce monde un monde juste, à la hauteur de ces milliards d’espoirs.
C’est pourquoi le moment du Théâtre, sous toutes ses formes depuis la nuit des temps, est et doit rester le moment intense, fragile, extrême, radical, invasif, tendre, drôle, triste, responsable et exemplaire, de la solidarité entre les êtres d’une même espèce.
Au désespoir de trouver un jour une cause
J’appose une prière
Je suis las de porter en moi-même une rançon
Je suis las de t’attendre
Ô amour, délicieux et si tendre amour
Je suis fatigué d’être triste de toi
Fatigué de couler le long de ma colonne
Des larmes de falaises
Indéfiniment fidèles face à la mer
Qui depuis la fin des jours
Le sac et le ressac
L’aime et le savoure
Ce vieil Athénée
Déchire le flan de l’impuissant rocher
Qui depuis la nuit des temps
S’affaisse et s’incline
Sous la courbe insensible
Du soleil
Oh oui, je suis las, si fatigué
Épuisé par l’incessante vague
Déchiré par la plainte de tous ceux qui flanchent sous le poids
Ceux qui se croisent
Sans jamais oser se regarder
Serons-nous pareils à ces querelles intimes
Ces querelleurs étrangers, qui semblent se connaître?
Je ne peux prétendre à cela
Je ne peux même le souffrir
Je ne peux que ne pas te connaître
Tout au plus cela n’est pas un souhait
Au moins, une résignation
Je terminerai avant même de commencer
Et tu te tairas
Vers moi
Pour avancer.
07/12/2010
Scènes de théâtre
Celle de celui qui donne l’abricot
Jérémy Douville Ortega
(Entre une jeune femme poursuivie par un jeune homme. Ils tombent à terre. Elle lui résiste.)
- Non! Lâche-moi!
- Attends!
- Laisse-moi!
- Mais tu vas m’écouter!
- (Lâche finalement prise. Ils s’embrassent, s’enlacent.) Non! Laisse-moi!
- Reviens! (Il l’attrape par la cheville et la refait tomber. Il se jette sur elle et réussit à la bloquer.) Écoute-moi!
- (Elle lui crache à la figure.)
- Ah! Furie!
- Obsédé!
- Mais reviens donc! (Il la bloque ventre à terre, s’essuie le visage du revers de la manche. Finalement, il lâche prise et se relève.) Et puis merde, vas-y, j’ai pas envi de me battre.
- Tu abandonnes si vite?
- (Il s’assied sur un banc.) Comme tu dis.
- (Elle s’assied par terre, se recoiffe.) J’aurais aimé que ça dure plus longtemps.
- J’ai le souffle court.
- Ce n’est pas juste.
- Juste pour qui?
- … Pour tous les deux.
- Parce qu’il y a un tous les deux?
- Tu me harcèles sans cesse.
- Je veux juste te parler.
- Pour me dire quoi? Je t’ai déjà dit que je ne pouvais pas t’écouter. C’est ton problème. Cesse de me tourmenter avec ça.
- … Au revoir donc. (Il s’en va.)
- Au revoir… Attends! Reviens!
- Quoi?
- À quelle heure est le dîner demain?
- … Je ne sais pas. Neuf heures?
- C’est pas plutôt huit heures et demi?
- Si tu le sais pourquoi tu me demandes?
- Non mais c’est juste comme ça, moi j’m’en fous, je veux juste pas arriver en retard… ou en avance d’ailleurs. (Pour elle-même.) Je sais pas pourquoi je m’acharne…
- Comment?
- Non rien…
- Bon. Au revoir alors.
- Attends…
- Quoi encore?
- Tu veux pas rester un petit peu avec moi encore?
- … Bon, d’accord, mais pas longtemps.
- Tiens, viens, mets ta tête sur mes genoux.
- (Il s’installe.)
- (Elle lui masse le visage, lui coiffe les cheveux.) Tu te souviens de ce que disait ma mère quand tu venais à la maison?
- … Oui…
- Elle disait: « oh! Voilà encore le charmant garçon! » Elle était tellement fière…
- … Pourquoi tu me parles de ta mère?
- J’sais pas… J’y pense, c’est tout. J’aime pas ce qu’on est devenu.
- Qu’est-ce qu’on est devenu?
- Trop proches… ou pas assez. Pourquoi tu as rompu?
- Parce que je ne t’aimais pas.
- Et pourquoi tu veux revenir alors?
- Parce que je t’aime.
- Tu vois que c’est toi qui n’est pas cohérent.
- Et toi qu’est-ce que tu veux?
- … Moi j’en ai marre de m’en prendre plein la gueule.
- Aïe! Tu m’as fait mal, attention!
- Désolé, je l’ai fait exprès.
- Et béh… bonjour la confiance.
- Parce que tu me fais confiance?
- Non, je n’ai aucune confiance en toi.
- C’est pour ça que tu m’aimes?
- C’est pour ça que je ne t’aimais pas.
- Et tu m’aimes maintenant?
- … Je n’sais pas. Tu poses trop de questions. Je m’y retrouve plus. Je sais plus trop.
- Moi je ne sais pas si je pourrais t’aimer un jour.
- Pourquoi?
- Je sais pas… Y’a quelque chose… On s’amuse bien, on fait un peu semblant, c’est touchant… Mais au fond, on recherche tous les deux quelque chose d’autre peut-être… je ne sais pas.
- Ou quelqu’un.
- Ou nous-mêmes.
- « Deux perdus ne font pas un trouvé. »
- Oui…
- Sans doute…
- Et toi, ta mère, elle m’aimait bien?
- Oui, je crois…
- Moi je l’aimais bien ta mère.
- … Je t’aime…
- Moi aussi je t’aime. (Ils s’embrassent.)
- Pourquoi on recommence toujours la même chose, les mêmes discussions?
- Parce qu’on n’a que ça à faire. La vie est si longue en purgatoire…
- Mmh… (Elle tripote ses cheveux. Il la regarde.) Mets-toi toute nue…
- Pourquoi?
- Parce que j’ai envi de te voir toute nue.
- … Moi aussi je t’aime.
- Pff… Tu ne m’aimes pas.
- On va pas coucher ensemble à chaque fois qu’on se fait l’amour avec des mots…
- Et pourquoi pas?
- Parce que… Je veux pas rester toute la journée à faire « aaah » la bouche ouverte avec la langue… Pourquoi on sort jamais?
- … Tu veux sortir?
- Bien oui, c’est quand même étroit ici.
- … Mmh… On sortira…
- Demain?
- Si tu veux.
- Ça veut dire jamais.
- Ça veut dire si tu veux.
- Ça veut dire que t’as pas vraiment envi de sortir.
- Mais si, si ça te fait plaisir.
- Non. Je veux pas sortir si t’en as pas vraiment envi.
- Bon bah alors on sort pas.
- … (Guillerette.) Et quand est-ce qu’on voit tes amis?
- Julien vient dans deux jours purger la chaudière.
- On purge pas une chaudière.
- Bien sûr que si.
- Et puis j’ai pas envi de voir un plombier, je veux voir tes amis.
- Julien est un ami.
- … Et t’as pas des amis qui sont pas plombiers?
- Tu voudrais qu’ils soient quoi?
- J’sais pas moi… chauffeurs de taxi…
- Tous?
- Peut-être pas… mais au moins deux ou trois, ils auraient des chose à raconter, et ils sauraient de quoi ils parlent! Et nous, même si on comprenait rien, on s’amuserait quand même de les voir s’entendre!
- (Il sourit.) Peut-être. Mais j’ai pas d’amis chauffeurs de taxi.
- …
- J’ai deux amis informaticiens.
- Oh…
- Bah quoi?
- Les amis informaticiens ça sent le renfermé…
- … Bien on les aèrera.
- Toi t’es vraiment le plus chou! Je t’aime!
- Oh et moi aussi! (Ils s’embrassent.) On fait l’amour maintenant?
- Oh! (Elle se lève, le laissant tomber. Elle s’arrange les cheveux devant le public, puis jette sa brosse. Elle se met les cheveux en bataille.) J’en ai marre d’être une fille!
- J’en ai marre, j’en ai marre! Tu sais dire que ça!
- Toi tu sais pas! Déjà rien que si t’avais des seins et des règles, tu comprendrais!
- Misère…
- Je ne comprends pas… Je ne comprends pas comment les hommes sont faits… comment les femmes sont faites… (Elle glisse sa main sur son ventre, atteignant son pubis.) Pourquoi… la chair… jouit-elle? Pourquoi… le corps…
- Pense-t-il?
- C’est sûr que vu la taille de la tête d’un pénis, ça doit pas réfléchir beaucoup.
- Et la votre alors!
- Nous… Nous la tête de notre sexe est cachée… cachée… elle est tout l’intérieur… Le reste, ce qui est dehors… ce n’est qu’un cheveux… un cheveux d’ange…
- Pff… Nous aussi c’est un cheveux d’ange…
- N’importe quoi! Vous, c’est un poil! Un poil de je ne sais où! Vous savez même où il se trouve!
- Hein hein… Très drôle. Allez, viens te rasseoir.
- Non. Non moi je reste là, face au miroir. Je suis bien. Je me vois. Je suis moi. Je suis femme. Je suis belle parce que je suis femme. Et toi tu es beau parce que tu es homme… Et je l’aime bien ton poil… Mais toi tu m’énerves!
- Oh! (Se vexe.)
- (Courant vers lui.) Mais non! Toi, tu m’énerves parce que je t’aime, et je t’aime parce que tu m’énerves!
- C’est bien ça qui m’chiffonne.
- Pourquoi ça t’chiffonne mon bébé?
- C’est toi l’bébé! (Il l’attrape et la renverse sur ses genoux.)
- Ah! (Ils s’embrassent.)
- Oh et puis! (Il se relève.) J’y vais, ça m’énerve.
- Tu n’es pas drôle.
- Pourquoi? Parce que je refuse d’être le chevalier servant de mademoiselle?
- Non, mais parce que tu ne me crois pas.
- Je ne te crois que trop. (S’habille pour sortir.)
- Tu pars où?
- En Angleterre.
- En Angleterre? Pourquoi ça?
- Mais non, niaise! Je vais voir Amed.
- Oh lui, je ne l’aime pas.
- C’est pas étonnant, avec ton éducation raciste.
- C’est pas parce qu’il est gris que j’l’aime pas!
- On dit pas « gris », ça s’fait pas.
- Papa disait comme ça…
- J’ai jamais aimé ton père. D’ailleurs, j’ai jamais aimé tes parents.
- Et tu crois que j’peux pas m’améliorer? Tu crois que c’est parce que t’aimais pas mes parents que tu peux pas m’aimer? Je suis pas mes parents!
- Non mais t’es quand même une sacrée petite peste!
- Et toi un phallocrate crétin!
- Petite garce!
- Tête de turc!
- (Il avance à grand pas vers elle, et la somme.) Je te somme de te taire!
- On n’est plus au Moyen-Âge!
- Non, mais on est encore en France!
- Et bien la France ça pue l’cochon!
- En France on a des valeurs!
- En France y’a plus d’français!
- Tais-toi! Tout citoyen français est français, quelle que soit sa couleur de peau!
- T’es étroit! Ça veut rien dire la citoyenneté, on est tous égaux devant Dieu!
- T’as jamais cru en Dieu, hypocrite!
- Oui mais ça vaut mieux qu’une République à deux sous!
- La République c’est tout ce qu’il nous reste!
- Alors il ne nous reste plus rien! (Silence.)
- Où en sommes-nous arrivés?…
- Au point de non-retour mon chéri. Je suis une femme, tu es un homme, à quoi tu t’attendais?
- À ce qu’on grandisse moins vite.
- Et pourtant on est là, et tu brandis ton poing sur moi, tu ne sais plus de quoi tu parles.
- Toi non plus, tu mélanges les plans. Politique, privé, affectif, étranger, qu’importe, tant qu’on se bat l’un contre l’autre, tout est bon…
- Il serait tant que le monde change… (Petite pause.)
- J’y vais.
- Attends!
- Quoi?
- Aime-moi…
- Pourquoi?
- Parce que si tu pars, que me restera-t-il? Je ne suis pas faite pour dire que je suis seule alors que tu es là… Je veux que tu restes là… sil te plaît… S’il te plaît… pour l’amour de nous, aime-moi… J’en ai assez des mots qu’on use… J’en ai assez d’être seule même quand tu es là, simplement parce que j’ai peur de le dire… Aime-moi je t’en supplie… Ne soyons pas seuls…
- Nous sommes seuls…
- (Après un silence.) BATS-TOI! BATS-TOI! BATS-TOI DIEU DU CIEL! BATS-TOI!
- Mais tais-toi!
- Je te déteste!
- (Il envoie valdinguer une chaise violemment.) MAIS CONTRE QUOI TU VEUX QUE JE ME BATTE! CONTRE QUOI?
- Bats-toi pour moi! Arrête d’avoir peur!
- J’ai pas peur! J’AI PAS PEUR! JE NE T’AIME PAS!
- Alors bats-toi pour avoir peur! Salaud! (Elle le gifle. Il se jette sur elle. Tous deux tombent à terre. Elle se débat.)
- Calme-toi! (Il arrive enfin à la bloquer. Moment d’arrêt. Ils s’embrassent.) Non! Je n’peux pas.
- … Alors c’est ainsi… On va toujours recommencer, encore et encore…
- On n’y peut rien. C’est dans nos gènes, puisque Nietzsche l’a dit.
- Ah… Nietzsche… La philosophie…
- S’il faut choisir entre la philosophie ou l’amour, je choisis la philosophie.
- … Alors ce sera sans moi… Je te laisse faire le choix de vieillir seul. Moi je ne veux pas me battre contre toi.
- Tu peux me battre.
- Mais ce n’est pas un combat!
- Alors c’est quoi?
- Mais c’est l’amour bon Dieu!
- Arrête de jurer! Et s’ils t’entendaient?
- Et bien quoi? Bannis comme nous sommes, voués à recommencer, jour après jour, la même tâche régulatrice, le même cycle menstruel… Mais nous perdons notre sang, nous perdons notre sang dans nos batailles… Elles sont sans fin…
- Nous vivrons.
- Mais nous mourons déjà.
- Tu donneras la vie.
- Quel empereur es-tu pour m’en donner l’ordre?
- Je suis moi.
- Ah! Et quel moi impérieux!
- Et quelle impérieuse volonté est la tienne! N’as-tu pas cherché à dominer l’absence d’homme dans tes bronches?
- Et je respire un bien meilleur parfum depuis que tu es parti. Hors de ma vue!
- Tu ne m’atteindras pas!
- Je t’attendrais! Et si jamais tu crois pouvoir chercher à m’enfanter sans te battre pour me garder, tu te fourres le doigt dans l’œil!
- Très bien! Rendez-vous dans une heure!
- Fuis, guerrier volant! Fuis! On verra ce qu’il restera de toi quand tu reviendras de dehors! Fuis!
- Je reviendrai.
- Et nous aurons bien changé alors.
- Que veux-tu dire sans cesse?
- Je veux dire que nous sommes définitivement l’un envers l’autre.
- Avec toi, plus rien n’est pareil.
- Avec toi, c’est toujours pareil, il n’y a jamais de demain, alors ce n’est jamais pareil, ce n’est que toujours.
- Tais-toi, tu ne sais plus ce que tu dis.
- Et toi?
- Moi, quand j’ai appris que tu ne voulais pas venir avec moi, j’ai cru que c’était pour rire, mais je le crois maintenant, tu ne veux pas quitter cet endroit, tu ne veux pas quitter ce flambeau qui se brise, tu ne veux pas quitter la ville abattue, tu ne veux pas chanter pour moi, tu ne veux pas chanter pour la vitalité de l’espèce. Tu ne chantes que pour toi-même, que pour ta tristesse.
- Je suis ta muse.
- Tu es damnation.
- Nous sommes.
- Tu es. Et je suis. Donc nous sommes.
- Non, nous sommes.
- Tu es épuisante.
- Certes, je ne le serai jamais assez pour te suivre autre part, dans une autre vie, dans un autre espoir.
- Alors suis-moi ici.
- Je t’ai déjà demandé de m’aimer.
- Tu ne m’as rien demandé du tout, tu m’as dit: « Aime-moi. »
- Je t’ai supplié.
- Tu as mendié, et la mendicité me répugne.
- Je t’ai supplié de m’écouter être sincère. Je t’ai supplié d’être sincère. Je t’ai supplié de me regarder!
- Tu m’as supplié de répondre à tes caprices.
- Je t’ai supplié de répondre de notre histoire… Nous avons vécu des choses ensemble, beaucoup de choses… Ce n’est pas que physique ce que nous avons vécu, ce n’est pas sans issue… Dis-moi que ce n’est pas sans issue…
- Et nous continuerons à en vivre, des choses que l’on pourra se raconter.
- Tu n’écoutes que l’histoire… moi je te parle d’un monde sans histoire, un monde de passage, un monde du souffle, un souffle, un début, un pendant, une fin, et plus jamais d’absence, plus jamais…
- Non.
- … toujours au moins la présence de soi-même dans l’autre…
- Utopie.
- Rêve.
- Rêverie.
- Concrète.
- Arrivera-t-on jamais à nous aimer? (Elle se jette sur lui. Ils s’enlacent.)
- Arrête de penser, toi! Toi! Toi! C’est toi! C’est toujours toi!… Sois! Sois Toi! Ce Toi que je vénère!
- Ne me vénère pas!
- Mais si!
- Non!
- Même si la terre se met à trembler, sois, pas pour toi, pour les autres. Sois, pour moi.
- Alors ce sera peut-être pour moi quelque chose, en effet…
- Te sens-tu mieux?
- Non… Ou alors…
- Je te regarde…
- … Bien mieux, merci… Mais il y a encore quelque chose.
- Quoi donc?
- Tu ne t’ennuies jamais de la vie que nous avions avant?
- Mmh… Jamais! Et toi? Regrettes-tu encore le soleil?
- S’il pouvait réapparaître, je lui dirais de fuir. S’il refaisait surface, je lui dirais de se cacher encore? S’il voulait t’enlever à moi, je lui trancherais les rayons, et m’en ferais des cure-dents…
- Ah ah! Quelle folie ce serait!
- Et pourtant… Nous savons qu’il ne reviendra pas…
- En tout cas, pas sous la forme qu’il empruntait jadis au jour pour nous tromper…
- Nous nous croyions vivants…
- Il nous fallait perdre tout espoir pour vivre et vouloir vivre à nouveau.
- Je crois en effet que parfois l’espoir nous écarte de l’action.
- Aime-moi…
- Nous ne vieillirons pas ensemble…
- Embrasse-moi…
- Nous n’aurons jamais d’enfants…
- Prends-moi…
- Nous ne nous comprendrons jamais…
- Écartèle l’espérance…
- Et pourtant, nous restons à jamais…
- Unis…
- Indissociables…
- À l’image…
- … Quoi?…
- De l’homme et de la femme, chéri… De l’homme et de la femme.
20/12/2010
Les noces du diable
Jérémy Douville Ortega
En un Acte.
(Tous deux entrent. Le premier s’assoit à un bureau.)
- Bon… Que sais-tu?
- À quel sujet?
- N’avons-nous pas parlé longuement la semaine dernière?
- … Si.
- Et bien? Que sais-tu de plus aujourd’hui?
- (Il s’assied à une chaise à deux pas.) Et bien…
- T’ai-je demandé de t’asseoir?
- (Il se relève.)
- Assieds-toi. Vas-y, je t’écoute.
- Bien, j’ai composé le poème que vous m’aviez demandé…
- Excellent! Puis-je voir?
- (Il sort le papier de ses affaires.) Tenez.
- « Des lueurs instables, il demeurait quelque clarté.De même, dans mon cœur, demeurait-elleCette étrange candeur, pleine de charité
Et je n’avais pas de peine
Mais c’était douloureux à voir
Attristée de remord
Comme elle pleurait. »
C’est bien. Encore une de tes conquêtes? (Il rit.) Ah! Détends-toi, je n’suis pas si méchant, tu verras! Que t’a-t-on dit au juste à mon sujet?
- … Euh… On m’a recommandé à vous… mais on ne m’a pas dit grand chose…
- (Il se retourne vers lui.) Ah bon? On ne t’a pas dit grand chose? Elle est bonne…. Ah oui! Elle est bonne… On ne prend même plus le temps de me tirer le portrait avant de m’envoyer un apprenti, jouvenceau, puceau, bien comme il faut, mais sans cervelle, manquant de tonus, d’énergie, de prestance! Mais somme toute, vous écrivez convenablement. (Il relit.) Oui… Oui oui… Bon! Alors, comment était-elle?
- … De qui, qui ça monsieur?
- La fille, idiot! La fille qui vous a conseillé et envoyé vers moi! Comment était-elle?
- Euh… bien…
- Peuh! Bien! Eh béh… « Bien »… Bon, bon bon bon… Par quoi va-t-on commencer…
- Et… mon poème?
- Ah oui tenez, je vous le rends, merci. (Il se lève.) Bon… Et bien, levez-vous, levez-vous, ne restez pas comme ça, vous me faîtes de la peine. Bon, d’abord, tenez-vous droit, ouvrez la bouche… Oui… Dîtes: « Bien. »
- … Bien.
- Mais non! Dîtes: « Bien. »
- Bien.
- Mais non, triple idiot! Et les guillemets alors!
- (Ne comprend pas.)
- Ah ah! Heureusement, vous avez de l’humour. Bon rasseyez-vous.
- Mais…
- Taisez-vous. J’écris. Vous remettrez cette lettre à cette… charmante personne qui vous a conseillé de venir ici, et je vous prie de ne plus revenir s’il vous plaît.
- … Comment?
- (Relève la tête.) Je n’ai pas été assez claire?
- Mais…
- Mais quoi? Pourquoi? Vous voulez que je me justifie peut-être? Vous me jugez peut-être? Vous croyez qu’avec le peu que vous êtes, de votre petite vue, vous pouvez me juger peut-être. Rasseyez-vous! Qui a composé le Sacre du Printemps?
- Igor Strawinsky.
- … Bien, restez assis. Vous commencerez par me dire, sans répétitions, en prenant des temps si vous voulez, pourquoi vous êtes ici.
- C’est-à-dire?
- Vous posez des questions?
- (Silence.) Je m’apprêtai à traverser la rue, un jour… Il neigeait. Je n’étais pas vêtu convenablement, et le froid me pressait. En traversant, je n’ai pas fait attention, et une voiture m’a renversé… Je suis resté inanimé. Des badauds ont accouru, et à un moment donné, un clochard m’a recouvert de sa couverture… C’était un duvet avec des fleurs… Le pauvre homme est reparti, et l’ambulance m’a emporté avec la couverture. Quand j’ai pu rentrer à la maison, ma mère m’a demandé pourquoi je voulais la garder, elle semblait ne pas vouloir comprendre… Finalement, elle l’a lavée, et je m’en sers toujours. Je n’ai jamais retrouvé l’homme… Depuis, j’écris parce que j’ai mal souvent à cause de l’accident, ça calme la douleur…
- Es-tu puceau?
- Comment?
- Es-tu vierge?
- Mais… c’est bon, arrêtez…
- Mais quoi chochotte, j’te pose une question!
- Non, j’suis pas vierge alors foutez-moi la paix!
- Oh tu veux jouer au plus fort!
- (Il se lève en emportant ses affaires.) Merde! Je rêve! Si c’est comme ça!… Faut vous faire soigner!
- (Lui attrapant le bras et le rejetant par terre, puis sortant une arme de son tiroir et fermant la porte de l’appartement à clef.) Couché! Tu voulais rester, tu restes! Alors, maintenant, assieds-toi je te prie. Tu veux rêver? J’ai dit assieds-toi!
- (Il s’exécute.) Vous êtes taré, vous l’savez ça? C’est quoi votre problème?
- Tais-toi. Faut qu’on cause toi et moi.
- Causer de quoi? Vous savez que c’est de la séquestration ça?!
- Et bien quoi? Vas-y, gueule! T’as payé pour un cours, tu veux un cours, moi je te donnes le seul cours que personne ne te donnera. Qui voudrait donner un cours à tel attardé, novice! (Il y a un silence.) Où es-tu né?
- Qu’est-ce que ça peut vous foutre?
- (Il arme son révolver.) Devine.
- … Je suis né à Paris.
- Ah… un enfant de la ville…
- J’ai vécu un temps à Nantes avec mes parents, puis on est revenu ici.
- Que font tes parents?
- Mon père est journaliste, et ma mère rééducatrice.
- Tu veux dire qu’elle fait de la rééducation. Ah, les beaux métiers… Ton père est journaliste, où ça?
- Au Monde Libre.
- (Il acquiesce.) Ah… Eh béh.. Belle éducation… Certes, certes… Je comprends maintenant la mollesse éléphantesque… Ballot de pierres alors dans l’éléphant…
- Vous êtes écœurant… Laissez les gens tranquilles.
- Et bien pourquoi t’es v’nu?! Quand je t’ai posé la question, au lieu de me sortir ton mélodrame, pourquoi tu m’as pas dit: « pour voir ta tronche en vrai et pouvoir raconter à tout le monde que j’t’ai vu, un beau connard! »
- On m’avait dit que vous étiez irrécupérable…
- C’est vrai. Mais bon, comme dit le dicton: « personne n’est parfait. »
- Ça c’est sûr.
- (Il sourit.) Bah tu vois que tu commences à prendre tes aises. Bon, allez, raconte-moi un peu, qu’est-ce qui colle à la peau de Diderot?
- La guillotine. Ou l’Encyclopédie.
- Tu crois?
- …
- Vie ou mort?
- … Vie?
- Mort. Diderot est mort.
- C’est pour ça que ça lui colle à la peau? N’aurait-il pas pu donner un message de vie?
- Je sais pas, et ta sœur? Oh, ça t’inspire?
- Vous êtes toujours obligé de faire ça?
- C’est moi qui tient l’arme ici. Allez. C’est pour ton bien. Si je te dis Rousseau?
- Du Contrat Social.
- Inégalité, différence?
- …
- C’est élémentaire jeune homme…
- Inégalité sociale… différence… naturelle…
- Croyez-vous que la différence soit naturelle?
- … Non. Je crois que nos différences sont… aussi…
- Bah vas-y accouche!
- Et bien, il doit bien y avoir une grosse part de culturel… de social… même si nous naissons tous différents.
- Il y a donc bien une différence, qui se transforme en inégalité.
- … Sans doute…
- (Le scrutant.) Mmh… Et… Candide… de quelle inégalité avez-vous peur?
- … Moi, peur? D’aucune…
- Ah oui? Tiens, le mélodrame fait place à l’amour propre.
- J’en ai assez.
- Restez assis. Nous allons être ensemble pendant un certain temps. Mais peut-être préfèreriez-vous être attaché?
- …
- C’est l’arme ou le ligotage. (Silence.) Vous pensiez vraiment que ça sentait bon dans cette maison?
- … Je n’sais pas.
- Seriez-vous capable de prendre cette arme, et de me menacer à votre tour?
- (Il regarde fixement l’homme qui lui tend l’arme à feu.)
- Allez. À ton tour gamin. C’est tout bête. Le mécanisme est simple. Il y a juste un détonateur, qui fait péter la poudre, qui projète une petite masse de plomb, qui percute tes os, ta chair, tes organes, et paf! C’est fini. Essaye, tu verras.
- (Il détourne le regard.) Vous êtes fou.
- (Satisfait.) Tu n’es qu’un gamin. Tu n’sais rien de la vie. Diderot, vie ou mort, pour toi c’est du pareil au même, tu es pendu comme une âme sans carotte.
- C’est ça, et vous vous savez tout.
- (Il passait sa main sous ce qu’on découvre être une perruque, sur un crâne chauve qu’il frotte d’un geste, avant que de replacer sa coiffe. L’autre n’a rien vu de cela. Sans doute le spectateur n’a-t il rien vu non plus.) Moi… J’en sais assez. (Silence.) Ta mère et ton père, s’aiment-ils, jeune homme?
- (Gêné.) … Je suppose que oui.
- Tu supposes?
- Et bien… oui, je suppose que oui. Je suis pas non plus dans leur tête.
- Alors c’est pas si folichon que ça chez toi dis-moi.
- Qu’est-ce que ça veut dire?
- Pourquoi tes parents ne s’aiment-ils pas autant qu’ils le voudraient?
- Mais j’en sais rien moi, vous m’posez des questions là!
- Bah tu devrais y penser grand bêta, parce que quand tu s’ras vieux et fini, tu t’les poseras bien un jour, mes questions à la con!
- Chacun sa vie, j’peux pas tout faire à la place des gens! Mes parents, j’sais pas, et j’m’en fous!
- Tu t’en fous? Ils t’ont mis au monde et tu t’en fous?
- J’ai rien demandé!
- Et tu crois que j’ai demandé quelque chose moi?! Hein?! Tu crois?! Non! Et pourtant je suis là! Je suis là et je refuse qu’on se laisse enfoncer! Alors défends-toi, bâtard! Défends-toi si tu veux vivre!
- (Se lève brusquement.) Mais je veux pas vivre! (Il y a un silence.)
- Ah bah voilà… (Il lui tend à nouveau l’arme. Le jeune homme s’avance d’un pas décidé, le saisit, et le point sur le crâne du maître, et en penchant son poids, découvre un peu la perruque.)
- C’est quoi votre délire?
- Tu vas t’asseoir maintenant?… (Silence.) Non non, garde-la, moi ça m’est tout à fait égal.
- (Il se rassied, l’arme dans ses mains.) Vous êtes malade.
- (Rangeant quelques papiers.) Physiquement ou mentalement?
- Mentalement.
- … Certainement.
- Vous n’avez plus de sens commun, de raison, de bon sens.
- Possible.
- Vous êtes livré à vos lubies.
- Probable.
- Que vous est-il arrivé?
- J’ai lu dans vos yeux.
- … Lu quoi?
- J’ai lu la peur.
- … Quelle peur?
- … La peur de nourrir la mort dans le sein des hommes, la peur de torde dans le poing le vagin des femmes, la peur de couper au ciseau la bite des pédés, les culs des trans’, les espoirs des idéalistes, le fric de la finance, les armes des guerriers, les instruments des tortionnaires… l’amour des jeunes gens… La compassion des gens mûrs… La sagesse des gens vieux. Peur de mourir voyons.
- Je n’ai pas peur… J’aurais déjà dû mourir…
- Et il y a longtemps que vous auriez dû vous rappeler que vous auriez déjà dû mourir, cela vous aurait évité d’atterrir ici.
- Où ici?
- Et bien ici, dans cet appartement, en ma compagnie.
- …
- N’ayez pas honte. Ça arrive à tout le monde de se tromper. Mais connaissez-vous le proverbe? « Tout vient à point à qui sait attendre. »
- C’est-à-dire?
- Vous avez peur, j’ai peur aussi. Nous sommes donc deux pétochards qui ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre. (Il retourne à ses papiers.)
- (Se lève.) J’en ai assez de ce jeu. Tenez. Votre arme.
- … Entendu. (Il se lève à son tour.) Mais avant, j’ai quelque chose pour vous. (Il sort un moment, et revient.)
- Qu’est-ce que c’est?
- De l’espoir.
- (Il ouvre le premier livre, le feuillette, puis de même avec le second.) René Char. Emily Dickinson…
- Non.
- …
- Un résistant. Et une âme.
- … Je dois partir.
- Adieu alors. (Il se rassied.)
- (Il part jusqu’à la porte, puis reste bloqué devant.) … C’est fermé à clef.
- Bien sûr.
- Puis-je l’avoir?
- Bien sûr que non. Sauf si vous me racontez la fin de votre histoire.
- Quelle histoire enfin?
- Celle qui a marqué le début d’une charmante et longue conversation.
- Mais quelle conversation? Vous appelez ça une conversation vous! (Pas de réaction.) Maintenant c’est fini, stop, je joue plus, laissez-moi sortir! Laissez-moi sortir où j’appelle au secours!
- Tous mes voisins sont sourds.
- Comment?
- Tous mes voisins sont sourds, et il n’y a pas de fenêtre, vous êtes dans un huis clos.
- Comment?
- Vous êtes dans un huis clos j’ai dit.
- Au secours! Au secours! Venez me chercher!
- Ah ah ah ah! Formidable! Vous êtes formidable! Vous êtes… vraiment… décidément très amusant…
- (Il se jète sur lui et lui saisit le col.) Mais vous êtes taré! Donnez-moi cette clef! (Essaye de la lui arracher de la poche.) Donnez-moi! Vous me donnez la nausée! Donnez-moi ça! (Court vers la porte avec la clef.) Ah!
- Ah ah ah ah!
- Ah! Mais! Elle n’ouvre pas!
- Ah ah! C’est verrouillé, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse. C’est verrouillé, c’est verrouillé.
- (S’effondre à genou.)
- (Se lève et vient le relever.) Mais ne désespérez pas voyons… Allez, ça va bien se passer. Vous allez régler les comptes, et ce sera fini. Tu as été un très vilain garçon n’est-ce pas? (Il lui sert un verre et l’invite à s’asseoir au bureau.)
- (Prend le verre et boit, la tête lâche.) Très.
- (De retour dans ses papiers, sur une chaise en biais.)
- Je vais mourir.
- Qu’est-ce qui vous fait dire ça?
- Si je suis toujours là.
- Ça ne prouve absolument rien… mais si ça peut vous rassurer, je vais mourir aussi, c’est indéniable.
- Tss! Rassuré oui…
- Tu t’attendais à quoi en venant ici, gamin? Sérieusement.
- … Je sais pas… Je m’attendais à ce que ça soit comme les autres fois…
- Elle te manque?
- … Parfois. Quand j’y pense, oui. Ça me sert le cœur.
- … à moi aussi.
- … Je sais oui. C’était vraiment une fille…
- C’était une femme.
- … Telle la liberté… C’était tout.
- Et ça n’était rien. Du risque, celui du vent. Rien que le vent. Rien que de la poussière.
- Vous ne pouvez pas dire ça, enfin, vous l’avez connue, c’était.. C’était ça quoi, il n’y avait même pas à forcer, il n’y avait qu’à se croiser, et on souriait et…
- Et…
- Et c’est vrai que c’était tout…
- Tu l’as sautée?
- Nan mais, vous avez pas honte tout de même! Elle aurait pu être votre fille!
- Ma fille? Moi? Ah!
- Bien quoi, vous n’avez pas d’enfants?
- Et pour quoi faire? Pour leur laminer le cerveau avec notre monde, notre chaos? Pour les seriner d’absence? Non merci!
- … Vous êtes amer.
- Et vous êtes jeune.
- Mais on peut vieillir sans devenir amer.
- Avec un peu de chance. J’ai connu des gens comme ça. De loin, de très loin.
- Et vous n’avez jamais eu envi de les suivre?
- Vous retournez l’interrogatoire?
- C’est un interrogatoire?
- Peut-être bien, que pensez-vous que c’est?
- Une belle comédie. (Silence.)
- (Il sourit.)
- Vous êtes cruel.
- Je suis ce que vous devriez être pour moi. La cruauté d’un miroir. La cruauté de l’humanité qui se regarde tout le long et n’est même pas capable de se diviser le nombril en milliards de parts. Je suis vous, mais vous n’avez pas le courage d’être moi.
- C’est vous qui n’avez pas le courage de vivre.
- …
- …
- Sachez jeune homme que ma patience a des limites, si ça ça peut vous rassurer.
- La mienne aussi.
- Qui pensez-vous tromper ici? Je vous rappelle que vous êtes chez moi.
- Et j’y suis parce que je le veux bien! Vous ne me faîtes pas peur avec vos manières à la con! Gangster!
- Ah ah ah! Oh boy!
- C’est ça. Riez quand vous êtes touché. Vous ne savez pas avouer la défaite. Vous ne savez pas vous laisser toucher par les autres. Vous n’êtes qu’un tissu de mensonges vils et complaisants de prise de pouvoir. Forteresse!
- Un être humain mon cher.
- Non. Je n’crois pas qu’un être humain soit composé de ça.
- Alors pourquoi voulez-vous mourir?
- … Il n’est pas composé que de ça.
- … Alors pourquoi voulez-vous mourir?
- (Il se lève, et commence à marcher, avant que de se rasseoir au bureau. Il se relève, et se rassoit à sa place initiale d’étudiant, muet.)
- Vous êtes devenu muet tout à coup? Votre côté chiffe molle est décidément le plus marqué. (Silence.) Vous pensiez vraiment qu’elle allait vous aimer?… (Il se lève et va vers lui, lui posant les mains sur ses épaules.) Oh… voyons… Les filles n’aiment pas les gars gentils… ça n’a pas de caractère, c’est mou, c’est descendant, c’est trop sincère, il n’y a pas de combat, et le monde aime les combats, et les filles qui se valent aiment bien les héros… sans vagues… bien consensuels…
- Que fallait-il que je fasse alors? Que je joue? Que je me travestisse? Que je paraisse et me dénigre moi-même, dénigre les nécessités de ma personne, de ma vie, de mon comportement, de ma vérité!… De mon combat… Faux-semblants? Conventions? Bienséance contre convictions? Foutaise!
- (Retourne près de son bureau, sans s’asseoir pourtant.) « Les périodes de paix sont les pages blanches de l’histoire. » Savez-vous qui a dit cela?
- … Non.
- Hegel.
- …
- Acceptez. Elle ne pouvait pas aimer quelqu’un qui ne savait pas l’écouter.
- Si elle m’avait laissé le temps…
- Lui avez-vous laissé le temps vous-mêmes?
- …
- Sont ainsi faits les labyrinthes de l’affection…
- La putain.
- Redis encore une fois ce mot et je te tue. (Il y a un silence.)
- Pardon.
- Chacun fait ce qu’il peut. Alors un peu d’indulgence bordel. Personne n’est parfait.
- Même pas vous?
- Surtout pas moi. (Retourne à ses papiers, puis soudain prend une canne, et se jète sur lui en lui bloquant la mâchoire avec.) Je te briserais bien la mâchoire!
- (Se débat.) Moi je l’aimais au moins!
- Tu ne sais pas ce que c’est qu’aimer!
- Vous ne méritez pas ceux qui vous ont aimé!
- Tu ne mérites pas de vivre! (Le relâche brusquement, et retourne tranquillement à son bureau.)
- (Se malaxant la mâchoire.) Donne-moi la bonne clef.
- Bien sûr que non.
- Donne-moi cette clef! (Il court la saisir et se jète sur la porte, essayant de la déverrouiller comme un forcené.)
- Mais puisque je t’ai dit qu’elle n’ouvre pas!
- Merde! Merde! (Retombe à genou, balançant de désespoir la clef sur la porte morte.)
- Je ne vais pas venir cette fois.
- S’il y a des gens qui passent, c’est bien pour que les esprits restent. On fait tourner… fait tourner la ritournelle…
- Certainement.
- Pourquoi?
- Possible.
- Je n’aurais jamais eu le temps de la récupérer, de la convaincre de mon innocence. J’ai tout gâché… Je n’aurais jamais le temps…
- Probablement.
- Je suis lâche.
- Mais arrête gamin, tu n’es pas lâche, tu es jeune, c’est tout, tu as tout à apprendre. Tu n’as tué personne! Pourquoi te mettre dans des états pareils?
- Parce que… ce n’est pas moral.
- Ah… le sens moral… Connais pas.
- (Il rit.) Ça… (Petite pause.)
- Hé hé hé!…
- … Ah ah ah!
- … Hé hé!
- Ah ah! (Ils se regardent.)
- Hé hé hé!
- Ah ah! (Ils éclatent de rire, puis, après un moment, se calment.) Ce n’est pas drôle, n’est-ce pas?
- Non, en effet… Ce n’est pas drôle.
- C’est même douloureux…
- Oui… mais tu es obligé d’apprendre à attendre… c’est une… c’est une des dures lois de la vie en société… Il faut parfois savoir s’emprisonner dans le cœur pour laisser les êtres aimés vivre libres, et quelques fois apprendre à regretter…
- C’est triste…
- (Le regarde un instant, se lève, et vient lentement s’asseoir par terre, à côté de lui.) Je sais ce que tu ressens… Je connais cette solitude… (Il respire profondément.) Avant d’être ici j’étais moi-même très beau garçon, disait-on. On me vouait beaucoup d’admiration. J’avais… j’avais beaucoup de succès, et de conquêtes… Les filles, les femmes m’aimaient, des hommes m’aimaient, et j’aimais aimer toutes… ces femmes, les parcourir, les attendrir… persévérer avec elles. Mais voilà, la vie en a décidé autrement… la vie m’avait rendu… stérile. Voué à ne pas connaître la grâce d’une descendance, j’ai perdu… j’ai perdu tout espoir… J’aurais tué pour changer mon corps en glaise… pour retourner sur lui-même le sens de la vie… Mais la vie… la vie pour moi… ce n’était qu’un vaisseau humide et suant, un vaste amas de consciences qui s’évidaient devant moi, à mes pieds, tandis que je voulais crier le dégoût d’être un homme… Je regardais les femmes avec la plus profonde tristesse, je leur donnais l’amour le plus puissant qu’un homme ait jamais pu leur donner… Et puis j’ai rencontré celle… (Un instant.) et puis je suis subitement devenu vieux… tellement compris, tellement accepté par un autre être… que c’était comme si j’avais tout vécu… Ne demandant plus rien à la vie, après avoir tout gâché moi aussi, et ne trouvant pas de raison assez forte, assez morale, justement, pour demeurer quelqu’un… j’ai vieilli de la manière que tu me vois… (Il ôte sa perruque.) Malade. Cancéreux. Chimique. Cryogénisé. Dans l’attente d’un train de minuit. Dans l’attente d’un carrefour. Dans la poursuite d’un flambeau dans les ténèbres, des lueurs, des voix dans la brume, étrangères et familières. Ces voix communes… que je n’ai jamais connu… Je suis fini. Je veux finir. Je veux mourir. Non pas par désespoir… non… mais parce que je n’ai plus rien à faire ici. Je n’ai plus rien envi de goûter. Plus rien envi de sentir. Plus aucune chatte à lécher. Plus aucun plaisir qui soit une sagesse. Plus aucune féminité qui ne soit gâchée… Pestiféré… Diable… Néant. Me voilà perdu, pendu, et pourtant… c’est la seule véritable fois où je me trouve… C’est ma première nuit de noces… avec… elle… Liberté… Amérique…
- Comment l’avez-vous perdue?
- (Les yeux dans l’air.) Sais-tu combien de particules rivalisent pour s’accaparer, à chaque instant, un espace sur cette terre?
- … Non… Vous le savez?
- … Je n’en ai aucune idée…
- Vous aimeriez le savoir?
- … Non… c’est bien comme ça… C’est très bien comme ça. Restons humain. N’essayons pas de tout savoir… en tout cas, pas si c’est pour laisser de côté ce qu’il est essentiel de ne pas quitter des yeux…
- … Quoi donc?
- Celui qui a l’arme.
17/12/2010
Entrée
Jérémy Douville Ortega
(Un couple à table. Ils écrivent.)
- Tiens…
- Merci. Tu as fini?
- Non, pas tout à fait.
- Tu seras prête quand?
- … Je ne sais pas…
- Dépêche-toi.
- C’est bon, ne t’inquiète donc pas, ça vient… (Silence. Elle arrête tout.) Oh j’en ai assez…
- … Moi aussi.
- Tu as reçu mon cadeau?
- Oui, merci, il est très beau. Et toi, tu as reçu le mien?
- Oui. Je t’envoie mes vœux.
- D’accord. On s’enverra un peu d’amour aussi?
- Si c’est possible, oui. Tu me l’enverras par mail?
- Je sais pas. J’ai plus de crédit de toute façon.
- Tu m’avais envoyé un sms hier.
- Le dernier.
- Bon… C’est bon à savoir. Tu m’enverras des fleurs?
- … Quelle définition?
- C’est-à-dire?
- Combien de pixels?
- Je ne sais pas, combien de crédit il te reste?
- Je ne sais pas trop.
- T’as assez pour payer l’air au moins?
- Des fois j’aimerais bien, mais tu sais qu’on a reçu une amende pour la dernière fois…
- Oui… On n’aurait pas dû se laisser aller…
- Non… Non non, en effet… Mais bon, on le saura pour la prochaine fois, je t’enverrai un baiser par courrier, c’est tout ce qu’il me reste.
- Pff… On est pauvre cette année…
- C’est à cause de la neige.
- C’est à cause de toi, tu as trop dépensé.
- Pour toi.
- Oui mais j’en demandais pas tant…
- … C’est bon à savoir.
- Tu le sauras pour la prochaine fois.
- (Il s’arrête.) Oh, j’en ai assez…
- Moi aussi.
- Quand est-ce qu’on mange?
- … La question se pose en effet… Combien de temps il nous reste?
- … Ce crédit aussi, on l’a pas mal épuisé…
- Pff… On est pauvre…
- Et encore, on a de la chance d’être sous couverture créditrice, imagine ceux qui sont hors-circuit…
- Oh mon Dieu, ils n’ont même pas de temps du tout!…
- Ni même d’air!
- Ou de fleurs!
- Ou d’amour.
- Au moins nous on a eu assez de crédit pour ça, mais du coup il ne nous en reste pas pour l’amitié… si? On en a ou pas?
- … Non… On n’en a pas.
- Je croyais pourtant…
- …
- Tu l’as utilisé?
- …
- Tu l’as utilisé?!
- …
- Salaud! Et moi alors!
- Mais! Béh, j’y peux rien! J’ai rencontré ce gars sympa sur mon réseau et… et voilà, j’ai pas vu le temps passer, ça m’a changé les idées, c’est tout…
- Tu peux rêver pour que je t’envoie de l’amour par courrier moi!
- De toute façon t’as plus de crédit courrier.
- Comment ça?
- Je l’ai utilisé pour écrire à ma mère.
- Tu as utilisé mon crédit courrier! Salaud! T’as de la chance que j’ai plus de crédit contact physique sinon je t’aurais mis une gifle!
- Hé hé… Tes gifles sont virtuelles à mes yeux.
- Oh! Et tes fleurs sont d’une si basse résolution qu’un pétale est un pixel!
- Comment oses-tu? Je les ai composées moi-mêmes!
- Piètre programmeur! Pirate! Et si on se faisait prendre! Et si la brigade découvrait que tu m’as programmé des fleurs illégalement… oh! Ça veut dire que tu n’avais plus de crédit de crédit fleurs!
- Oh…
- À qui? À qui as-tu envoyé des fleurs?!
- Chérie… tu vas user ton crédit colère…
- Espèce de macho! Je t’ordonne de me dire à qui tu as envoyé des fleurs!
- Mais ce n’était que des fleurs.. tu sais comme c’est facile…
- Oh! Alors je suis facile moi?
- Fais attention, on n’a pas assez de crédit pour un divorce…
- Non, mais on en a assez pour que je ne t’adresse plus la parole.
- …
- …
- Chérie?
- …
- Chérie… allez, c’était une blague… il me reste du crédit blague tu sais… si tu veux je te le donne.
- Non. J’ai pas envi de faire des blagues. J’utilise mon crédit tristesse.
- … Bon… Tant pis, tu sauras pas de quel crédit il me reste encore…
- … Quel crédit?
- Ah ah… mon crédit spécial…
- Non… tu veux dire…
- Oui.
- Non!
- Si!
- C’est vrai?
- C’est vrai!
- On l’utilise?
- Okay! J’utilise mon crédit spécial! (Rien ne se passe.)
- …
- Et… alors…
- A pas?…
- Je comprends pas…
- …
- Oh mince, j’ai été taxé là-dessus à cause des fleurs…
- T’es nul… Je t’avais dit que j’en avais pas besoin…
- Mais non les fleurs que j’ai envoyé à…
- Parce que celles-la aussi étaient programmées?!
- Euh… Non, mais…
- Et à qui tu as envoyé les autres?!
- … Sur la tombe de notre ordinateur…
- Oh… bon, et bien… il nous reste peut-être encore assez pour parler entre nous…
- Je ne sais pas…
- Non, tu…
- Mathilde? Mathilde?
- Oui? Qui êtes-vous?
- Je suis ta mémoire-vive, Mathilde?
- C’est quoi?
- C’est le temps qu’il nous reste avant notre mise à jour… Ou en tout cas… J’ai un coléoptère coincé dans la gorge.
- Et ça vous gratte?
- Non. Et vous-mêmes?
- Et moi-même? C’est correct.
- C’est tout à fait correct.
- Je suis heureuse.
- Je suis heureux aussi.
- Je suis pleine de crédit.
- Je suis plein de crédit aussi.
- Nos entités répondent parfaitement bien l’une à l’autre!
- Je trouve aussi!
- C’est merveilleux!
- Partageons nos entités!
- Oh oui! Vivons heureux!
- Dans ce monde merveilleux!
- Un deux trois!
- Papa n’est pas là!
- … Je regrette monsieur, vous êtes sujet à une erreur système. Tout partage est abscons. Veuillez vous rendre au Service Après-Vente.
- Oui maîtresse…
- Oh… zut. (Elle crie.) Jean-Pascal!
- (Un autre entre.) Oui maîtresse!
- Ramassez-moi ça!
- De quoi donc?
- Cet poussière virtuelle, là, ramassez-la moi.
- … Veuillez m’excuser mais je ne comprends pas.
- J’ai envi de vous demander de ramasser quelque chose de virtuel c’est pas si compliqué! Ramassez quelque chose de virtuel, je vous prie!
- Mais comment fait-on au juste?
- Mais vous êtes né dans le ventre d’une vache ou quoi?! Arrêtez de ruminer et ramassez-moi cette poussière!
- Je vais chercher un balai.
- Prenez ce balai virtuel. (Elle lui tend le balais virtuel.)
- Vous êtes sûr que vous allez bien?
- Oui, regardez André, lui il a compris.
- Mais, il tourne en rond?
- Oui, c’est normal, c’est une erreur système.
- …
- Bon, écoutez mon petit Jean-Pascal, entrez dans le jeu sinon je sens que je vais péter une durite… Allez allez!
- Oui oui! (Il s’exécute, puis sort.)
- Oh… je ne sais plus quoi faire d’eux. Je m’ennuie… André, arrêtez donc de tourner en rond.
- Oui maîtresse. Que dois-je faire?
- Restez comme ça, c’est très bien.
- …
- (Elle soupire.)
- Puis-je dire un mot?
- Non.
- Une phrase?
- Non plus.
- Un discours?
- … Si vous en êtes capable. Parlez-moi de moi.
- …
- Alors? Vous avez perdu votre langue?
- Je ne sais pas quoi dire maîtresse.
- Et bien ne dîtes rien, ça vaudra mieux que tout ceci, qui n’est pas maintenant, et n’est pas à venir.
- … J’ai mal aux pieds.
- Achetez-vous des chaussons.
- C’est permis?
- Vous êtes libre de les acheter. Vous avez du crédit?
- Euh… non.
- Tenez, je vous prête du mien. Venez, tenez.
- Mais… il n’y a rien.
- Bien sûr que si, c’est virtuel, vous le savez, je l’ai dit maintes et maintes fois.
- Même votre autorité?
- Bien sûr que non. Mon autorité est la seule raison qui fait du virtuel une donnée bien réelle…
- …
- Si vous ne comprenez pas, c’est normal, ça vous dépasse, je sais, c’est supérieur à vos capacités intellectuelles, votre entendement est doublement inférieur à la racine carré du mien.
- …
- Et ça veut dire dégagez. Ouste! Fi!
- Oui maîtresse, nous vous sommes dévoués.
- J’y compte bien.
- Mais…
- Mais quoi?
- … Vous êtes la seule à avoir de l’autorité?
- Vous voulez dire ici?
- Non… pas forcément…
- Vous voulez chercher une autre maîtresse?
- Il n’y a que des filles?
- …
- Hé! Jean-Pa’!
- Comment, vous osez!
- Il ne m’entend pas de toute façon, il n’entend que vous cet idiot! Mais moi, je vous dis… et puis non, je ne vous dis rien: je n’ai plus de crédit pour ça.
- Mais, revenez! Revenez ici! Oh! Crotte!
- Oui madame?
- Non pas vous Jean-Pa’.
- Croque-monsieur?
- … Entendu, mais sans œuf.
- C’est un croque-madame.
- Croque-madame ou croque-monsieur, tant qu’on me laisse ma présomption d’innocence… J’aurais au moins eu le droit d’y croire un peu… Je suis fatiguée… Il reste du crédit télévision?
- Tant que vous voudrez madame.
- Qu’y a-t-il à cette heure-ci?
- Une émission sur les égos.
- C’est bien ce que je craignais.
19/12/2010
Je veux m’accrocher. C’est un bateau qui vire, qui tangue, un bateau qui est ivre et qui s’enfouit dans le torrent des stupeurs tout à fait dicibles de nos allégeances polies. Je veux caresser un chien qui a soif, et lui parler de mon sort qui n’est rien, et qui est tout. Je veux lui parler du théâtre. Je veux le voir ne rien comprendre. Je veux lui souffler des mots amers, des mots émus, tendres et acides, sur le monde d’aujourd’hui qu’il ne connait que trop. Je veux le voir tirer la langue par compagnie, et je veux me sentir raffermi sur une position trop brute pour l’âge qu’ont les désirs qui me parcourent le soir.
Je veux me promener et me sentir suivi. Je veux que même la présence troublante d’un chien errant rende ce moment exceptionnel. Je veux rentrer dans une salle, et déranger une pièce, où le chien et moi tiendront un rôle entre le duo de Corneille. Je veux rire à ses côtés, me faire jeter comme un malpropre, et sourire enfin. Je veux finir dans la rue, assis à côté de ma compagnie nouvelle. Nous partagerons une boîte de sardines. Nous dirons que la lune est belle. Nous assiérons le beauté à notre table, et la reine des spectatrices sera pour nous une déesse fantasque et rêveuse, à qui nous louerons toutes nos paroles. Nous serons bénis, et comme nous n’aurons point été adoubés en salle, on nous prendra pour des fous, mon chien et moi! Mais tellement assis…
Que voulez-vous, c’est l’esprit moderne qui rode.
Phrases à tête:
C’est vrai, mais il vaut mieux être pendant que pendu.
Ce qui arrive parfois, c’est qu’il arrive à des gens d’être soupçonneux envers ceux qui leur disent: « j’ai un soupçon ». Répondez seulement: « un soupçon de quoi? ». Et ils attestent sans attendre la suite: « d’un zeste de citron ».
-
- « Prendrez-vous du thé dans votre tasse?
- Non merci, j’ai déjà bu ma cuillère.
- C’est à n’y rien comprendre, je croyais justement l’avoir mise dans ma poche… »
J’arrivai chez Corine, je sonne, et là, je vois Pascal.
Passez à gauche au fond du couloir, et si vous voyez un sens unique, c’est là qu’il y a le stop, et si vous voyez le stationnement, c’est là qu’il ne faut surtout pas s’arrêter. Mais sinon tout va bien.
-
- « Alors si je comprends bien vous êtes docteur… Docteur en quoi?
- Comment?
- Mais vous n’entendez rien?
- Cependant, j’entends à peine, alors si vous voulez bien répéter…
- Parce que depuis tout à l’heure je parle et…!
- Là je vous entends oui, mais je ne comprends mot, cela ne correspond pas à ce que vous me disiez tout à l’heure.
- … Laissez tomber.
- Moi? Broncher sans cesse?
- Je vous parlais de mon ulcère, mais je vois que rien n’y fait, vous n’écoutez pas! Or, écoutez, le voilà reparti!
- Je vois bien, vous cherchez le mnémotechnique « mais-où-et-donc-or-ni-car »!
- … Il nous manque le « ni » alors.
- Ni vous ni moi ne le trouverons par ici.
- …
- Et que fait votre mari?
- Hyppolite? DEVINEZ.
- Ah… Des huîtres…
- Quoi?
- Bonne idée, mais que voulez-vous, personne n’est parfait. »
-
- « J’abrite un sans-abri.
- Quoi? Vous voulez rire! J’habite un cabriolet deux portes!
- Est-ce qu’au moins la peinture est rouge?
- Rouge??? Mais pourquoi rouge?
- Parce que tant qu’à faire, vous auriez pu vous venter d’avoir de l’esprit.
- Et alors, quel rapport avec le rouge?
- Mettez votre langue dans votre voiture rouge et vous verrez bien si ça goûte du piment.
- Mon pauvre, vous êtes complètement déglingué!
- M’en fous, moi, au moins, je suis moral.
- Moral de quoi? Vous êtes même pas foutu de vous tenir devant moi de trois quarts, alors que moi-même, je me tiens devant vous débraillé comme un cochon! Si vous avez de la morale, ayez au moins de la noblesse, considérez-moi comme un cochon!
- … Très bien… (Il se tient de trois quart.) Vous êtes un cochon.
- Ah bah ça!
- Cochon qui s’en dédie en plus.
- Ah elle est bonne, elle est bonne!
- La Dame de chez Maxime, Feydeau, plagiat, trois cents ducats…
- Pour votre clochard?
- Pour moi.
- Et pourquoi donc?
- Parce que.
- Parce que quoi?
- Parce qu’un cochon, ça coûte cher. »
-
- « Monsieur! Monsieur! Les acteurs ne sont pas prêts!
- Comment, vous voulez rire?
- Non non!
- Que disent-ils?
- Attendez…
- Plus fort! Je ne les entends pas!
- Ils disent… Ils disent qu’ils veulent… qu’ils veulent… des abats d’oies Monsieur.
- Des abats d’oies? Mais ils sont ivres! Que disent-ils d’autres?
- Ils disent… ils disent qu’ils veulent… les ailes des tournesols fanés de l’année dernière… et un coquelicot symbolique!
- C’est la panique! Et bien! Moi qui m’attendais à ce qu’ils demandent une hausse des reversements…
- Et une hausse des reversements!
- … Au moins, ils n’ont pas demandé un bon spectacle.
- … (Ils se regardent.) »
-
- « Geneviève.
- Jeanine.
- Cela faisait longtemps.
- En effet. »
-
- « Et sinon, je parie qu’il y aura du gratin ce soir.
- Carré d’as!
- Mistigri!
- Le froufrou d’mad’moiselle Champagne…
- Oh vous m’donnez faim…
- Tais-toi. On est combien, on est quatre?…
- Huit de carreau.
- Giselle au tableau!
- Hop hop hop!
- Bon allez stop là!
- Tu crois qu’elle viendra?
- Je crois surtout que…
- Tais-toi!
- C’est ça, dès que j’veux en placer une…
- Une prune!
- Un abricot!
- Pô pô pô!
- Et sinon on fait quoi?
- Quoi, si elle vient pas?
- Elle viendra.
- Qu’est-ce t’en sais?
- J’en sais rien, j’le dis, pis c’est tout, après on verra.
- Mouais…
- Les mains sur la table!
- Et ta soeur!
- Qu’est-ce qu’elle a ma soeur!
- Elle est plate comme une limande!
- Grosse comme une chèvre irlandaise!
- Elle est bizarre…
- C’est bon, arrêtez là…
- Pom pom pom pi…!
- On connait!
- Dix de trèfle!
- Croix d’bois, croix d’fer!
- Si j’mens, j’vais…!
- Oh, la voilà!
- Où ça?!
- Où ça?!
- … Ah non c’est pas elle.
- Oh…
- Pfff!…
- … J’ai vu une chèvre irlandaise une fois…
- Ah ouais?
- C’était pas beau à voir.
- Tu m’étonnes…
- Ah ouais…
- Ouais… (Silence.)
- … Ça r’semble à quoi?
- …
- Ah r’gardez la voilà!
- En vrai?
- En vrai!
- Vrai de vrai?
- Nan en paille.
- Ah ouais! La voilà! J’la vois!
- OH…
- J’avais jamais vu une vache écossaise aussi bien fournie!…
- Tais-toi imbécile! C’est une vache Américaine!
- Mais non! C’est la Vérité!
- C’est quoi la Vérité?
- Mais je sais bien qu’c’est la vérité c’que j’dis!
- La vérité c’est…
- Mais non! C’est la Vérité!
- Bah oui…
- Quoi?
- La Vérité, c’est beau comme une vache écossaise…
- Américaine!
- Quoi qu’il en soit, elle prend son temps.
- C’est qu’ça mange ces bêtes-la…
- Bah laisse-la, si elle a envi.
- C’est qu’t’as pas le quart de la moitié du commencement d’une once de vérité dans ta bouche, tu sais pas c’que c’est, toi, d’être Vrai.
- Un peu qu’j’suis Vrai!
- Et moi? J’suis vrai moi aussi?
- Et toi, t’as les dents en purée d’maïs? Pourquoi tu dis rien?!
- Moi j’connais la vérité!
- Oh l’autre eh!
- C’est qu’elle a de grandes guiboles…
- Laisse-la, elle, elle a pas des mamelles en papier, comme ta femme, au moins!
- Mais ça va pas!
- J’sais pas mais elle a l’même regarde qui tangue…
- Arrête, tu m’fous l’mal de mer.
- Eh!
- Et mercredi on fait quoi?
- Si personne ne s’dévoue pour me tailler une part de rumsteak, j’crois qu’on va bientôt pouvoir faire notre beurre avec du lait d’chèvre.
- Une irlandaise?
- Ah… la beauté, elle est belle comme du lait d’chèvre…
- Quinze de coeur!
- T’as vu ça où? Au Pays d’Galle!
- Banane!
- Banane…
- Regardez! Elle se barre!
- Oh la vache!
- Tais-toi l’autre!… Voilà, elle revient…
- …
- …
- … Ah non.
- Bon, on fait quoi?
- J’en suis complètement chèvre!
- Ouais, ça m’scie.
- Pierre qui roule…
- Taisez-vous, j’suis lessivé.
- …
- …
- … Les os d’lapin c’est très dangereux vous savez. Ça tue son homme!
- Ça va! On n’est pas des chiens!
- Neuf de poule!
- Cuisse de canard!
- Aile de poulet!
- Coin coin!
- … Jean-Charles…
- … Bah quoi?
- Si tu t’y mets on va jamais en finir.
- Bah si les vaches écossaises se mettent à faire du lait d’chèvre irlandais, moi j’peux bien faire la truite norvégienne!
- …
- … Tant qu’tu nous fais pas le bison espagnol.
- Il a des cornes en carton lui au moins?
- J’sais pas, mais si tu veux mon avis, on n’est pas prêt d’voir le bout d’notre partie…
- Allons enfants de la… Bon okay…
- La r’voilà! La r’voilà!
- …
- … Na… ça, c’est un tupper ware géant…
- Faut quand même savoir faire la différence!
- … Pourquoi faire?
- Bah, si jamais tu t’retrouve en face d’un tupper ware géant, vaut mieux pas qu’tu l’prennes pour une vache écossaise.
- Ni un bison espagnol.
- Et vice et versa!
- De l’eau dans la parqua…
- Bah! Avec toute notre cuisine depuis tout à l’heure, le grand patron a voulu faire de l’esprit j’suppose…
- … C’est impressionnant en tout cas…
- Mmh… ça manque un peu d’couleur…
- Et de distinction.
- C’est sûr que toi avec ton corsaire…
- Est-ce que ça veut dire qu’un corsaire, c’est beau comme un tupper ware irlandais?
- As de trèfle!
- Grive égyptienne!
- Oh l’autre!…
- L’Amérique!
- PIRATE!
- Et l’Amérique, c’est bon comme du poisson…
- ARRÊTE!
- Y’a pas d’arête dans l’bifsteak.
- J’deviens chèvre…
- Suisse?
- Et la marmotte?
- Quelqu’un a un marteau?
- Tiens.
- Merci.
- Mesdames, messieurs! Je vous présente: le TUPPER WARE!
- Qui ne dit QUE-LA-VERITE!
- Oui Monsieur!
- Dîtes-moi Mr. Tupper ware, êtes-vous soucieux du détail qui nous échappe?
- Tout à fait! Je dirais même qu’il s’agit d’un problème épineux!
- Comme une rose?
- Comme un artichaut!
- Non, comme un pigeon à épaule grossière.
- Pourquoi?
- Parce qu’ils grossissent de l’épaule tout simplement.
- Laquelle?
- La gauche.
- Comment?
- La droite.
- Vous avez dit la gauche.
- C’est vrai.
- Mais alors?
- Alors c’est la droite.
- Comment?
- Est-ce qu’il a les dents en épis de maïs?
- Euh… tout à fait!
- Pourquoi?
- Parce qu’il parle à l’envers.
- Pourquoi?
- Parce que l’endroit l’indiffère.
- Lequel?
- Celui où vous vous tenez.
- Qui?
- Vous.
- Moi?
- Oui, vous. Condamné, jugé, dégrisé, au bucher! Allez hop! Cas suivant!
- Ouah… Un procès, c’est beau comme du roquefort allemand…
- C’est pas du jazz?
- Tiré d’une chèvre écossaise?
- Non, irlandaise.
- Ah moi qu’elle ne soit espagnole…
- Bon, retournons à notre partie.
- Ouais c’est vrai…
- Ouais, c’est vrai, au final, il n’est jamais question que de vache et d’cochon.
- Ouais, c’est vrai.
- Et dire qu’un instant, j’ai cru que tout allait mal.
- Ouais!… Ah ah!…
- …
- …
- …
- Bridge!
- Poker!
- Tout l’monde par terre!
- Ventre à l’air!
- Est-ce qu’un jour, un fois, dans votre vie, vous arriverez à vous décider?
- Bah on est pas si mal, au final.
- Misère… »
05/12/2010
L’archer
L’archer devant la lune
Pliant, jetant à ses regards
La grise
L’infortune
Sans gémir, ni d’ailleurs se plaindre
Caresse l’arc de ses chaleurs
Délie son phrasé
Dur, non des moindres
Sensible, depuis toujours
À viser son âme s’occupe
Et le voilà qui hurle en pensée
C’est un chant de guerre qu’il songe à lancer.
Une flèche d’or
À son cœur soudain
La douceur prit une couleur
Et sur le dos de la couleuvre, alors il se souvint
Que pour étrangler l’herbe innocente
Sous le roulis de ses manœuvres
Il chante, chante encore
Qui sait, saura-t-on jamais
Quand celui-ci, ou celui-la
Sera mort?
Mes amis
Mille choses encore, j’aimerais vous lire
Cent fois, pour vous annoncer
Que cela finit avec justesse
Avec honnêteté.
Mais à tout va ils partent
Et je reste
Retrouvons-nous à la fin des oraisons célestes.
31/01/2011
Déclencher l’invraisemblable
Il n’y avait que le vouloir
Déclencher l’invraisemblable
Et quand les dés purent être jetés
Il n’y eut que le silence
Du pendant jusqu’au couché
Dérivant sur les couleurs insoupçonnables
Du temps échancré
Que l’on attend.
À la larme du vase
Quand la décision
La main, presse le devenir
Vers l’avenir incontrôlé.
Je n’avais aucun mot
Te faire parvenir l’essentiel
Oh non jamais…
Y parvenir non plus…
C’est pourquoi tu restes là
Et je me concentre
Pour pouvoir à mon tour
De ma vision défaillante
Redessiner tes traits.
25/09/2010
Juste
Il est juste pour moi
De ressentir cela aujourd’hui
Je contemple ces anciennes photos
De souvenirs déjà anciens
Et je me rends compte
Alors
C’est ici
L’enfant que j’ai été
Je le vois
Et je me rappelle l’avoir été
J’ai été cet enfant
Et je réalise
Enfin
Ne plus pouvoir
L’être jamais.
01/02/2011
Clémence Ortega Douville