poésie

[Archives] Recueil de saison (2010-2011)

Texte en pdf : Clémence Ortega Douville – Recueil de saison (2010-2011)

Note : ces poèmes ont été écrits alors que je m’appelais encore Jérémy et n’avais qu’une très pauvre conscience de ce dont j’aurai besoin plus tard. Néanmoins, ils constituent l’une des marques de ma lente évolution.

 

Recueil de saison: Cent pages de poèmes pour la vie (2010-2011)

Par Clémence Ortega Douville

 

Triptyque « Ode à la vie » (août 2010)

I. Ode à la vie

 

I. De ce que de la vie des femmes

 

De ce que de la vie des femmes on a tiré un souvenir,

J’appris que par un thème, de l’avenir on cite l’avenir

Et que des corrompus de la pérenne tendresse

Voilà que je chante, par l’ombre, l’ombrageuse paresse.

Il n’y a pas un an que je ne pense pas

Quand à la larme facile j’allège l’excellente

D’allégeance à la part du roi

Tu courbes, je m’aligne aussi.

Tu as pour toute ma chaleur de l’enfance les traits

Délicieusement pour trait la chaleur d’une cillante et sereine…

À ta poitrine! si familière qu’on brosse et qu’on te broie

Au noir! de l’encore et du large tu chantes ta particularité

De la rame jusqu’à la main

De la faux jusqu’à l’endroit.

 

De ce que de la vie des femmes on a appris de tout un chacun

Quand d’une femme sous l’onde d’un glissant artifice

On le sauva des flammes, l’apprenti sacrifice

Lapidation par l’audience, à ton bouton de rose, nous t’écoutons

Car il pleut la torpeur de l’âme indigène

Je pense à toi.

 

 

II. Lanterne

 

J’avoue que depuis

Et ce en maints endroits

J’ai péché par excès de tendresse

Et pour l’amour de toi

J’ai encore une fois humé

Par-delà le jonc le jasmin

De ta perlée sueur

Sur le dos de ma main.

J’avoue encore une fois

Et de détresse

J’ai oublié ton nom

D’Amour et par la régence

Est conquise la prenante incidence de nos caracoles infidèles.

J’avoue que par la vide humeur tu te rends

Sur les doigts qui de la belle

Aventure a pris fin

J’adore l’engeance qui t’a faite loi

Arborescence sensuelle, tu me le rends bien.

De ta pleine vitalité, familière actuelle

J’alloue à mes pensées

Le bouquet de nos tutelles.

 

III. Quand la lune était belle

 

Quand la lune était belle

J’étais de format à m’y glisser

Dedans la lune belle

J’aiguisai alors mes jeunes dents.

J’eus à tâter, du melon d’avoine

Les dentelles d’un champs de pivoine

Quand à l’azur pavoisant

Une aurore Gabrielle

Passe avec un cordon.

Au clair j’admire la chair du bourdon

Quand elle vient éclore sur ta boutonnière

Et s’étirer du colimaçon

La chanson de ta chaumière.

L’hirondelle au corbeau

La casserole et à foison

De la pivoine jusqu’au chardon

Je suis la luzerne au grand sillon.

 

 

IV. Les quatre derniers jours

 

J’ai mal au dos, les quatre derniers jours pire encore

Je n’aurais jamais dû, non jamais dû

Je n’aurais jamais dû donner de la puissante chance

La force capricieuse du tord.

Ma mère au front abandonné

Mon père aux serrures sans clefs

Ma trahison aux silencieux remords

J’ai peine à le dire, mais j’ai eu peur de n’éclore jamais

Ma liberté a cher payé de la survivance.

Mon caprice pour diviser mes énigmatiques errances

La pluie fine sur les bas-résilles de la misère intellectuelle

J’effectue l’as pour un mort, tu es la belle.

Je cours, et j’ai raison de courir

Encore, le fil n’est qu’un timoré silence

Pour l’ombre qui, en patience, cadence, quand danse

La pauvre à la lueur d’un horizon banal

Et déchirée au sacrifice des liaisons anales

Putain de quartier pour ne point trop mériter

Qu’on nous nommes, et pour le bien, faisons les putes de la charité.

Mais délivrance, sans diligence, j’arrive pour soigner l’artifice

Ma suffisance, pour joindre les deux bouts, se contente des orifices

Pourquoi fallut-il que femme naisse sous un si boiteux destin

Et s’en aille à pieds joints au-dedans, sous les robes de calamiteux célestins?

J’abhorre vos prières et j’abhorre vos chagrins

Je suis une fille sans plume et sans chemin

De prier à Lilith qui désespère

Et ce du soir, et jusqu’au matin

Je m’en vais sucer le Fils

Et puis le Père

Dans des louanges sans lendemain.

 

 

V. Être femme

 

Être femme qui sans un drame

Adore encore changer.

Ne s’en remet pas

La chance des histoires raccompagnées

J’ai compris cela, dix pour un à trois cent bras

Sur ma fourrure, moins que cela.

Pour être comme pour femme homme sans malice au cèdre et cætera

Qui une fois cède s’aidera

Qui je suis? De l’antre au soleil qui en mon lieu sommeille

Et cherche l’almanach: des corps, des têtes, des échalas.

Si je suis homme, fait-moi la femme, à comprendre

De l’homme la féminité naissante dans la rencontre d’un superlatif animé.

Dans l’absolu l’être humain se dégénère pour admirer

Et de ses régénérations par mille autres candeurs

Admire ce que font les hommes pour des femmes

Qui de parties d’eux ne font que

La science exacte d’une alchimie synchrone.

J’adore, j’adore, comme je suis homme

Dans le ventre et dans le blâme

J’adore j’adore, et pour vous aimer

J’adore et chéris

Des louanges jusqu’aux doux vins de votre table :

Être femme.

 

 

VI. Belles de feu

 

Belle de feu, ou de ton feu

Belle de l’être, et sans l’être

En feu.

Incendiaire, et sans bouteille

Tu prends l’âge

De tes talons vermeilles.

J’envie et jalouse tes cuisses belles

Et rebelles comme des truites

La chevelure aux amoures détruites.

Romançant tes rançons

J’ai dans la bouche un cadre, une chanson

L’amour dans une prison

Aux mots doux des doux espoirs

Et des doux colimaçons.

Dans tes mains, sont jointes, la vie

Autour de nous, décrire un arc

D’écrire un cercle, autour de soi

Il s’agit, d’appeler

Un chat un chat

Et du chien qui de la patte à la chatte a

L’amant à sa liqueur douceâtre

Comment appelles-tu cela déjà?

L’Oiseau de Feu qui du volcan connaît la loi

Tu es à mon chapeau ce que la plume est au puma.

 

 

VII. Dans la rue du bordereau

 

Dans la rue du bordereau

S’insinue le sinueux

Éternue la sinueuse.

Qu’il est beau de s’arrêter voir, dans la vitrine du grand boulevard

La femme, la divine, la perdue caresse

Mais nous les hommes, savons-nous donc admirer cette majestueuse paire de fesses?

Je m’avance comme un enfant quand tous, à l’œil qui siffle

Du même côté, regardent, et bavent des « je t’aime »

Des « viens à moi »…

Comme je jalouse leur témérité

Quand je supplie en lamentant la tranquille vérité.

Marchant par les couloirs à genoux

S’insinuant dans les placards

L’un sinueux, insigne heureuse,

S’insinue dans la sinueuse

Et décroise en tire-bouchon

La tête géante du caribou.

 

VIII. Solitaire

 

Le tigre, ô solitaire

Dans la campagne à mi-terre couché

Et pour colorer la trouble troupe du vice

Dore en dévorant la luciole d’un serpent vivant.

Que tu me touches, j’aboierai pour donner à l’alarme salutaire

Un flamboyant renouveau

J’ai mal appris à n’aimer pas la silencieuse humeur des vagabonds

Et du carnage des plus sages, des plus viles scénarios,

Sous l’aride fleuve, je m’abreuve, et molestant l’absence,

Je fais le beau.

Je suis un tigre solitaire, perdu parmi les panthères

Et comme un lama je désespère

Que mes comparses me crachent dessus.

Dure loi alors pour l’animal enorgueilli

Qui veut de la justice réclamer un tribut.

« Jadis il y avait dans ce pays moins de crimes et d’abus

Contre le refus à la tendresse, et j’entends bien que l’on m’explique

Pourquoi il faut qu’en ce monde, toujours, encore, souvent,

Pour se parler bien ou se dire bonjour, l’on s’agresse.

Je voudrais juste être aimable, à ces dames pour une compagnie souhaitable,

Je réclame le soutien. »

Mais tigre, ô des tigres,

De la joie il y en avait assez pour que tu n’en ais pas

Et comme nombreux sont les jours où se croisent de lourds appâts

Attends, attends encore,

Et le jour où du peu la cascade saura verser de l’autre côté du nid

Où de ton repas tu daigneras signer,

Moi j’allumerai, dans un temple ou dans une église,

Un cierge pour les rois.

 

IX. L’indispensable

 

L’indispensable, c’est d’aimer

S’aimer soi de comprendre pour soi

Dans la multitude une et autre

De l’autre, l’indispensable loi

D’une éternelle récréation.

Si tu savais comme je t’aime

De n’être qu’infidèle à ce que je voudrais te faire

Faire, faire dire à tes genoux sans lois

Quand tu danses selon les tiennes, m’échappes

Et ne m’absentes pas.

Si tu savais comme je t’aime

Quand tu vis et que je n’ai que peu de mérite

Sinon la bonté que tu me donnes à partager.

L’indispensable, c’est d’aimer

Et j’ai aimé trop de fois

Et me lamente

De ne m’en souvenir pas.

 

 

X. Ronds de fumée

 

Je me rappelle

Tes ronds de fumée

Insolente.

Je me rappelle

Comment tu m’aimais

Indolente.

Je me rappelle

Tes crottes de nez

En dilettante.

Je me souviens

Tes charnus baisers

Trop contente

De pouvoir me laisser

Sans chercher à flâner

Je te retrouve enfin!

Je t’aime et transpire à coups d’œil

Ton parfum.

Je me délecte

Je me souviens

Dans le frein.

Je me délecte

Je me souviens

Je t’aimais bien.

 

 

 

XI. Récréation

 

C’est l’heure

Au temps long quand les violons

Proclament la récréation lente

Tu, dans un sanglot, recrée le monde.

Affranchie par la renaissance des lettres

L’obscurité aux premiers points de clarté

L’esprit agile, la mine courbe

Tu ploies sous la ligne et l’échelon du fourbe.

Vite! que sous l’aile de la villégiature

Du diable tu saisisses ta monture

Et à dada sur mon bidet, lave du plomb dans tes abcès.

Mon cœur, mon poussin, mon oursin, ma lune, splendeur de la femme!

Tu dors et ce soir sous de charmantes et calmes palmes!

Ma larve, ma cigogne, ma rose, toutes clameurs que tu gagnes!

Je rêverai tantôt d’y apercevoir, du bout de ton petit nez, une étoile.

 

 

XII. De renaissances d’hommes et de femmes

 

Protège, de tes scrupules, les renaissances de l’homme et de la femme

En toi, comme dans la pénétrante acidité du mouvement qui courbe tes mains

Je sais qu’en ton cœur se découvre un désir souverain.

Tu cries en toi-même le désir d’en découdre.

Tu cries devant la vie l’injuste censure de cette foudre.

Qu’y a-t-il dans ton propre pays qui te soit si indifférent?

N’aimes-tu pas les landes de ce paysage si contraignant?

Ne le trouves-tu pas porté par une certaine émotion?

Ne te parle-t-il pas?

Moi il me parle, mais il ne m’appartient pas

Pas plus que mon propre corps.

Mon corps appartient à ma terre, et ma terre saura se porter garant de sa succession.

Par pudeur, tu caches ton chagrin.

Alors, par pudeur, viens cacher le mien.

Tu sais que nous sommes tous d’hommes et de femmes

Pourquoi refuser cela, et faire le parjure en plus du blâme?

Pourquoi blâmer, oui, nos écarts si différents

Quand ceux-ci ne nous en rendent que d’autant plus grands?

J’avoue avoir raté l’oraison singulière de tes pleurs,

Je n’en réserve pas moins des places pour le premier des prochains quarts d’heure!

Me reprocheras-tu de n’avoir pas été de tout le temps ton intimité?

C’est que j’étais, il est vrai, bien préoccupé…

Ma propre sècheresse à peine en éponge, j’avais le cœur en bouillie épaisse

Et je ne possède aucun filtre…

Ne m’en veux pas. J’aime la féminine présence de ton à propos

Je serai bientôt présent, allongé dans tes seins chauds.

 

 

 

XIII. Délicat spleen

 

Le délicat spleen de la délicatesse

C’est quand de la terre on ne sait plus

Suzeraine, je te sais

Du vassal obligé, je veux porter une couronne d’épine

Tu me connais, je ne raterai pour rien au monde

Le massacre indulgent des jeunes filles

Quand à genoux on les appelle pour prier

Sur l’autel de la sexualité éveillée.

 

 

 

 

XIV. Ode à la vie

 

De l’Ode à la vie j’appelle à la lumière

Qu’on sorte les flocons, les couleurs, le champagne!

Des verres des arlequins freluquets et bavards

Des destins des sauterelles qui auraient de poids des coccinelles!

De l’Ode alla vie, je voudrais partager la saison aux fruits d’un été à la brume oppressante!

Je voudrais dire que le temps est beau sous les belles vacantes!

Bacchantes, apportez l’huile! Il faut en finir et faire déraper le hasard!

De l’harmonie tirons les foins de la discorde,

Et que sur ces radieuses fleurs mûrissent les raisins de la nouvelle Gloire!

Et si elles ne veulent ainsi chanter sur les terrains salés de notre horde

Alors allez-vous en faire valser sur les cimeterres de la Concorde… nos déboires!

 

19/08/2010 Nice

 

 

 

 

II. Recueil du Bauer

 

1. Transigeance

 

Allumer le jour

D’un pompe sur le calumet

De la paix ou de l’oblongue monticule

Arborescent et cruel

Quand la flamme calme le bouillon

Le disjointe, le décapsule.

 

La lune a de son capricieux délire

Su dire qu’elle avait saisi

Un geste d’importance, au nom

De la catastrophe.

La lune au principe a jauni

Pesté contre l’éructante qui en médisant

Caresse l’avenir

L’infini du « comment dire déjà »?

Allumer le jour de cette nuit

Allumer

L’amulette dans le puits des songes

Caisse d’illusion sur la semelle du prince

Caillasse la chasse à l’impardonnable.

À la lune que visite le trublion jupon de nos nuisances

Un geste encore insoupçonnable

L’horizon.

 

Au portail s’attribuèrent des calendriers de lézards

Ils adoubent parfois le patriarche qui se couronne

S’il lui plaît, raconte-moi une histoire

J’ai l’embryon qui toujours le soir, s’assaisonne

De n’être point de Jules, ou de César.

 

Ici on vit

Dans ma maison à la cabosse des pays des drôles

De Char

Qui fait chanter la pluie

Griffonne un flanqué

Flaque qui luit donne, et l’oblige à sourire.

Sur le blé dans les gonflés remous de la terre sans mastique

Je me plais à me perdre, dans une vague d’enfance

Confondu

Tout goût pour le hasard.

 

Je vois dans ces bouquets de têtes droites

Quelque danse qui m’enchante, et me désespère

Il n’y aura donc point d’autres toupies

Que celles qui s’élancent autour du vaste chêne

Et du tilleul qui par foi s’encre en terre?

Entre les lames, des canotiers indistincts

Les jolies dames qui ont la minuit

Et encore, se désarment

Déforestations de l’immobile.

Chaque parasol abrite l’ennui

Je transige

Je m’accole à la buée

Un parapluie.

 

Ainsi au-dehors

Je crois

Quand vient, un parking, à heurter ma fenêtre

Les jongleurs du gagne-pain.

J’aperçois les remparts d’un sauteur de brique et violoniste

La mine opale, il se décortique

Les mains attachées

Le haut d’un virtuose tremplin

Un trampoline.

 

Et j’aimerais aussi voltiger, avec lui, sur l’onde pâle

Du petit garçon que je suis, je me demande…

Quelle médaille mon père aurait pu recevoir d’un tel exploit?

Quel mérite, a ma mère, à se découvrir

Apte, de ses propres lois?

Et je ris, et je ris

Car le plongeon, sur le dos du clown, me sourit encore

Et ses grimaces sont un baume

Sur mon cœur aux si curieuses marées

Si curieux cyclones

Un champs d’hymnes et d’oboles

À la droite carabine, une limace

Et à son phoque, un duvet

La loi maritime de patauds dictons.

 

Alors

Il y eut en mon cœur une large autoroute pour les âmes sans péril

Quand en quittant les petits chemins de campagne

Elles trouvèrent dans ces valeureuses canes

Qui ayant quitté à bas leurs chiots

De l’éclosion

Vont dans le lac

Pour bientôt

Jeter, à l’abordage de l’autre rive, toutes rames.

 

J’eus dans mon mouillage des totems gris pour n’avoir jamais verrouillé

Ce qui dans la séparation du python charmeur forme la conscience.

J’ai forcé la canne raide et grave de mes aïeuls

Et ses secrets ont fouillé avec moi dans la terre ravine

Les mains pleines de libellules

De vilaines malices

Et de substantielles interférences.

 

Alors

Je ris en sautant dans un parc de branchages

Et des rameaux qui sous le déluge devinrent rances

Je découvrais le futur loisir d’être un homme, une frontière

Le plafond d’une croix

Une bonne croisière.

J’allai vers le vieux chêne

Pour boxer mes antennes je brandis des gants

Au velouté fer

Depuis la carapace vague qui feuilletait dans mes frayeurs

Brigands et héros

De, luisant, chrysanthèmes

Puis j’émoussai de la lame brillante mon suivant héritage

La mousse d’une crème à la promesse digitale.

 

Devant la foudre, je criai

Devant le tonnerre, des yeux, encore

De mes bras j’ai hurlé

Un chant de guerre

Que j’avais des oreilles

Et de ces mille marmailles de sermons

Qui m’environnaient comme des sœurs

Je me débattais pour en dénouer le calice de mes erreurs.

Non, il n’y avait de nom dans le pas de mes consonnes

Depuis la fin des temps nouveaux, j’effaçai ses sures de ma couronne.

 

J’étais en masse d’être encore un homme à nouveau

Brillante lutte de la nature

J’abritais dans mon sein un certain sang du corbeau

À sortir d’un mouchoir le prénom d’Isabeau

Et ma mère courut vers moi, m’attrapant

Pleurait que je devenais fou

Sous les vagabondes en zigzaguant

Ces provocatrices perles jaunes qui tombaient des Enfers.

J’étais un homme, me voilà paire

Ivre de raison

J’avançai vers le ciel pour y puiser

Absolument incertain, ma légitime colère.

 

« N’es-tu pas un saint, ou bien un lâche?

Toi, Ciel! Instille pèlerin!

Pleurniche à ma portée! »

 

La course à l’alliance prit suivant sa tournure grande

Les mollassons s’effondrèrent sous les déviantes

Entre mes pieds la planète s’engouffre

Et je grille, obsolète, dans la noirceur de mon squelette.

Je suis en vie, certes, je me consume, comme tous les êtres

De toutes reines fourmillent

Mes vaisseaux courent les sentiers

Délicieux lombrics

Et je me courbe pour ramasser cette poignée de divines Amériques!

 

Oh… oui! À moi la soif d’itinéraire!

Oh oui, elle délivre, au creux de ma tristement belle

Le grain savoureux du doucement amer!

Oh… il y a des tunnels que nulle tortue n’emprunte à jamais

Ses œufs, petits et lourds, attendent

De peur d’y rencontrer le Diable

Et il y a dans chaque été boréal

Une Krishna pour en souffler les attablées clairières!

Oh que le torrent creuse au fond du terrier

Et en agrandit la source!

J’y vois dans le gouffre, mon image qui se balance.

Tomberai-je? Ne tomberai-je pas?

Et en ce moment même,

Ne tomberais-je pas déjà?

Puisque je suis Homme, il faut que j’agisse comme tel

Je vois pour mes caresses, à soi-même

Le griffon de mes tutelles

Je m’absente dans l’amour de toi

Je reviens dans les gerbes phosphorescentes d’un cerveau

Un flocon

Ce canevas!

Les filles, à vos ombrelles!

Cachez de vos épaules les trop fragiles tourtes!

Je les vois qui toujours dévorent

En chassant de l’œdipe les vaillantes et courtes

Sauterelles

Elles sont pires que des démons

Pour l’antre des garçons

N’y aimez que les ailes!

 

Devant mes pères le Diable au bonnet brisé

Au néant du moins, depuis, se dresse

Quand ils réclament à la suite de la traverse

Une flute pour Pan

Le droit d’invoquer la majesté antique

Et l’antique tendresse.

Tombera? Tombera pas?

Qui en ce monde, alors, voudra remplacer le Démoniaque?

Sûr qu’il y aurait des candidats…

Je vois en cette ombre comme un fuseau

Le mistral qui s’y perd sans rien avoir

Pour perdre le magnant faisceau

Et de son gigantesque ventre, le nombril pointant de l’antre la présence

D’un point de choses plus effrayantes encore

Que le dandy qui n’amusera pas plus que le nom

Dont il gronde la mauvaise bêtise, la légère méprise

J’aspire ma propre tête

Comme un lait à la matrone

Foudroyante.

 

Au-dessus de lui, le vignoble à la bile violoniste

Et le grillon heureux, sans guitare ni bonne chanson

D’entamer courageusement un air

À disturber la créature consensuelle.

 

« Je vois que l’on s’amuse encore, lance-t-on,

Pour se rendre plus présentable, à faire,

Bien correctement, des pieds et des mains

Pour nous présenter au diable!

Ne sait-il donc pas parler? »

 

Le joueur s’arrête, s’avance vers nous

Et le Diable, derrière, à genou

Alors que les matinaux sifflent

Déjà les quelques brins d’esclaffe

D’escapade

Et d’une gifle

Nous livre sa viole.

Tout en s’essuyant,

Du front il nous indique la caravane d’un coupe-gorge.

Un instant

Il s’applique

Au ramage distingué

Un rose moineau.

 

« Il n’y a pas que le rouge qui sied à mademoiselle

Encore faut-il que, pour subsister, je m’entraîne à remuer des ailes

Des guiboles.

S’il faut que, pour devenir maçon, je me frotte

À la lueur des boissons sérieuses

Je veux tout de suite m’envoyer paitre

Me déclarer portraitiste, et vous rendre

De mon estomac capricieux, le portrait du peintre.

Fait à son image, je ne suis ni du Dieu, ni du Diable

Mais seulement d’une bien curieuse combinaison

De la pêche, ou bien du sable.

Voyez, mon violon

Et si j’ai raison, transportez-moi. »

 

Aussi, de remettre mon chapeau, jamais je ne me lasse

Pour donner court à des idées folles

Je me délaisse, les bras en belote

Quand je vois venir, du bout d’impérieux hameçons, et d’une rigole

Ma tête qui danse

La gigue au doux vocable

À la porte d’un train.

 

 

 

II. Kaléidoscope

 

Une bulle dessus le chat

Qui dort

Je ne m’en remets pas, moi

De le voir, dormir

Pacha, sans histoire

Finira dans trois semaines

D’allumer ses chandelles.

 

En arpentant une colline

L’apparent chat cherche la parente

La liberté qui sans des doigts

Livre ses tâches

Du blanc et du noir

Du blanc et du noir

Divergences hallucinatoires

Qui voit chat titubant dans les couloirs

D’arides ascenseurs

Il tombe des étages

De catastrophiques immeubles.

 

Retombera-t-il? Ne retombera-t-il pas

Sur ses pattes

Alors que le rêve se ploie?

 

Je le suis dans sa folle descente

Tandis que par malchance

Ma trop légère tendance

M’incline à chavirer

Vers le haut d’une autre vallée.

Une fois tordus en deux

Le chat et moi

Dans deux aspects séparés

Ne rassemblons plus rien de commun.

 

Je ne ressemble en rien au chat

Qui de moi-même semble prendre les traits

Dans l’engourdissement de mon visage esseulé

Mes pattes hérissées

Lesquelles sont le poids

Et l’engendrement illimité

D’un étrange imaginaire.

 

Je ne suis en rien

Le chat, oui

Le chat, oui.

À l’heure du thé

Se distraire

Quand je contemple

Par la fenêtre

La cour ronde

Ma cité.

 

 

 

III. Trompeur hasard

 

Je me levai tôt

En brûlant les tranches du bois vert

Une brindille.

Il y eut dans un filet de fumée

Toute l’incandescence d’un incendie barbare

Et la dantesque sècheresse d’une symphonie liminaire.

 

Ô que le hasard est trompeur

Quand l’éveil

Joue de lui soutirer quelque mystère.

Que pouvons-nous bien cacher le long de ces vagues chimères

Pour combler

L’absence de rites dans nos horizons sans joie?

 

Je ne voyais alors

Pas de remède

Je ne voyais pas

Qu’un humain intermède

Puisse découvrir

Du circuit, les guirlandes.

De cette illusion j’ai humé la fabrique d’un drapeau

Et j’ai bâti à mes côtés

De mailles en tresses serrées

Pour ne point pouvoir, à l’aube des premiers soupçons

M’en dégager bien

Une château de sable en chaise cannée.

 

Voguant ainsi sans travail

Je me précipitai

Tête avant dans la bataille

Et du treuil en acheminant

J’ai ramassé ces quelques poignées

Non moins précieux

Diamants.

Ô quelle folle aventure que celle-ci

Alors que, dans la nuit, le soleil se lève

Et renverse en traversant

De mon tourment la courbe lèvre.

Comme un silex je suis lancé contre les miens

Et je me sais de ne pouvoir m’arrêter

Dans ma course, sans demain

Et comme un ours, au-devant et par-delà

Par-delà et au-devant

La mer.

 

Je m’enroule

Comme un prétentieux contorsionniste

Je ne peux m’empêcher

De ne point contrôler

La singulière floraison qui de mon corps

Propre, jaillit

Et dérange la molle pâte du temps.

Contre moi le seuil

Le soleil, le vent

De l’iode l’impériale liqueur:

J’irai au levant

Si le ressac ne m’éponge.

 

Coincé ainsi face à la mer

Que puis-je, alors, bien faire?

Dans l’herbe tendre

Un pré-salé

Et un bouc me rogne le scalpe

Invoquant mon trickster

En croyant calmer mon tempérament.

Fut-ce celui-ci l’acte altruiste

Je ne pus déchaîner autrement la grille du triste

Clown aux mille dents

Qui me sourit sans malice

Non sans raison

Mais de sacrifice, au front de la salaison.

 

D’une incisive basse, je récupère mon secret

Enfoui, profondément, dépeint

Enfin, j’ai réussi une pensée.

Entre mes doigts, ou dans ma main

Avec indulgence

Je la regarde en fermant les yeux

 

Elle se déploie.

 

 

IV. Un jour j’ai vendu un chameau

 

Un jour j’ai vendu un chameau

Il n’avait ni mine, ni ciseau

Ni crayon pour un quelconque dessein

Il n’était pas très charmant

Aurait-il eu l’air d’une clameur

Du bas de sa lèvre supérieur

Il n’y avait

Une dent

Jamais peur?

 

J’ai tourné ma tête vers lui lentement

Il tourna la tête

M’aurait-il déjà pardonné?

 

Il revint vers moi un jour

S’en fut d’un cheptel en fuite

Je bégaye

Il, doucement, m’explique

Assis sur des bagues avec un chapeau:

« Tard, tard, le soir,

Quand la lune s’effondre dans le sable

Et que les yeux contemplent les étoiles

Hautes, où le cou se disloque dans les grimoires

Quand des cierges s’allument des caravanes

Je me suis souvenu, de ton regard,

Le destin sans gloire. »

 

Nos lueurs à l’auge de nos différences

Brillèrent côte à côte

Camarades

Charmeurs des entrechats

De l’Histoire

Nos dérisoires trajets

Ma trajectoire.

 

 

V. Sous les rapides

 

Abrité sous une cascade

Quand jouant parmi les rapides

J’abrite, myriade

Un rocher disparate.

 

Le courant qui glisse vers moi

Murmurant un cantique

Annone une clef

Pour délivrer son plain-chant.

 

Ah que la lumière est belle

Réfléchie dans la nuit

Claire de ses suppléments

Des louves et des grigris, des vagabondages

 

Un écureuil, sur le trépas consentant des fleurs

Passe

De sa jalousie des sommets

Me défie, et, de ses petites griffes,

Me masse.

 

Sous ses cliquetis j’imagine

Ce que nulle microscopie

Ce qu’aucun polyphonique vertige

Ce que nulle machine

Et nul belliqueux engin

Ne saurait me dire.

 

Dans cet environnement

Sans heurt et sans chemin

Je m’endors

Je ne sens rien

Je ne sens

Plus

Rien.

 

 

 

VI. Totem

 

Sur les fronts verdoyants des soldats

De joyeux totems, où le grisou s’ébat

Quand explose la colline

Au ventre aiguisé d’une mine,

Glissent parmi les hommes

Sans voix.

 

Les gardes applaudissent

Sans bien savoir

Ou ne sachant que trop

Que des luxes du pouvoir

On se distingue de l’échafaud.

 

Des comètes, comme de nouveau spectatrices,

Surgissent du ciel

Et les jeunes gens ébahis

Se jouent de la menace

Et rient.

 

Ils ne savent que trop

Que des luxes du pouvoir

On se distingue, presque sans le vouloir,

Du salvateur escabeau.

 

Des pieds sur les délirants magiciens

De tous bords

Sortent leurs manches

Des vrilles, des gardiens

Qui autour d’eux veillent

En un imposant

Service d’ordre.

 

Il n’y eut pas de police

Pour une si virulente manifestation

Quand aux remparts de la galère

Ils s’engagèrent dans les rues

Et étranglèrent

De la sainte armistice

La Cité en ruine

La Reine à son goulot.

 

Dans les fermes, ou à la misère

Joue contre joue

On se serre

On déjoue de l’horizon le puissant éclat

La colère

En imaginant ce que peut bien être une ville

Quand le ciel, ainsi échauffé

Devient rouge.

 

Il n’y eut pas de cri

Pas même de crime

Pour qui de tous les jours

Sourit à l’albatros

Et si à ces uniformes

On avait fait jurer

Au prêtre

Je suis sûr, sur ma main

Je l’aurais même parié…

 

N’y eut-il pas ce même ennemis commun

Ni même ce si cuisant allié

J’aurais eu force, et, courageusement

Tu aurais eu honneur, et clarté.

 

Précaution, à l’ombre et à la lueur

Je m’avance

Les bascules se balancent

Et bousculent les jets d’eau

En brumeux pompiers

Et silencieuses bacchantes.

 

C’est un ballet délicieux

Que de voir la ville en cendre

S’éteindre sous le tintamarre enamouré

Des miaou miaou

Des amants échevelés

De partout, on accoure

Et je me sens ravi de me joindre

À la cohorte de cette cour.

 

De partout, on vient

Et on continue à venir

La cité enfle

Et le maire semble alors

Prévenir

Que si nul, du néant

Ne sait aménager

La Vie

Il n’y aura pas un fonctionnaire

Et pour bâtir, il faudrait des volontaires.

 

Vaillant, un peu honteux,

Je me propose

M’ont-ils aperçu

Sous les mains qui, en l’air,

Pleuvent?

 

De prises alourdies

Dépité, je baisse la mienne

Et c’est le désert

Mais je n’ai pas de peine

Toujours tourne le carrousel

Et le shérif emmitouflé

C’est une charge

Passe

Et je ne peux, non je ne peux m’empêcher

À son galbe amidonné

De boire.

 

Le voilà, cette grondante

Qui hurle de rire

Prête à mourir

D’une fièvre jaune

Il s’anime comme un jouet, le diantre

Et d’une image à la seconde

Étire son large fouet

Selle son salon

Et part, part loin

Me laissant en ville

Et le malin

Dans la bulle

Dans ma main

Élimine les pourquoi.

 

Là-bas, silencieusement

Toujours s’agitent des fontaines

Qui, parodiant l’incendie

Au royaume des sirènes

Là-bas, autour de la vie renaissante

Allument un foyer

Un havre dilettante.

 

Je m’y enfonce sans y penser

Et des conséquences je ne sais la portée

D’actes téméraires

D’actes insensés

Et pourtant si salutaires

Aussi salutaires que la pensée.

 

La niche me recouvre

Je cours

J’aboie

À errer jusqu’aux carrefours

Des quatre chemins.

 

La guerre était finie.

 

 

VII. Cela dut être l’heure

 

En ce jour de longs calibres

La neige tombe, et nous rend libres.

J’ai hâte, de ce jour, de sortir

J’ai hâte de jouer à lever la tête

Me laver de mes absences.

En ce jour de grande fortune

J’appartiens, au monde, à ma présence.

 

Aussi cela dut-il être l’heure

Où de l’almanach je trouve ma juste saison

Je ne marche pas, je reste

Et je demeure sous cette dune concrète.

 

Il y a, là-dedans, de l’eau

Il y a, encore, les houleux matins.

Un perroquet gris passe, déteint dans les alluvions blancs

Ses sagesses alanguies.

 

Aussi cela dut-il être l’heure

Où du chapelet je tire, d’un briquet, une luciole

Et résout la candeur de cette masse blanche

Découvrant, du feu, la terre rouge et brune.

 

Sa voix est celle du roc en éruption

Et j’avoue avoir séché vite

Enseveli par la nature alarmée.

 

Toute la vie s’amasse

Et je deviens un foyer de neige

Pour le groupe pressurisé des voyageurs du temps

Du vivant éclos déjà, en route pour un destin anonyme

Du début et de la fin

Du bain où le demain, à chaque moment, s’affine.

 

Aussi, de devenir à moi-même ma propre terre

J’existe…

Je vais me taire.

 

 

 

VIII. L’orge et le prisme

 

L’orge se balance

Balayé, toujours

Depuis mille ans

Et s’approche

Progressif

Transgresse

D’une loupe

Et la lumière du prisme

Quand ses lianes étourdissent ma main

Au poignet

Sauvage, intense

Invasif.

 

Je, porte le message

Arrive au milieu d’un nulle part

Où aucun parage

Nullement hagard

M’agrippe au temps

Que je lasse à ma cheville.

 

Partout destiné à me suivre

Il s’incline, je cueille des bouquets

Tresse des couronnes dans le soir brun

Du bouc j’imite les tendances salines

Salivant ma parole

Et fuit autour de moi

Dans des signes capricieux

Priant à mon envol

Priant entre mes mains.

 

Je caresse son odeur mièvre

Son étrangeté

Qui se transforme

Se mue en d’hallucinants blasons.

 

Laissant son épileptique système

Aux arrières de ma psalmodique cargaison

Je, porté par une barque, découvre bassins et marécages.

Brisons de son cours les flots

D’une canne, les fonds, je touche

J’abreuve la boue magicienne

Ses pieds aux alouettes sereines.

 

Au portail, des monts aînés

De jeunes montagnes pointent leurs grands nez

De tentaculaires dentelles, à cette vue

Je sors, à cette longue vue

Le cercle gyroscopique de ma visée

Et les nuages, ces autres mousseuses incandescences

Forment une coupe autour de leurs têtes.

 

Guidé par un lièvre au bec singulier.

Écartant de notre chemin des grenouilles

Nous gagnons terre.

 

J’eus peine à retrouver le sens de la marche

Après avoir tant navigué

Dans les eaux du patriarche.

Cette vieille mémoire

A trouvé le repos

Et je m’en vais chercher, dans ses vers,

Les restes d’un cadeau que je lui fis

De naître, encore, chaque jour, dégradant les mille couleurs

De la présence continuelle.

 

Une guêpe vient m’instruire sur le déroulement du temps

Une taupe répond de sa non-science

Dit qu’il faut creuser, tant que l’on a l’existence

Et le faucon passe me faire saisir une vue plus vaste

À son image, conscience

La surface du globe, vue d’en-haut

Est bien différente…

Exister dans la mémoire passée

N’être plus ce déroulement

N’être que l’acceptation de la continuité sans marques

L’éternelle transformation

L’immuable recommencement

Voilà que mes genoux me délivrent…

 

Je n’ai pas terminé…

Mais qu’importe

C’est là que je dois finir.

 

Je me réveille, je me relève

On m’appelle pour manger.

 

 

IX. Hôtel

 

La commode, vieille et abîmée,

Verte et large

Au-dessous des cabrioles

Des vastes passages

Des passages vastes.

 

 

 

X. Boucle sur une joue

 

Si tu pouvais me convaincre

De me faire faire une boucle

Sur la joue, sur le rebond de ses yeux

Je le ferais, mais seulement

Sans raison

Je ne fais rien.

Dans ma salle de bain, un éléphant moderne

Puise, avec sa troupe

Et de sa trompe

Passe

Lance les adieux.

 

Il y a dans le jongleur

Aux automobiles qu’on manipule

Un cadre pour ma maison.

Je te retrouverai ce matin

Et partagerai mon repas

Radieuse compagnie.

 

Si tu pouvais me convaincre

Que du massacre des traites

Sur les boulevards

On adore commenter du toujours

Les délicieuses ignominies

Qu’on se heurte le corps

Et que de se jouer du front on regagne les terrains de la vie

Et parce que « si » est un autre à venir

Je suivrai le flamand rose et rond

Déchirer le ventre d’un lapin.

 

Son sang lui mouillera le bec

Et de sa grande silhouette

Il démembre la structure de l’espace.

La terrible brutalité

La concrète violente

Hante ainsi la vérité

Qu’à se cogner aux murs de la conscience

On n’en trouve aucun que l’inflexion ne contracte

Et nous en trouvons contraints à nous rallier, ainsi, à nous-mêmes

Remuer nos organes en deuil

Quand à la luxuriante jungle de nos espèces d’idées

Rebondissent les couloirs de nos cités.

 

Si tu pouvais me convaincre de la complexité de nos formes

Je pourrais alors demeurer cette anonyme nécropole

Et dans une résolution simple

Dénouer, de la sagesse, la rigueur.

 

Mais laisse-moi

Sur ta joue cueillir la boucle charmante

Et je te donnerai ma mienne monstrueuse

Le Moi qui vibre

Sous le vent délirant

Sous la lune dérivante.

 

 

XI. Hors

 

Hors du nid

Toujours

La présence

Du vide.

 

 

31/08/2010 Nice

 

 

 

III. Les nocturnes

 

1. Grive

 

Plume, échaudée

Sortir.

De l’eau de ma coupe

Illumine, l’or

La grive

Morte, ou endormie

Par le givre

Dort.

 

Te sortirais-je de là cent fois

Tu ne t’en trouverais

Que moins misérable

Si

Petit amas, dans la forêt

Du sable

Caresse adoucie

De l’orifice d’un globe

Mi-mot de l’esprit.

 

Je suis las d’être ce devant

Quand derrière moi, au loin, passent

À ma porte non-close

Les serments

Que je rate

Les grimaces

Les chutes de l’envers

Et à l’endroit qui vibre

Quand tes pupilles

S’illuminent

Vrillent

S’effacent

Je délimite ce que je désespère.

 

Tu es la grive au long pardon

Qui chasse l’heure, et de ses serres

Attache une mèche à ses cordons.

 

 

 

II. Silence

 

C’est quand, environnés par le hasard

À nos oreilles jaillissent des hameçons

Pour nous les tirer jusqu’au blizzard incertain

De ruminantes lunes

Contraints par l’espace et l’impression

De l’air jaillissent de puissants hameçons

Pour s’agripper jusqu’à l’incertain blizzard

Et dériver jusqu’à la limite

À rebondir contre les pores

Qui remplissent les dures cadastres

À nos oreilles des alluvions

Vaillants secrets de nos partages.

Ainsi, le silence à jamais, toujours déjà

Quand des moissons larges de larges faucilles

Tournent le soir en vain, apprend l’Homme et la nature

Des choses incertaines, et au soleil et à la lune, les valeureux destins.

III. Demain

 

Demain.

J’abrite la conscience

De l’enfant, je dérobe le jouet

Je dévoile l’existence et

Sans plus

De sentences

Il luit.

 

Déroutant vers moi, sur le chemin de terre

Il s’avance, le fétu de paille

Qui dans la bouche s’incline

Et se serre

J’avoue avoir réagi sans faveur

Devant l’étonnante censure

Grisant, de son éclat, la césure

Et délivre l’horloge

L’aiguille, au bout de l’Histoire

S’allume, et défie l’absence

De perception.

 

Les puits, se retirent

La nuit, le matin, à midi

Un soldat, une mère

Un glorieux principe, un embryon digital.

 

Je vais, je fuis, je viens

J’abandonne

Les mains en terre

Prennent racine

Et je mue, je grille

Un bras, au suc de l’Enfer

Délirant Paradis

La perversion

La sagesse

Le néant

Le rien.

 

L’enfant court

Lui aussi

Car le soldat

Prendre sa vie

Partager une pensée

Et soleil

Oui, le soleil

À midi

Éclipse.

 

 

IV. Cassis jalon

 

Le cassis, comme une boule

Boule, et s’enroule

Longe une piste, aux gerbes altruistes

Et cabre sa louange devant les quilles

De la sainteté maligne.

 

J’ouvre la bouche, tire la langue

Le filament, jusqu’à l’onde

Entre à l’éther, une seconde

Pointe gratis

Je vis, ton jus

Dedans mon palais

Trouve la raison.

 

Je ris, moi aussi, comme l’être fou

Qui se retrouve

Exhalaison, au concours

Discourir.

 

Tire, oui tire-moi comme la perdrix

Qui manque aux campagnes du Sud

Ou lâche-moi de l’élevage

Jusqu’au crépuscule.

 

Cassis, pourpre,

Dedans ma cuisse

S’écrase

Mauvaise idée

Grille d’opale.

 

De l’ivoire d’un quelconque animal

Je récolte les fruits

Et aux diamants du Saint-Esprit

J’offre, au jour nouveau

Une couronne de fleurs.

 

 

 

V. Mémoire dérivant

 

Mémoire dérivant

Il n’y a plus de guides autres

Que la divine Ours

Du cœur à la fabrique

De nouveaux songes

 

Je me perds dans les ravines

De roches blanches et bleus

Et d’ombres rouges

Quand sur la crête des icebergs

Surgissent d’effrayantes créatures

Qui dansent ensemble

Et, de la plante de leurs pieds

Vieux de leur héritage

Me lancent de monstrueux saluts.

 

Fascinés nous-mêmes par notre propre nature

N’a-t-on pas, de la déraisonnable attitude,

Voulu perpétuer l’étonnement

À la pâture

Pour dresser tout autour

Des tables

Les carillons de nos jugements?

 

Par maints ordres, je les entends déchirer

La fibreuse cale de mon vaisseau humble

Trop hardi pour la haute mer

Et m’en vais percutant

Du nez l’épine inévitable d’un virage

Et de ce tournant implacable

Laisse le sublime à son effondrement.

 

Mais par beaucoup

Du trop par trop lui-même

S’assigne une réalité

Je lui soutire

Sa couette, son divan

Je m’endors

La brise est fraîche

Le ciel noir, et aux étoiles

Je t’attends.

 

 

VI. J’attendais une compagne

 

Devant l’abricotier, à l’heure où l’on se bride pour jeûner,

Qui de son virginal pétale annonce le changement

Sur la rive, et de la berge

J’attendais une compagne.

 

 

VII. Joyeux drille

 

Sur les mains il teste du plafond

Jusqu’au parfum d’une jeune vierge

Une très ancienne coutume

Le joyeux drille

Passe le message

À sa tendre

Une mariée

S’épuise dans une larme

De joie

Le joyeux drille

En l’aiguille

L’air, cocorico

Écrase, dans sa paume, un poussin

Le raisin de l’adultère.

 

« Non je ne te tromperai jamais

Non, je te, à jamais, pour toujours

Serai fidèle

Du joyeux drille

J’ôterai les plumes

Je te prendrai

Oui

Femelle

Curieux animal

Pour femme ».

 

Aussi j’embrasse

Du joyeux drille

Le valeureux serment

Et offre à ma promesse

Envers la Vie pleine

Tout ce qui ne s’achète pas

Par le sang.

 

 

VIII. Aux armes

 

Aux vagues

Tiramisu

Un tsunami

Dans mon assiette

La vie, au lent soupçon

Se goûte

À la frontière d’un bonbon.

 

 

 

IX. Finir

 

Ligoté dans une grotte

À la clairière de l’instinct

Voilà que de l’indistinct

Je perçois l’indistincte colère.

 

Quelle misère donc

Si la vie, dedans le bocal

D’un appartement que l’on rogne

À l’ongle

Ne savait se tirer jusqu’à l’arc

Ou l’arbalète

Et s’élever, des racines

Jusqu’à la cime

Brisée

Des arbres

 

On ne pourrait alors

Enfants terribles

Enfants

De la paix

Qu’appeler, de nos gorges petites

Les manteaux de notre mère

Quand des pupilles jusqu’aux grivois

La jungle puise dans l’appui de ses missiles

Des hymens dans l’incendie.

 

Le fulgurant organisme

Jadis

Mystères

Et écarlate

Grime

Un visage

Une mémoire

Jubile, se ploie

Dans la poche du cabaret,

Pauvre subsistance d’un si riche filament

Qui grandit jusqu’à la piste qu’on imagine

Courbe

Encore, toujours, souverain

Mais non sans mal,

Le pont entre nous

À nous-mêmes

Quand des millions de nos espèces

Aux traits sinueux

Chantent à nos traits communs

La divine caresse sur la silhouette,

La pauvre, qui manipule

Au trépas des crépuscules

Et des futurs aux identités si remarquables

Le facteur le plus partagé

Du vivant jusqu’au minéral

À la recette de ce cocktail

Aux liaisons intimes

D’éclats artificiels

De couleurs vives

Dans l’astre imminent de l’éminent azur:

L’Ode, la lutte, la singeante absurdité

Qui de l’éternelle activité de cette Terre

Fait encore, toujours, souvent

À jamais obscur…

 

Le panache de l’Être humain.

 

01/09/2010 Nice

 

 

 

Poésie sans nom ni chemin

 

 

 

Les amants

Les amants

Étourdis

Sont comme deux pierres

Qui, regroupant leurs membres dans le lierre,

Enlisent au plus profond des ravins

Leurs cœurs

Et déchirent tous les incestes jamais commis

Quand ils brûlent

Dans leurs souffles

Barbares.

05/10/2010

Tout en vigueur

dimanche 26 septembre 2010

Tout en vigueur

Du faucon

Fond

Le cygne qui pleure.

 

 

 

Londres (à Stephen – dit « Cochon » – et Lara)

 

Et à quelques centaines de kilomètres

Séparés par une mer

Deux êtres qui s’aiment

Peuvent encore se voir

Et s’aimer.

 

Il fallait pouvoir dire cela

À un vieil ami

Parti là-bas

Parti encore

Pour la revoir

Se laisser prendre

Un peu

Pour changer la pluie en soleil…

Mais la ville est bien trop exclusive.

 

Et à quelques centaines de kilomètres de là

Séparée par une mer froide et sombre

Il pouvait bien y rester ce foyer commun

Qui refusait

Oui, refusait de s’éteindre

Si bien qu’on pouvait y voir

Comme un de ces miracles de notre espèce

Si prompt à dédaigner

Que l’on soit de Mars ou de Venus

Si tant est que l’on puisse être de l’un ou de l’autre,

Au profit du désir d’être ce même Mars, et cette même Venus

Distinctement interceptés

Résistant au mélange

Et pourtant si proches…

 

Il fallait pouvoir dire cela

À ce vieil ami

Qui tenait pour distance

Tout ce qui n’était que temps non partagé

Et qui tenait pour temps non partagé

Tout ce qui n’était que distance soumise à la volonté

Tenace

Du désir d’aimer…

 

Moi-même, j’ai ce désir d’aimer

Et je veux le communiquer

À cet ami, j’ose dire que je veux

Communiquer cela

Mon propre désir

Ma propre fièvre de pouvoir

Prendre dans mes bras

Serrer, ne pas quitter

Mais, juste

Laisser aller… et puis laisser venir à nouveau

Pour que le va-et-vient devienne continuité et rythme

Et non une aplasie du cœur

Dont la lente chimiothérapie dégraderait la vitalité…

 

Et à quelques centaines de kilomètres d’ici

Il y a peut-être la mort ou bien la vie

Il y a peut-être le foyer d’un feu autour duquel seront installés des amis

Mes amis… d’un jour, d’une nuit

Ou d’une éternité de la mémoire humaine

Il y a peut-être un être aussi prêt que moi

À l’instant semblable

Désirant comme moi

Découvrir la sagesse du moment que l’on partage,

Comme le pain et le vin,

Et de la distance absolue…

 

Il fallait pouvoir dire cela à un ami

Qui se demande s’il y a une raison pour laquelle

Les êtres humains restent ensemble

Et s’unissent parfois sous d’heureuses heurs

Tandis qu’autour de leur appartement chamarré d’or

Foyer de la vie renouvelée

Et à des centaines de kilomètres de là

De lourds canons s’abattent sur les cimetières.

 

24/09/2010 Bezons

Les beaux esprits

 

Les beaux esprits sont comme des boas

Qui grivois dans l’enroulement

Lorsqu’ils s’enserrent

Amoureusement

Autour d’une victime

Réclament de leur beauté une raison.

 

Ils ne savent donc pas qu’à se dérouler ainsi

Fussent-t-ils les plus infimes

Au cou de la victime

C’est à la lisière d’eux-mêmes

Qu’ils abordent l’asphyxie.

 

Atrophiés dedans leur chance

Sur les pas d’une carence

Et décimant les espèces différentes

Les boas recherchent dans les sphères belles

Leur annihilante logorrhée

Les rumeurs de leurs fanges

Pour se caresser,

Mais s’étranglant alors eux-mêmes

Dans leur contorsion,

Le bout des ailes.

 

22/09/2010

Régresser

 

 

Et je me dénude toujours

à la lumière du jour

Au couché du

Soleil.

 

Vraiment, ce qui m’émerveille encore

C’est de voir son or

Se répandre sous le lisier des fleurs

Et l’infiniment plusieurs des coulis fragmentés de la Seine

Ou de quelconque autre courant d’eau, de tailles si différentes…

 

Mais, toujours le même

Moi-même je suis différent à

Moi-même, pour moi-même

Isolé du reste du sentir

Je participe à cette fragmentation du monde

Réuni sous le signe de l’acceptation du moment m, définitivement indéfini…

 

Je parle du reste du monde que je ne connais pas

Et j’invite ce reste du monde à rencontrer d’autres que moi

Pour que moi je demeure

Là, insatiable

Insaisissable

Jamais désuni, et pourtant si éclaté

Car j’aime, et me trouve encore une fois, et un, isolé.

 

Sa douceur est une pudeur

Qui me rend grâce

Et je suis gelé

Sous le poids d’une rencontre

Qui n’aurait jamais dû avoir lieu

Qui me réduit au silence, au néant

Au renouveau du toujours le même…

Qui je suis, et qui je resterai?

 

Il y a dans sa gravité une chanson misérable

Qui est un regard que je ne saurais soutenir

Car de tous les enfants turbulents

Je ne suis ni le meilleur

Ni le pire

Je me trouve sur la ligne moyenne

Qui oscille entre l’indulgence et la médiocrité

Je suis sur la ligne persane

Qui délimite la présence de l’absence, notre débilité…

 

De tout le pays d’où je n’ai connu aucune culture

Je ne retiens que la terrible absence de sens

De poids, dans nos mots pourtant si sûrs

Si plein de sens

Et mûrissant comme des fruits trop éclatés déjà de science

Je vois nos efforts vains devant la majestueuse leçon de la vie sur cette planète

Cet équilibre

Où l’être humain n’est qu’une branche

Dévalant les flots impérissables…

 

De mon pays d’où j’ai connu la rencontre

J’aurais pu verser une larme

Qui serait tombée du pont jusqu’au fleuve

Pour abreuver la mer de nos sanglots

Si présents devant l’absence

De réponses de nos parois graves et transparentes

Et pourtant, je me trouverais bien lâche

En aplomb de la silencieuse raison de cette pente

Et pourtant si raisonnable

C’est toujours mieux que de s’y jeter…

Et pourtant… qui sait ce que me raconterait ma chute?

 

En tombant

Que me raconterait la mémoire

De ces pays que je n’ai pas connu

De ces êtres qui les peuplaient

De l’amour sincère que je n’ai jamais osé affronter?

De mes illusions sèches

Que je leur confrontai?

Que me diront mon père, ma mère

Mes amis, et ceux qui ont pu m’aimer

Sans que je daigne

Sans que je daigne…

Mon Dieu, si tu existais, tu ne me verrais même pas

Je suis si petit

Un petit grain qui de l’enfance soutire au règne des choses

Le droit de régresser jusqu’à la vieillesse

Sans peine, sans regret

Quitte à n’avoir pas vécu

Mais, s’il te plaît 

Avec au moins, dans le cœur 

Une illusion de sagesse.

 

21/09/2010 Bezons

 

 

 

Les cinq poèmes du chat noir

 

Complicité sereine

Complicité se reine

Et s’enfuit.

Si seulement je savais

Comment la retenir

Car j’aime

Voir venir

Et ne sais pas

Jamais

Franchir le pas

Et attend, les autres.

 

Complicité sereine

Et chanceuse d’être

Quand à distance, je refuse

La chaleur triste et diluvienne

Le partage de l’ombre

La fuite des apparats.

 

Complicité se reine

Car je sais ne savoir toujours pas

Pour me montrer simple

Ne pas penser

Me distinguer du roi qui isolé

Autour de lui isole

Chaque jour

Les complots à réunir

Esseulé.

 

Complicité sereine

À ma tartuferie féminine

Et à sa reine complice

S’illuminent les aubes de la vie nouvelle

Je recommence

Par le seuil

Bref…

Je pense à toi.

   

Parfois, j’aimerais pleurer

En français, en langue mienne

Ma langue natale

Mais je suis si injuste

Envers moi-même

Je ne sais pas pleurer.

 

Une amie, quelqu’un qui me comprenne

Quelqu’un qui me comprenne, qui puisse être pour moi disponible

Et pour qui je pourrais

Enfin, être disponible

Serait-ce là une telle injustice

Envers elle que j’admire?

 

Faut-il admirer d’ailleurs, où l’admiration peut gâcher tant le regard?

Parfois oui, parfois je regrette

Mais c’est ainsi fait

Et je me suis ainsi fait moi-même

Que je ne sais, toujours, lier, envers quiconque

Aucune amitié.

 

Ne subsiste que l’estime

Et un constat amer

Pour un amer bilan

Pour qui se targue de sourire au jour

Tel que je me targue d’être un être de lumière

Et qui ne suis qu’ombre et tristesse

 

Je suis seul, et cela aussi

Est vrai.

 

Accepter

Car il faut savoir

Prendre avec soi

Sa vulnérabilité.

 

Parfois

Je pense à la mort

Je pense à la lasse locomotive

Mettant à bas

Une batterie de charbon

Et je suis moi-même las

De cette noire cargaison.

 

Cela ne justifiait pas un tel carnage

Mais au-devant de la bonté qui encore surnage

J’allonge le pas, me précipite

En courant vers le couvent

Dénicher des hordes de hasards

Délivrer d’absents et rêveurs criquets

Et griller sous le feu d’une liberté idéalisée, et indécise.

 

Je suis fragile comme une jarre trop parfaite

Dont on aurait de trop loin poussé et poli les traits

En y oubliant au passage la couleur de l’aurore

Et la splendeur du couchant.

 

Je suis là, silence bavard d’un vieillard obtus

Qui, penché sur son testament

Dont on aurait dû taire les sacrifices égoïstes,

Se fait lui-même sa propre confidence

Pour se crier, dans l’incessant jugement de sa danse

Sur tous les toits.

 

Je suis l’injuste coagulation du noir sur le banc

Traître

Car je suis noir quand je joue

À me reconnaître dans l’autre

Comme un poison à l’appel du châtiment

Le défi lancé aux sourds de n’être

Moi comme je m’entends.

 

C’est tout un apprentissage

D’oser se montrer nu

Au-delà de son ventre charnu

Glissent au passage

Des nombrils qui éternuent

Leur suave complaisance.

 

Oui, c’est toute une vie

D’apprendre à être

Impudique, de se croire au-delà

De toute raison, de toute détresse

Juste soi

Impérieux.

 

Si Je veut se montrer honnête

Je doit avouer l’horreur de sa fonction

Car Je est l’emmerdeur des morts

Qui se voit plus qu’eux-mêmes, dans son rêve

Le sauveur des vivants.


 vendredi 17 septembre 2010, à 15:28

 

Aux illusoires du songe

 

Aux illusoires du songe
J’ai créé l’éternel de mots sans apparence
Depuis l’appartenance du temps
Jusqu’au dernier regret d’une grue aux cendres verdoyantes

Je me suis donné
Sans effort, sans triomphe
Sans dette

Si un jour on me demande
Combien il a été difficile de croire
Je répondrai que nous demandons à croire
En quoi croyez-vous?

Je crois en la continuation
Je crois que tant que l’on pourra avoir à dire «merci»
Rien ne sera totalement perdu

Et à qui dîtes-vous merci?
Dîtes-vous merci à l’hypothèse d’un monde heureux?
Le dîtes-vous au temps qui nous embrase?
Dîtes-vous merci aux heureux qui, à la lumière, s’embrassent?

Je dis merci à l’heure en effet
Car elle me rappelle que je suis là
Et nombreux sont ceux à qui nous pouvons encore demander
Et la silencieuse humeur du nord:

«Si jamais tu as été un ami sincère
Donne-moi l’heure de la voile
Car je suis seul désormais
Comme un garde-fou qui garde bien plus que sa propre vie
Mais un secret qui ne désespère
De n’être rien d’autre qu’une rumeur sauvage
Dans le temps qui n’existe pas
Et pourtant comme nous passons
Il passera
Car nous sommes là pour le regarder passer
Encore, et encore,
Veiller à ce qu’il n’en prenne pas ombrage».

11/07/2010

Matin sans son soleil

C’est l’ancre finale
Quand on a usé tous les artifices, tu sais
Qu’il est bon de partir

J’ai participé à des paix sans noms
Elle a disparue sous l’herbe et grasse est la tempête
Drôle de petit songe

Parfums de guerres
Goutte sur le front des hommes
Qui pensent pour ne pas penser
Qui aura de réponse assez brève
Pour les contenir toutes sans attendre
La vieillesse

Il est des personnes de sens et de raisons
Qui délivrent la roue libre avant l’horizon incertain
Par mesure d’économie

Il est des corps qui environnent l’indistinct
Pour se fondre avec le bonheur
Et le temps

J’avoue ne pas être, peut-être, assez sagement cuit
J’ai la fièvre jaune encore d’un sommeil patient
Le temps des réponses est pour le responsable une dette qui se partage
Et qui en ces temps partage la dette des pauvres en sauvetages?

J’ai assisté à des prêtres sans paroles
Des fenêtres sans brumes, sans encens
Des fêtes où l’esprit même ne s’en trouve qu’apaisé
Demandant plus, plus encore
Ne pas être seul
Ne pas être cheminant
Ne pas être là
Arrêter la machine d’un calme pendant de notre savante inertie

Prenons mot sur le sol et les semences
La moisson est une pluie pleine pour les jeteurs d’hameçons
Et je me prends toujours dans l’un d’entre eux en riant:
«Très bien! Je suis pris au piège!»
C’est tant mieux, c’est justice
Je finirai cuit point comme les autres
A point fermé, en sirène de bataille

Je crie, je siffle, je pointe, je hurle
Tapissée la tapisserie
Le mur de nos scrupules.


Dimanche 27 juin 2010 12h10

 

 

 

 

 

Inauguration

 

 

 

C’est fini

Il n’y a plus d’espoir

Il n’y a plus de temps

Il n’y a plus rien

Si je pouvais disparaître

Si je pouvais quitter

Si je pouvais partir

Ne rien laisser

Pas même la vague mémoire d’un passage

N’avoir pas été

N’avoir pas pu finir, pas pu commencer

Aujourd’hui, quelque chose meurt

Le cœur

Pour ne laisser que les mains

La tête

Et je serai vide de blessures

C’est fini

Fini ce nom

Fini de ce prénom

Ils sonnent depuis lors comme le grotesque, le ridicule

Le dérisoire

Les emprunts d’une naïveté touchante

De quelque chose qui a été à moitié fait, à moitié là

Un masque

Un masque mortuaire

Une personne

Ce nom est vide de sens

Il n’a jamais vécu

Il ne fit qu’attendre

Le moment de s’évider dans la raison

Et plus jamais

Il n’existera

Ne restera que l’absence

Un grand vide

Un grand trou

Une intimité qui s’enfuit

Un reste de chaos qui se résout

Se donne des ailes

À cette enveloppe

Pour que l’art s’échappe

Et que l’artisanat se mette en branle

Pour les espoirs d’autres qui s’ébattent dans le silence épais

De la brume

Oui, aujourd’hui, ce n’est pas un papillon qui renaît des flammes

C’est un oiseau qui s’élève, courbatu de tout

Dans la crainte de rien

Et tout entier certitude que, même abattu

Il restera à ces ailes de quoi accrocher à un trophée

Celui de la victoire de l’esprit humain sur sa propre folie.

Aujourd’hui où l’esprit et la vie scindés

Abandonnent une part de leur contradiction

Que l’esprit me quitte, et que la vie demeure

J’abandonne aux autres l’espoir de me juger

Comme disait l’autre

Je commence, commente, trempe la lame de l’humanité

Dans l’eau tiède de mes ulcères fatigués

N’étant pas digne d’être pauvre, je ne me plaindrai pas, certes

Je recevrai les flèches, je me pourvoirai de cibles pour les ricochets des balles

J’élèverai dès ce soir le front dégarni de nos idéaux

Et sur le tombeau aux fleurs fanées de nos valeurs

Je dis, dès aujourd’hui, n’espérez plus me toucher

Tannez la cible, tonnez la terre

Chassez à ma suite votre humble éclaireur

Je ne suis plus un homme

Je ne serai jamais un dieu

Mais le simple sacrifice

Du gibier qui est destiné aux hommes

Pour être abattu en plein vol

Dont la chute dessinera les lacunes d’un monde

Un monde que j’ai aimé

Un monde dans lequel je crois

Un monde que je regretterai

Mais jamais, oh jamais

L’illusion de la bonté

Seulement les faits dans la tourmente

Dus-je heurter, moi-même, à sa place

La terre d’où elle est née:

La bonté n’est pas pour moi

Question de droit.

Tuez à votre tour

Enterrez, chacun qui avez cru connaître

Celui qui a cru vous voir

Celui qui a cru vous regarder

Enfermé dans la cage d’une île emmurée

Le haut d’un phare à la visée duquel on voit le chemin

Dévissez de son trône la manière dont vous m’avez nommé

Prenez la garde de la naissance

D’un Oiseau de la Terre

Déployant des ailes

N’empruntant à l’albatros que la puissance

Et ne déchirant dans le ventre de la tempête que sa propre errance

Abandonnez, abandonnez celui que vous avez cru croiser

Abandonnez, libérés comme, d’une carcasse par des vautours

Régulateurs de la vie en notre endroit,

L’enfant qui déjà s’en est allé

Caillassant sa mémoire

Et contemplant une dernière fois, en s’éloignant

Cette humeur noire et chaude

Y voyant déjà naître les prémices

D’un vie décharnée, le squelette de la vie

Agiter des rumeurs dans le vent

Dans les convulsions d’une énergie impérissable

Agiter des serpentins d’idées éternelles

Comme le carnaval qu’on offre à ceux qui sont morts

À l’image de ceux qui ont vécu, à la mémoire de ceux qui naissent encore

À l’intention de ceux qui naîtront

Quittez, quittez la vision de restes moribonds

Ce qui nous attend est pire encore

Mais voyez d’en-haut

L’oiseau qui pleure

Et c’est de là que s’illuminera, peut-être, un jour

Une raison plus forte que nous seuls

La Joie de tout un ensemble

La Joie de nos croyances belles

La Joie de tout un espoir

Tandis que le faucon qui s’exécute dans sa descente

Et pèche dans la terre et dans l’herbe qui bouge

Récoltera et vous tendra comme une couronne

Serviteur loyal

Les rançons âpres et victorieuses

Les vitraux multicolores de nos cathédrales

Les rythmes incertains de nos mémoires actuelles

Les mélodies d’ivresses et d’oublis

Les rainures diluviennes de l’eau qui coule

Le long coulis de l’âme humaine

Sur l’écrin ganté de blanc

De notre incertaine Gloire

Qui toujours, encore et encore

Sur le front jeune des nouveau-nés

Se prend à rêver, et apparaît

Pour disparaître alors

Sur leurs ventres en un tâtonnement qui soudain s’alarme

Quand en tout vacarme, l’éveil du vide

Complainte éternelle, à nouveau

Leurs petits museaux courent

Au-devant des trésors affamés de leurs mères

Pour transmettre, de leurs tétons doux-amer, l’alcool enchanteur

Et dans un dernier et insouciant baiser

Plissent doucement les yeux vers les cieux bleus,

Où dans l’esprit tout puissant de la chair

Ils s’épuisent,

Puis soupirent

S’enroulent

Sur le seuil, puis le long du chemin

S’agenouillent, une clef à la main

Et le corps, le cœur et la voix

Tous pleins d’espoirs

Qu’ils lacent avec conscience

Avant que de décrier l’absence d’une Voix qui leur eut été fidèle

Leurs yeux qui jadis avaient contemplé les éthers

S’enferment dans leurs globes

Et c’est la fin des mystères!

Ils jettent des regards accablés tout autour d’eux

Et se jettent contre les arbres en priant que demain ne vienne jamais

Ils sont prêt à prier Dieu et à aimer l’air blanc qui les entoure

L’air transparent, l’air indigeste, l’air absent

Terrorisés

Et à deux yeux de la croyance suprême

 -C’est un délit que d’en arriver à un tel dilemme –

Ils ne s’agenouillent plus et n’osent plus prier

Et leurs yeux dans leur astre encore

Vers qui? pour quoi?

Non ils ne savent plus

Vers qui les tourner?

Ils sont jeunes encore, ils ont tord de croire que l’insouciance est rebelle

Ils sont jeunes encore, et notre cygne à nous

Sur le lac de l’espérance

Est bien vieux

Alors ils tournent, tournent encore les yeux

Se remettant à croire qu’ils pourront vivre aussi

Comme eux

Eux qui jadis ont passé

Eux qui ce soir ont passé

Eux, devant qui la chance d’avoir un monde se plie encore 

Et jusqu’au seul infini de la décision, fait signe de trois

Et dans une respiration une et retenue de tous

Sans jamais plus regarder en arrière

Se permet un dernier soupir

S’élance

Et roule.

11/11/2010

 À ceux qui entendent, je veux dire ceci, que la terre n’est pas l’astre vain du soleil, que nous ne sommes vains que par le désir d’être la lumière qui nous obsède. J’ai été trompé. J’ai cru. J’ai cru que tout pouvait se décider sur l’instant. Je suis fatigué. Fatigué de tant d’efforts utiles. Que changerai-je si je demeure une métamorphose dans la brume? Que ferai-je en brûlant le papillon de la nuit devant le loup, et le cèdre? Aussi petit que je sois, je vois l’éclat des êtres qui parcourent la vie, et sur le filin des chapiteaux orgueilleux, je vois des singes qui paradent… Voilà où nos ancêtres nous ont menés. Voilà où nous finirons, où nous finissons…

Quel téméraire orgueil, si je ne pouvais aujourd’hui prononcer ces mots si durs: « je ne veux plus ». Non. Aujourd’hui, tout simplement, ce soir, hier, demain, je ne veux plus. Ce soir, je veux être éphémère. Ce soir, je voudrais renaître papillon de nuit, et me résoudre dans le destin simple des chantres de la lune. Je veux me recueillir au parfum des louanges du soir, et caresser dans ta chevelure le doux frimas des espoirs du monde. Si je pouvais ne plus être parcouru, et traverser en nombre de battements d’ailes, plutôt qu’en foulées humaines… Si tout pouvait s’effacer, si je pouvais abandonner ma charge pour t’accompagner… je le ferais, sans hésiter. Si je pouvais tout quitter de ce qui m’appartenait, et n’appartenir plus qu’au silencieux oubli de la nature, je le ferais. Si je pouvais abandonner tout ce qui fait peur, et gagner tout ce qui émeut, tout ce qui est confiance absolue, absence de crainte ou de méfiance, je le ferais. Si je pouvais disparaître pour renaître dans une autre condition, je disparaîtrais. Si je pouvais être cet aveugle mouvement, agitant ses écailles de soie autour du plafonnier de ta maison, je donnerais tout pour que tu lèves la tête, que tu me regardes, que tu sois intriguée par mon ombre. Mais je ne le peux, et m’évanouir serait un gâchis, et un manque cruel de conséquence.

Tu sais que je t’adresse ces mots. Tu sais que je suis blessé de ne pouvoir te les dire en face. Tu sais que je suis las de ces parades virtuelles. Je suis las de ma lâcheté, et pourtant si vulnérable. Aujourd’hui, la vie me redonne ce qui était mien tout entier: ma blessure. Ma blessure honteuse. Ce flot contradictoire de deux énergies en perpétuelle inflexion commune: une humeur noire qui toujours plombe mes appuis, et qui crie contre la vitalité indomptable. Je suis un animal, il serait tant de l’accepter. Comme nous tous j’ai fait dériver cette innocence brute vers une avalanche de croyance. Et je reste néanmoins cet animal sauvage prêt à se rappeler à quelle forme il a dédié sa jalousie.

C’est vers des chemins sans compromis que je jète des cailloux sur le sentier, et si c’est pour ne plus jamais te revoir, je t’embrasse de tout mon imaginaire, et te dis encore, et encore, tout l’amour que tu ne saurais comprendre.

Tout ceci est réel. Nous partageons bien ce moment. Je suis bien là, debout, en train de vous parler. J’ai le visage grimé de noir, le torse nu, les couleurs à mes jambes. Je suis bien fou, et vous écoutez le fou comme s’il s’agissait d’une personne tout à fait ordinaire, banale… Mais si je meurs demain… Si demain, alors, j’arrête d’être, si soudain la force des évènements m’enlève à la vie… que deviendra l’espoir du garçon que j’ai été, que je suis, que j’ai porté, que j’ai osé ouvrir devant vous? Que deviendra ce quelque chose de vulnérable, cette sensation de ce qui va mal dans les augures à venir, et de ce qui pourtant est si bien lorsque je pèse le cœur de ceux qui vivent? Nous détruisons notre monde. Le monde que j’ai connu semble perdre espoir. Si je meurs demain, que vous dira encore la mémoire d’un moment de théâtre, qui n’est peut-être pas la vraie vie, mais qui au fond est porté par elle? Le théâtre n’est rien. Le théâtre est un tissu d’accords liés entre eux. Le théâtre est la manière d’aimer le théâtre, d’aimer la vie humaine, la vie consciente. Mais si demain la vie s’échappe, la vie s’en va, la vie sort de nos corps, que restera-t-il de ce moment que nous n’aurons su retenir? Saurez-vous retenir ce moment, en pensant très fort qu’il ne nous appartenait pas à nous, acteurs, mais à nous tous qui nous regardons faire et vivre, parce que nous n’avons que ça à faire: vivre. Nous sommes nés pour vivre et non pour mourir. Dès le premier instant nous avons vécu, tout le pendant nous nous serons vu vivre, et jusqu’à la fin nous nous porterons vivant, pour rester vivant dans le cœur de la mémoire de ceux qui vivrons encore et continueront à se battre pour ça. Le théâtre n’est pas anodin. Le théâtre n’est pas une question de corps de métier! Le théâtre c’est une question de vie ou de mort, parce que nous nous engageons à tenir tête, tous ensemble, à rassembler l’amour et la colère qui nous ont mis au monde pour vivre, corps et âmes, esprits. Nous nous engageons en tant que personnes, lorsque nous montons sur scène, et lorsque nous descendons de scène, et dès que nous rentrons dans l’enceinte d’un théâtre ou d’un espace dédié à l’art à la création artistique, nous engageons l’humanité entière dans notre qualité d’humain. Oui, chacun… L’humanité entière et son sens suivent chacun de nos pas à l’intérieur de cette enceinte… Parce qu’il s’agit de ça! Nous avons fait un choix. Nous avons choisi. Nous sommes là, ensemble, réunis pour nous sentir être et vivre. Nous avons eu le sens, nous animaux, de créer des espaces de considération et d’amour, de mesure de ce que nous sommes; des bêtes, perdues entre mille, des êtres vivants, à l’énergie inépuisable, des êtres humains, capables d’êtres bons, heureux, joyeux, et même vertueux! Et si jamais demain je viens à mourir, par accident, par infortune… je perds tout ça, mais aussi je sais pouvoir laisser aux autres, qui allongent dès à présent le pas, ma confiance, la confiance qu’ils continueront à lutter pour faire de ce monde un monde juste, à la hauteur de ces milliards d’espoirs.

C’est pourquoi le moment du Théâtre, sous toutes ses formes depuis la nuit des temps, est et doit rester le moment intense, fragile, extrême, radical, invasif, tendre, drôle, triste, responsable et exemplaire, de la solidarité entre les êtres d’une même espèce.

Au désespoir de trouver un jour une cause

J’appose une prière

Je suis las de porter en moi-même une rançon

Je suis las de t’attendre

Ô amour, délicieux et si tendre amour

Je suis fatigué d’être triste de toi

Fatigué de couler le long de ma colonne

Des larmes de falaises

Indéfiniment fidèles face à la mer

Qui depuis la fin des jours

Le sac et le ressac

L’aime et le savoure

Ce vieil Athénée

Déchire le flan de l’impuissant rocher

Qui depuis la nuit des temps

S’affaisse et s’incline

Sous la courbe insensible

Du soleil

Oh oui, je suis las, si fatigué

Épuisé par l’incessante vague

Déchiré par la plainte de tous ceux qui flanchent sous le poids

Ceux qui se croisent

Sans jamais oser se regarder

Serons-nous pareils à ces querelles intimes

Ces querelleurs étrangers, qui semblent se connaître?

Je ne peux prétendre à cela

Je ne peux même le souffrir

Je ne peux que ne pas te connaître

Tout au plus cela n’est pas un souhait

Au moins, une résignation

Je terminerai avant même de commencer

Et tu te tairas

Vers moi

Pour avancer.

07/12/2010

Scènes de théâtre

 

 

 

Celle de celui qui donne l’abricot

Jérémy Douville Ortega

 

(Entre une jeune femme poursuivie par un jeune homme. Ils tombent à terre. Elle lui résiste.)

 

  • Non! Lâche-moi!
  • Attends!
  • Laisse-moi!
  • Mais tu vas m’écouter!
  • (Lâche finalement prise. Ils s’embrassent, s’enlacent.) Non! Laisse-moi!
  • Reviens! (Il l’attrape par la cheville et la refait tomber. Il se jette sur elle et réussit à la bloquer.) Écoute-moi!
  • (Elle lui crache à la figure.)
  • Ah! Furie!
  • Obsédé!
  • Mais reviens donc! (Il la bloque ventre à terre, s’essuie le visage du revers de la manche. Finalement, il lâche prise et se relève.) Et puis merde, vas-y, j’ai pas envi de me battre.
  • Tu abandonnes si vite?
  • (Il s’assied sur un banc.) Comme tu dis.
  • (Elle s’assied par terre, se recoiffe.) J’aurais aimé que ça dure plus longtemps.
  • J’ai le souffle court.
  • Ce n’est pas juste.
  • Juste pour qui?
  • Pour tous les deux.
  • Parce qu’il y a un tous les deux?
  • Tu me harcèles sans cesse.
  • Je veux juste te parler.
  • Pour me dire quoi? Je t’ai déjà dit que je ne pouvais pas t’écouter. C’est ton problème. Cesse de me tourmenter avec ça.
  • Au revoir donc. (Il s’en va.)
  • Au revoir… Attends! Reviens!
  • Quoi?
  • À quelle heure est le dîner demain?
  • Je ne sais pas. Neuf heures?
  • C’est pas plutôt huit heures et demi?
  • Si tu le sais pourquoi tu me demandes?
  • Non mais c’est juste comme ça, moi j’m’en fous, je veux juste pas arriver en retard… ou en avance d’ailleurs. (Pour elle-même.) Je sais pas pourquoi je m’acharne…
  • Comment?
  • Non rien…
  • Bon. Au revoir alors.
  • Attends…
  • Quoi encore?
  • Tu veux pas rester un petit peu avec moi encore?
  • Bon, d’accord, mais pas longtemps.
  • Tiens, viens, mets ta tête sur mes genoux.
  • (Il s’installe.)
  • (Elle lui masse le visage, lui coiffe les cheveux.) Tu te souviens de ce que disait ma mère quand tu venais à la maison?
  • Oui…
  • Elle disait: « oh! Voilà encore le charmant garçon! » Elle était tellement fière…
  • Pourquoi tu me parles de ta mère?
  • J’sais pas… J’y pense, c’est tout. J’aime pas ce qu’on est devenu.
  • Qu’est-ce qu’on est devenu?
  • Trop proches… ou pas assez. Pourquoi tu as rompu?
  • Parce que je ne t’aimais pas.
  • Et pourquoi tu veux revenir alors?
  • Parce que je t’aime.
  • Tu vois que c’est toi qui n’est pas cohérent.
  • Et toi qu’est-ce que tu veux?
  • Moi j’en ai marre de m’en prendre plein la gueule.
  • Aïe! Tu m’as fait mal, attention!
  • Désolé, je l’ai fait exprès.
  • Et béh… bonjour la confiance.
  • Parce que tu me fais confiance?
  • Non, je n’ai aucune confiance en toi.
  • C’est pour ça que tu m’aimes?
  • C’est pour ça que je ne t’aimais pas.
  • Et tu m’aimes maintenant?
  • Je n’sais pas. Tu poses trop de questions. Je m’y retrouve plus. Je sais plus trop.
  • Moi je ne sais pas si je pourrais t’aimer un jour.
  • Pourquoi?
  • Je sais pas… Y’a quelque chose… On s’amuse bien, on fait un peu semblant, c’est touchant… Mais au fond, on recherche tous les deux quelque chose d’autre peut-être… je ne sais pas.
  • Ou quelqu’un.
  • Ou nous-mêmes.
  • « Deux perdus ne font pas un trouvé. »
  • Oui…
  • Sans doute…
  • Et toi, ta mère, elle m’aimait bien?
  • Oui, je crois…
  • Moi je l’aimais bien ta mère.
  • Je t’aime…
  • Moi aussi je t’aime. (Ils s’embrassent.)
  • Pourquoi on recommence toujours la même chose, les mêmes discussions?
  • Parce qu’on n’a que ça à faire. La vie est si longue en purgatoire…
  • Mmh… (Elle tripote ses cheveux. Il la regarde.) Mets-toi toute nue…
  • Pourquoi?
  • Parce que j’ai envi de te voir toute nue.
  • Moi aussi je t’aime.
  • Pff… Tu ne m’aimes pas.
  • On va pas coucher ensemble à chaque fois qu’on se fait l’amour avec des mots…
  • Et pourquoi pas?
  • Parce que… Je veux pas rester toute la journée à faire « aaah » la bouche ouverte avec la langue… Pourquoi on sort jamais?
  • Tu veux sortir?
  • Bien oui, c’est quand même étroit ici.
  • Mmh… On sortira…
  • Demain?
  • Si tu veux.
  • Ça veut dire jamais.
  • Ça veut dire si tu veux.
  • Ça veut dire que t’as pas vraiment envi de sortir.
  • Mais si, si ça te fait plaisir.
  • Non. Je veux pas sortir si t’en as pas vraiment envi.
  • Bon bah alors on sort pas.
  • (Guillerette.) Et quand est-ce qu’on voit tes amis?
  • Julien vient dans deux jours purger la chaudière.
  • On purge pas une chaudière.
  • Bien sûr que si.
  • Et puis j’ai pas envi de voir un plombier, je veux voir tes amis.
  • Julien est un ami.
  • Et t’as pas des amis qui sont pas plombiers?
  • Tu voudrais qu’ils soient quoi?
  • J’sais pas moi… chauffeurs de taxi…
  • Tous?
  • Peut-être pas… mais au moins deux ou trois, ils auraient des chose à raconter, et ils sauraient de quoi ils parlent! Et nous, même si on comprenait rien, on s’amuserait quand même de les voir s’entendre!
  • (Il sourit.) Peut-être. Mais j’ai pas d’amis chauffeurs de taxi.
  • J’ai deux amis informaticiens.
  • Oh…
  • Bah quoi?
  • Les amis informaticiens ça sent le renfermé…
  • Bien on les aèrera.
  • Toi t’es vraiment le plus chou! Je t’aime!
  • Oh et moi aussi! (Ils s’embrassent.) On fait l’amour maintenant?
  • Oh! (Elle se lève, le laissant tomber. Elle s’arrange les cheveux devant le public, puis jette sa brosse. Elle se met les cheveux en bataille.) J’en ai marre d’être une fille!
  • J’en ai marre, j’en ai marre! Tu sais dire que ça!
  • Toi tu sais pas! Déjà rien que si t’avais des seins et des règles, tu comprendrais!
  • Misère…
  • Je ne comprends pas… Je ne comprends pas comment les hommes sont faits… comment les femmes sont faites… (Elle glisse sa main sur son ventre, atteignant son pubis.) Pourquoi… la chair… jouit-elle? Pourquoi… le corps…
  • Pense-t-il?
  • C’est sûr que vu la taille de la tête d’un pénis, ça doit pas réfléchir beaucoup.
  • Et la votre alors!
  • Nous… Nous la tête de notre sexe est cachée… cachée… elle est tout l’intérieur… Le reste, ce qui est dehors… ce n’est qu’un cheveux… un cheveux d’ange…
  • Pff… Nous aussi c’est un cheveux d’ange…
  • N’importe quoi! Vous, c’est un poil! Un poil de je ne sais où! Vous savez même où il se trouve!
  • Hein hein… Très drôle. Allez, viens te rasseoir.
  • Non. Non moi je reste là, face au miroir. Je suis bien. Je me vois. Je suis moi. Je suis femme. Je suis belle parce que je suis femme. Et toi tu es beau parce que tu es homme… Et je l’aime bien ton poil… Mais toi tu m’énerves!
  • Oh! (Se vexe.)
  • (Courant vers lui.) Mais non! Toi, tu m’énerves parce que je t’aime, et je t’aime parce que tu m’énerves!
  • C’est bien ça qui m’chiffonne.
  • Pourquoi ça t’chiffonne mon bébé?
  • C’est toi l’bébé! (Il l’attrape et la renverse sur ses genoux.)
  • Ah! (Ils s’embrassent.)
  • Oh et puis! (Il se relève.) J’y vais, ça m’énerve.
  • Tu n’es pas drôle.
  • Pourquoi? Parce que je refuse d’être le chevalier servant de mademoiselle?
  • Non, mais parce que tu ne me crois pas.
  • Je ne te crois que trop. (S’habille pour sortir.)
  • Tu pars où?
  • En Angleterre.
  • En Angleterre? Pourquoi ça?
  • Mais non, niaise! Je vais voir Amed.
  • Oh lui, je ne l’aime pas.
  • C’est pas étonnant, avec ton éducation raciste.
  • C’est pas parce qu’il est gris que j’l’aime pas!
  • On dit pas « gris », ça s’fait pas.
  • Papa disait comme ça…
  • J’ai jamais aimé ton père. D’ailleurs, j’ai jamais aimé tes parents.
  • Et tu crois que j’peux pas m’améliorer? Tu crois que c’est parce que t’aimais pas mes parents que tu peux pas m’aimer? Je suis pas mes parents!
  • Non mais t’es quand même une sacrée petite peste!
  • Et toi un phallocrate crétin!
  • Petite garce!
  • Tête de turc!
  • (Il avance à grand pas vers elle, et la somme.) Je te somme de te taire!
  • On n’est plus au Moyen-Âge!
  • Non, mais on est encore en France!
  • Et bien la France ça pue l’cochon!
  • En France on a des valeurs!
  • En France y’a plus d’français!
  • Tais-toi! Tout citoyen français est français, quelle que soit sa couleur de peau!
  • T’es étroit! Ça veut rien dire la citoyenneté, on est tous égaux devant Dieu!
  • T’as jamais cru en Dieu, hypocrite!
  • Oui mais ça vaut mieux qu’une République à deux sous!
  • La République c’est tout ce qu’il nous reste!
  • Alors il ne nous reste plus rien! (Silence.)
  • Où en sommes-nous arrivés?…
  • Au point de non-retour mon chéri. Je suis une femme, tu es un homme, à quoi tu t’attendais?
  • À ce qu’on grandisse moins vite.
  • Et pourtant on est là, et tu brandis ton poing sur moi, tu ne sais plus de quoi tu parles.
  • Toi non plus, tu mélanges les plans. Politique, privé, affectif, étranger, qu’importe, tant qu’on se bat l’un contre l’autre, tout est bon…
  • Il serait tant que le monde change… (Petite pause.)
  • J’y vais.
  • Attends!
  • Quoi?
  • Aime-moi…
  • Pourquoi?
  • Parce que si tu pars, que me restera-t-il? Je ne suis pas faite pour dire que je suis seule alors que tu es là… Je veux que tu restes là… sil te plaît… S’il te plaît… pour l’amour de nous, aime-moi… J’en ai assez des mots qu’on use… J’en ai assez d’être seule même quand tu es là, simplement parce que j’ai peur de le dire… Aime-moi je t’en supplie… Ne soyons pas seuls…
  • Nous sommes seuls…
  • (Après un silence.) BATS-TOI! BATS-TOI! BATS-TOI DIEU DU CIEL! BATS-TOI!
  • Mais tais-toi!
  • Je te déteste!
  • (Il envoie valdinguer une chaise violemment.) MAIS CONTRE QUOI TU VEUX QUE JE ME BATTE! CONTRE QUOI?
  • Bats-toi pour moi! Arrête d’avoir peur!
  • J’ai pas peur! J’AI PAS PEUR! JE NE T’AIME PAS!
  • Alors bats-toi pour avoir peur! Salaud! (Elle le gifle. Il se jette sur elle. Tous deux tombent à terre. Elle se débat.)
  • Calme-toi! (Il arrive enfin à la bloquer. Moment d’arrêt. Ils s’embrassent.) Non! Je n’peux pas.
  • Alors c’est ainsi… On va toujours recommencer, encore et encore…
  • On n’y peut rien. C’est dans nos gènes, puisque Nietzsche l’a dit.
  • Ah… Nietzsche… La philosophie…
  • S’il faut choisir entre la philosophie ou l’amour, je choisis la philosophie.
  • Alors ce sera sans moi… Je te laisse faire le choix de vieillir seul. Moi je ne veux pas me battre contre toi.
  • Tu peux me battre.
  • Mais ce n’est pas un combat!
  • Alors c’est quoi?
  • Mais c’est l’amour bon Dieu!
  • Arrête de jurer! Et s’ils t’entendaient?
  • Et bien quoi? Bannis comme nous sommes, voués à recommencer, jour après jour, la même tâche régulatrice, le même cycle menstruel… Mais nous perdons notre sang, nous perdons notre sang dans nos batailles… Elles sont sans fin…
  • Nous vivrons.
  • Mais nous mourons déjà.
  • Tu donneras la vie.
  • Quel empereur es-tu pour m’en donner l’ordre?
  • Je suis moi.
  • Ah! Et quel moi impérieux!
  • Et quelle impérieuse volonté est la tienne! N’as-tu pas cherché à dominer l’absence d’homme dans tes bronches?
  • Et je respire un bien meilleur parfum depuis que tu es parti. Hors de ma vue!
  • Tu ne m’atteindras pas!
  • Je t’attendrais! Et si jamais tu crois pouvoir chercher à m’enfanter sans te battre pour me garder, tu te fourres le doigt dans l’œil!
  • Très bien! Rendez-vous dans une heure!
  • Fuis, guerrier volant! Fuis! On verra ce qu’il restera de toi quand tu reviendras de dehors! Fuis!
  • Je reviendrai.
  • Et nous aurons bien changé alors.
  • Que veux-tu dire sans cesse?
  • Je veux dire que nous sommes définitivement l’un envers l’autre.
  • Avec toi, plus rien n’est pareil.
  • Avec toi, c’est toujours pareil, il n’y a jamais de demain, alors ce n’est jamais pareil, ce n’est que toujours.
  • Tais-toi, tu ne sais plus ce que tu dis.
  • Et toi?
  • Moi, quand j’ai appris que tu ne voulais pas venir avec moi, j’ai cru que c’était pour rire, mais je le crois maintenant, tu ne veux pas quitter cet endroit, tu ne veux pas quitter ce flambeau qui se brise, tu ne veux pas quitter la ville abattue, tu ne veux pas chanter pour moi, tu ne veux pas chanter pour la vitalité de l’espèce. Tu ne chantes que pour toi-même, que pour ta tristesse.
  • Je suis ta muse.
  • Tu es damnation.
  • Nous sommes.
  • Tu es. Et je suis. Donc nous sommes.
  • Non, nous sommes.
  • Tu es épuisante.
  • Certes, je ne le serai jamais assez pour te suivre autre part, dans une autre vie, dans un autre espoir.
  • Alors suis-moi ici.
  • Je t’ai déjà demandé de m’aimer.
  • Tu ne m’as rien demandé du tout, tu m’as dit: « Aime-moi. »
  • Je t’ai supplié.
  • Tu as mendié, et la mendicité me répugne.
  • Je t’ai supplié de m’écouter être sincère. Je t’ai supplié d’être sincère. Je t’ai supplié de me regarder!
  • Tu m’as supplié de répondre à tes caprices.
  • Je t’ai supplié de répondre de notre histoire… Nous avons vécu des choses ensemble, beaucoup de choses… Ce n’est pas que physique ce que nous avons vécu, ce n’est pas sans issue… Dis-moi que ce n’est pas sans issue…
  • Et nous continuerons à en vivre, des choses que l’on pourra se raconter.
  • Tu n’écoutes que l’histoire… moi je te parle d’un monde sans histoire, un monde de passage, un monde du souffle, un souffle, un début, un pendant, une fin, et plus jamais d’absence, plus jamais…
  • Non.
  • toujours au moins la présence de soi-même dans l’autre…
  • Utopie.
  • Rêve.
  • Rêverie.
  • Concrète.
  • Arrivera-t-on jamais à nous aimer? (Elle se jette sur lui. Ils s’enlacent.)
  • Arrête de penser, toi! Toi! Toi! C’est toi! C’est toujours toi!… Sois! Sois Toi! Ce Toi que je vénère!
  • Ne me vénère pas!
  • Mais si!
  • Non!
  • Même si la terre se met à trembler, sois, pas pour toi, pour les autres. Sois, pour moi.
  • Alors ce sera peut-être pour moi quelque chose, en effet…
  • Te sens-tu mieux?
  • Non… Ou alors…
  • Je te regarde…
  • Bien mieux, merci… Mais il y a encore quelque chose.
  • Quoi donc?
  • Tu ne t’ennuies jamais de la vie que nous avions avant?
  • Mmh… Jamais! Et toi? Regrettes-tu encore le soleil?
  • S’il pouvait réapparaître, je lui dirais de fuir. S’il refaisait surface, je lui dirais de se cacher encore? S’il voulait t’enlever à moi, je lui trancherais les rayons, et m’en ferais des cure-dents…
  • Ah ah! Quelle folie ce serait!
  • Et pourtant… Nous savons qu’il ne reviendra pas…
  • En tout cas, pas sous la forme qu’il empruntait jadis au jour pour nous tromper…
  • Nous nous croyions vivants…
  • Il nous fallait perdre tout espoir pour vivre et vouloir vivre à nouveau.
  • Je crois en effet que parfois l’espoir nous écarte de l’action.
  • Aime-moi…
  • Nous ne vieillirons pas ensemble…
  • Embrasse-moi…
  • Nous n’aurons jamais d’enfants…
  • Prends-moi…
  • Nous ne nous comprendrons jamais…
  • Écartèle l’espérance…
  • Et pourtant, nous restons à jamais…
  • Unis…
  • Indissociables…
  • À l’image…
  • Quoi?…
  • De l’homme et de la femme, chéri… De l’homme et de la femme.

 

20/12/2010

 

 

 

Les noces du diable

Jérémy Douville Ortega

 

En un Acte.

(Tous deux entrent. Le premier s’assoit à un bureau.)

 

  • Bon… Que sais-tu?
  • À quel sujet?
  • N’avons-nous pas parlé longuement la semaine dernière?
  • Si.
  • Et bien? Que sais-tu de plus aujourd’hui?
  • (Il s’assied à une chaise à deux pas.) Et bien…
  • T’ai-je demandé de t’asseoir?
  • (Il se relève.)
  • Assieds-toi. Vas-y, je t’écoute.
  • Bien, j’ai composé le poème que vous m’aviez demandé…
  • Excellent! Puis-je voir?
  • (Il sort le papier de ses affaires.) Tenez.
  • « Des lueurs instables, il demeurait quelque clarté.De même, dans mon cœur, demeurait-elleCette étrange candeur, pleine de charité

    Et je n’avais pas de peine

    Mais c’était douloureux à voir

    Attristée de remord

    Comme elle pleurait. »

    C’est bien. Encore une de tes conquêtes? (Il rit.) Ah! Détends-toi, je n’suis pas si méchant, tu verras! Que t’a-t-on dit au juste à mon sujet?

  • Euh… On m’a recommandé à vous… mais on ne m’a pas dit grand chose…
  • (Il se retourne vers lui.) Ah bon? On ne t’a pas dit grand chose? Elle est bonne…. Ah oui! Elle est bonne… On ne prend même plus le temps de me tirer le portrait avant de m’envoyer un apprenti, jouvenceau, puceau, bien comme il faut, mais sans cervelle, manquant de tonus, d’énergie, de prestance! Mais somme toute, vous écrivez convenablement. (Il relit.) Oui… Oui oui… Bon! Alors, comment était-elle?
  • De qui, qui ça monsieur?
  • La fille, idiot! La fille qui vous a conseillé et envoyé vers moi! Comment était-elle?
  • Euh… bien…
  • Peuh! Bien! Eh béh… « Bien »… Bon, bon bon bon… Par quoi va-t-on commencer…
  • Et… mon poème?
  • Ah oui tenez, je vous le rends, merci. (Il se lève.) Bon… Et bien, levez-vous, levez-vous, ne restez pas comme ça, vous me faîtes de la peine. Bon, d’abord, tenez-vous droit, ouvrez la bouche… Oui… Dîtes: « Bien. »
  • Bien.
  • Mais non! Dîtes: « Bien. »
  • Bien.
  • Mais non, triple idiot! Et les guillemets alors!
  • (Ne comprend pas.)
  • Ah ah! Heureusement, vous avez de l’humour. Bon rasseyez-vous.
  • Mais…
  • Taisez-vous. J’écris. Vous remettrez cette lettre à cette… charmante personne qui vous a conseillé de venir ici, et je vous prie de ne plus revenir s’il vous plaît.
  • Comment?
  • (Relève la tête.) Je n’ai pas été assez claire?
  • Mais…
  • Mais quoi? Pourquoi? Vous voulez que je me justifie peut-être? Vous me jugez peut-être? Vous croyez qu’avec le peu que vous êtes, de votre petite vue, vous pouvez me juger peut-être. Rasseyez-vous! Qui a composé le Sacre du Printemps?
  • Igor Strawinsky.
  • Bien, restez assis. Vous commencerez par me dire, sans répétitions, en prenant des temps si vous voulez, pourquoi vous êtes ici.
  • C’est-à-dire?
  • Vous posez des questions?
  • (Silence.) Je m’apprêtai à traverser la rue, un jour… Il neigeait. Je n’étais pas vêtu convenablement, et le froid me pressait. En traversant, je n’ai pas fait attention, et une voiture m’a renversé… Je suis resté inanimé. Des badauds ont accouru, et à un moment donné, un clochard m’a recouvert de sa couverture… C’était un duvet avec des fleurs… Le pauvre homme est reparti, et l’ambulance m’a emporté avec la couverture. Quand j’ai pu rentrer à la maison, ma mère m’a demandé pourquoi je voulais la garder, elle semblait ne pas vouloir comprendre… Finalement, elle l’a lavée, et je m’en sers toujours. Je n’ai jamais retrouvé l’homme… Depuis, j’écris parce que j’ai mal souvent à cause de l’accident, ça calme la douleur…
  • Es-tu puceau?
  • Comment?
  • Es-tu vierge?
  • Mais… c’est bon, arrêtez…
  • Mais quoi chochotte, j’te pose une question!
  • Non, j’suis pas vierge alors foutez-moi la paix!
  • Oh tu veux jouer au plus fort!
  • (Il se lève en emportant ses affaires.) Merde! Je rêve! Si c’est comme ça!… Faut vous faire soigner!
  • (Lui attrapant le bras et le rejetant par terre, puis sortant une arme de son tiroir et fermant la porte de l’appartement à clef.) Couché! Tu voulais rester, tu restes! Alors, maintenant, assieds-toi je te prie. Tu veux rêver? J’ai dit assieds-toi!
  • (Il s’exécute.) Vous êtes taré, vous l’savez ça? C’est quoi votre problème?
  • Tais-toi. Faut qu’on cause toi et moi.
  • Causer de quoi? Vous savez que c’est de la séquestration ça?!
  • Et bien quoi? Vas-y, gueule! T’as payé pour un cours, tu veux un cours, moi je te donnes le seul cours que personne ne te donnera. Qui voudrait donner un cours à tel attardé, novice! (Il y a un silence.) Où es-tu né?
  • Qu’est-ce que ça peut vous foutre?
  • (Il arme son révolver.) Devine.
  • Je suis né à Paris.
  • Ah… un enfant de la ville…
  • J’ai vécu un temps à Nantes avec mes parents, puis on est revenu ici.
  • Que font tes parents?
  • Mon père est journaliste, et ma mère rééducatrice.
  • Tu veux dire qu’elle fait de la rééducation. Ah, les beaux métiers… Ton père est journaliste, où ça?
  • Au Monde Libre.
  • (Il acquiesce.) Ah… Eh béh.. Belle éducation… Certes, certes… Je comprends maintenant la mollesse éléphantesque… Ballot de pierres alors dans l’éléphant…
  • Vous êtes écœurant… Laissez les gens tranquilles.
  • Et bien pourquoi t’es v’nu?! Quand je t’ai posé la question, au lieu de me sortir ton mélodrame, pourquoi tu m’as pas dit: « pour voir ta tronche en vrai et pouvoir raconter à tout le monde que j’t’ai vu, un beau connard! »
  • On m’avait dit que vous étiez irrécupérable…
  • C’est vrai. Mais bon, comme dit le dicton: « personne n’est parfait. »
  • Ça c’est sûr.
  • (Il sourit.) Bah tu vois que tu commences à prendre tes aises. Bon, allez, raconte-moi un peu, qu’est-ce qui colle à la peau de Diderot?
  • La guillotine. Ou l’Encyclopédie.
  • Tu crois?
  • Vie ou mort?
  • Vie?
  • Mort. Diderot est mort.
  • C’est pour ça que ça lui colle à la peau? N’aurait-il pas pu donner un message de vie?
  • Je sais pas, et ta sœur? Oh, ça t’inspire?
  • Vous êtes toujours obligé de faire ça?
  • C’est moi qui tient l’arme ici. Allez. C’est pour ton bien. Si je te dis Rousseau?
  • Du Contrat Social.
  • Inégalité, différence?
  • C’est élémentaire jeune homme…
  • Inégalité sociale… différence… naturelle…
  • Croyez-vous que la différence soit naturelle?
  • Non. Je crois que nos différences sont… aussi…
  • Bah vas-y accouche!
  • Et bien, il doit bien y avoir une grosse part de culturel… de social… même si nous naissons tous différents.
  • Il y a donc bien une différence, qui se transforme en inégalité.
  • Sans doute…
  • (Le scrutant.) Mmh… Et… Candide… de quelle inégalité avez-vous peur?
  • Moi, peur? D’aucune…
  • Ah oui? Tiens, le mélodrame fait place à l’amour propre.
  • J’en ai assez.
  • Restez assis. Nous allons être ensemble pendant un certain temps. Mais peut-être préfèreriez-vous être attaché?
  • C’est l’arme ou le ligotage. (Silence.) Vous pensiez vraiment que ça sentait bon dans cette maison?
  • Je n’sais pas.
  • Seriez-vous capable de prendre cette arme, et de me menacer à votre tour?
  • (Il regarde fixement l’homme qui lui tend l’arme à feu.)
  • Allez. À ton tour gamin. C’est tout bête. Le mécanisme est simple. Il y a juste un détonateur, qui fait péter la poudre, qui projète une petite masse de plomb, qui percute tes os, ta chair, tes organes, et paf! C’est fini. Essaye, tu verras.
  • (Il détourne le regard.) Vous êtes fou.
  • (Satisfait.) Tu n’es qu’un gamin. Tu n’sais rien de la vie. Diderot, vie ou mort, pour toi c’est du pareil au même, tu es pendu comme une âme sans carotte.
  • C’est ça, et vous vous savez tout.
  • (Il passait sa main sous ce qu’on découvre être une perruque, sur un crâne chauve qu’il frotte d’un geste, avant que de replacer sa coiffe. L’autre n’a rien vu de cela. Sans doute le spectateur n’a-t il rien vu non plus.) Moi… J’en sais assez. (Silence.) Ta mère et ton père, s’aiment-ils, jeune homme?
  • (Gêné.) … Je suppose que oui.
  • Tu supposes?
  • Et bien… oui, je suppose que oui. Je suis pas non plus dans leur tête.
  • Alors c’est pas si folichon que ça chez toi dis-moi.
  • Qu’est-ce que ça veut dire?
  • Pourquoi tes parents ne s’aiment-ils pas autant qu’ils le voudraient?
  • Mais j’en sais rien moi, vous m’posez des questions là!
  • Bah tu devrais y penser grand bêta, parce que quand tu s’ras vieux et fini, tu t’les poseras bien un jour, mes questions à la con!
  • Chacun sa vie, j’peux pas tout faire à la place des gens! Mes parents, j’sais pas, et j’m’en fous!
  • Tu t’en fous? Ils t’ont mis au monde et tu t’en fous?
  • J’ai rien demandé!
  • Et tu crois que j’ai demandé quelque chose moi?! Hein?! Tu crois?! Non! Et pourtant je suis là! Je suis là et je refuse qu’on se laisse enfoncer! Alors défends-toi, bâtard! Défends-toi si tu veux vivre!
  • (Se lève brusquement.) Mais je veux pas vivre! (Il y a un silence.)
  • Ah bah voilà… (Il lui tend à nouveau l’arme. Le jeune homme s’avance d’un pas décidé, le saisit, et le point sur le crâne du maître, et en penchant son poids, découvre un peu la perruque.)
  • C’est quoi votre délire?
  • Tu vas t’asseoir maintenant?… (Silence.) Non non, garde-la, moi ça m’est tout à fait égal.
  • (Il se rassied, l’arme dans ses mains.) Vous êtes malade.
  • (Rangeant quelques papiers.) Physiquement ou mentalement?
  • Mentalement.
  • Certainement.
  • Vous n’avez plus de sens commun, de raison, de bon sens.
  • Possible.
  • Vous êtes livré à vos lubies.
  • Probable.
  • Que vous est-il arrivé?
  • J’ai lu dans vos yeux.
  • Lu quoi?
  • J’ai lu la peur.
  • Quelle peur?
  • La peur de nourrir la mort dans le sein des hommes, la peur de torde dans le poing le vagin des femmes, la peur de couper au ciseau la bite des pédés, les culs des trans’, les espoirs des idéalistes, le fric de la finance, les armes des guerriers, les instruments des tortionnaires… l’amour des jeunes gens… La compassion des gens mûrs… La sagesse des gens vieux. Peur de mourir voyons.
  • Je n’ai pas peur… J’aurais déjà dû mourir…
  • Et il y a longtemps que vous auriez dû vous rappeler que vous auriez déjà dû mourir, cela vous aurait évité d’atterrir ici.
  • Où ici?
  • Et bien ici, dans cet appartement, en ma compagnie.
  • N’ayez pas honte. Ça arrive à tout le monde de se tromper. Mais connaissez-vous le proverbe? « Tout vient à point à qui sait attendre. »
  • C’est-à-dire?
  • Vous avez peur, j’ai peur aussi. Nous sommes donc deux pétochards qui ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre. (Il retourne à ses papiers.)
  • (Se lève.) J’en ai assez de ce jeu. Tenez. Votre arme.
  • Entendu. (Il se lève à son tour.) Mais avant, j’ai quelque chose pour vous. (Il sort un moment, et revient.)
  • Qu’est-ce que c’est?
  • De l’espoir.
  • (Il ouvre le premier livre, le feuillette, puis de même avec le second.) René Char. Emily Dickinson…
  • Non.
  • Un résistant. Et une âme.
  • Je dois partir.
  • Adieu alors. (Il se rassied.)
  • (Il part jusqu’à la porte, puis reste bloqué devant.) … C’est fermé à clef.
  • Bien sûr.
  • Puis-je l’avoir?
  • Bien sûr que non. Sauf si vous me racontez la fin de votre histoire.
  • Quelle histoire enfin?
  • Celle qui a marqué le début d’une charmante et longue conversation.
  • Mais quelle conversation? Vous appelez ça une conversation vous! (Pas de réaction.) Maintenant c’est fini, stop, je joue plus, laissez-moi sortir! Laissez-moi sortir où j’appelle au secours!
  • Tous mes voisins sont sourds.
  • Comment?
  • Tous mes voisins sont sourds, et il n’y a pas de fenêtre, vous êtes dans un huis clos.
  • Comment?
  • Vous êtes dans un huis clos j’ai dit.
  • Au secours! Au secours! Venez me chercher!
  • Ah ah ah ah! Formidable! Vous êtes formidable! Vous êtes… vraiment… décidément très amusant…
  • (Il se jète sur lui et lui saisit le col.) Mais vous êtes taré! Donnez-moi cette clef! (Essaye de la lui arracher de la poche.) Donnez-moi! Vous me donnez la nausée! Donnez-moi ça! (Court vers la porte avec la clef.) Ah!
  • Ah ah ah ah!
  • Ah! Mais! Elle n’ouvre pas!
  • Ah ah! C’est verrouillé, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse. C’est verrouillé, c’est verrouillé.
  • (S’effondre à genou.)
  • (Se lève et vient le relever.) Mais ne désespérez pas voyons… Allez, ça va bien se passer. Vous allez régler les comptes, et ce sera fini. Tu as été un très vilain garçon n’est-ce pas? (Il lui sert un verre et l’invite à s’asseoir au bureau.)
  • (Prend le verre et boit, la tête lâche.) Très.
  • (De retour dans ses papiers, sur une chaise en biais.)
  • Je vais mourir.
  • Qu’est-ce qui vous fait dire ça?
  • Si je suis toujours là.
  • Ça ne prouve absolument rien… mais si ça peut vous rassurer, je vais mourir aussi, c’est indéniable.
  • Tss! Rassuré oui…
  • Tu t’attendais à quoi en venant ici, gamin? Sérieusement.
  • Je sais pas… Je m’attendais à ce que ça soit comme les autres fois…
  • Elle te manque?
  • Parfois. Quand j’y pense, oui. Ça me sert le cœur.
  • à moi aussi.
  • Je sais oui. C’était vraiment une fille…
  • C’était une femme.
  • Telle la liberté… C’était tout.
  • Et ça n’était rien. Du risque, celui du vent. Rien que le vent. Rien que de la poussière.
  • Vous ne pouvez pas dire ça, enfin, vous l’avez connue, c’était.. C’était ça quoi, il n’y avait même pas à forcer, il n’y avait qu’à se croiser, et on souriait et…
  • Et…
  • Et c’est vrai que c’était tout…
  • Tu l’as sautée?
  • Nan mais, vous avez pas honte tout de même! Elle aurait pu être votre fille!
  • Ma fille? Moi? Ah!
  • Bien quoi, vous n’avez pas d’enfants?
  • Et pour quoi faire? Pour leur laminer le cerveau avec notre monde, notre chaos? Pour les seriner d’absence? Non merci!
  • Vous êtes amer.
  • Et vous êtes jeune.
  • Mais on peut vieillir sans devenir amer.
  • Avec un peu de chance. J’ai connu des gens comme ça. De loin, de très loin.
  • Et vous n’avez jamais eu envi de les suivre?
  • Vous retournez l’interrogatoire?
  • C’est un interrogatoire?
  • Peut-être bien, que pensez-vous que c’est?
  • Une belle comédie. (Silence.)
  • (Il sourit.)
  • Vous êtes cruel.
  • Je suis ce que vous devriez être pour moi. La cruauté d’un miroir. La cruauté de l’humanité qui se regarde tout le long et n’est même pas capable de se diviser le nombril en milliards de parts. Je suis vous, mais vous n’avez pas le courage d’être moi.
  • C’est vous qui n’avez pas le courage de vivre.
  • Sachez jeune homme que ma patience a des limites, si ça ça peut vous rassurer.
  • La mienne aussi.
  • Qui pensez-vous tromper ici? Je vous rappelle que vous êtes chez moi.
  • Et j’y suis parce que je le veux bien! Vous ne me faîtes pas peur avec vos manières à la con! Gangster!
  • Ah ah ah! Oh boy!
  • C’est ça. Riez quand vous êtes touché. Vous ne savez pas avouer la défaite. Vous ne savez pas vous laisser toucher par les autres. Vous n’êtes qu’un tissu de mensonges vils et complaisants de prise de pouvoir. Forteresse!
  • Un être humain mon cher.
  • Non. Je n’crois pas qu’un être humain soit composé de ça.
  • Alors pourquoi voulez-vous mourir?
  • Il n’est pas composé que de ça.
  • Alors pourquoi voulez-vous mourir?
  • (Il se lève, et commence à marcher, avant que de se rasseoir au bureau. Il se relève, et se rassoit à sa place initiale d’étudiant, muet.)
  • Vous êtes devenu muet tout à coup? Votre côté chiffe molle est décidément le plus marqué. (Silence.) Vous pensiez vraiment qu’elle allait vous aimer?… (Il se lève et va vers lui, lui posant les mains sur ses épaules.) Oh… voyons… Les filles n’aiment pas les gars gentils… ça n’a pas de caractère, c’est mou, c’est descendant, c’est trop sincère, il n’y a pas de combat, et le monde aime les combats, et les filles qui se valent aiment bien les héros… sans vagues… bien consensuels…
  • Que fallait-il que je fasse alors? Que je joue? Que je me travestisse? Que je paraisse et me dénigre moi-même, dénigre les nécessités de ma personne, de ma vie, de mon comportement, de ma vérité!… De mon combat… Faux-semblants? Conventions? Bienséance contre convictions? Foutaise!
  • (Retourne près de son bureau, sans s’asseoir pourtant.) « Les périodes de paix sont les pages blanches de l’histoire. » Savez-vous qui a dit cela?
  • Non.
  • Hegel.
  • Acceptez. Elle ne pouvait pas aimer quelqu’un qui ne savait pas l’écouter.
  • Si elle m’avait laissé le temps…
  • Lui avez-vous laissé le temps vous-mêmes?
  • Sont ainsi faits les labyrinthes de l’affection…
  • La putain.
  • Redis encore une fois ce mot et je te tue. (Il y a un silence.)
  • Pardon.
  • Chacun fait ce qu’il peut. Alors un peu d’indulgence bordel. Personne n’est parfait.
  • Même pas vous?
  • Surtout pas moi. (Retourne à ses papiers, puis soudain prend une canne, et se jète sur lui en lui bloquant la mâchoire avec.) Je te briserais bien la mâchoire!
  • (Se débat.) Moi je l’aimais au moins!
  • Tu ne sais pas ce que c’est qu’aimer!
  • Vous ne méritez pas ceux qui vous ont aimé!
  • Tu ne mérites pas de vivre! (Le relâche brusquement, et retourne tranquillement à son bureau.)
  • (Se malaxant la mâchoire.) Donne-moi la bonne clef.
  • Bien sûr que non.
  • Donne-moi cette clef! (Il court la saisir et se jète sur la porte, essayant de la déverrouiller comme un forcené.)
  • Mais puisque je t’ai dit qu’elle n’ouvre pas!
  • Merde! Merde! (Retombe à genou, balançant de désespoir la clef sur la porte morte.)
  • Je ne vais pas venir cette fois.
  • S’il y a des gens qui passent, c’est bien pour que les esprits restent. On fait tourner… fait tourner la ritournelle…
  • Certainement.
  • Pourquoi?
  • Possible.
  • Je n’aurais jamais eu le temps de la récupérer, de la convaincre de mon innocence. J’ai tout gâché… Je n’aurais jamais le temps…
  • Probablement.
  • Je suis lâche.
  • Mais arrête gamin, tu n’es pas lâche, tu es jeune, c’est tout, tu as tout à apprendre. Tu n’as tué personne! Pourquoi te mettre dans des états pareils?
  • Parce que… ce n’est pas moral.
  • Ah… le sens moral… Connais pas.
  • (Il rit.) Ça… (Petite pause.)
  • Hé hé hé!…
  • Ah ah ah!
  • Hé hé!
  • Ah ah! (Ils se regardent.)
  • Hé hé hé!
  • Ah ah! (Ils éclatent de rire, puis, après un moment, se calment.) Ce n’est pas drôle, n’est-ce pas?
  • Non, en effet… Ce n’est pas drôle.
  • C’est même douloureux…
  • Oui… mais tu es obligé d’apprendre à attendre… c’est une… c’est une des dures lois de la vie en société… Il faut parfois savoir s’emprisonner dans le cœur pour laisser les êtres aimés vivre libres, et quelques fois apprendre à regretter…
  • C’est triste…
  • (Le regarde un instant, se lève, et vient lentement s’asseoir par terre, à côté de lui.) Je sais ce que tu ressens… Je connais cette solitude… (Il respire profondément.) Avant d’être ici j’étais moi-même très beau garçon, disait-on. On me vouait beaucoup d’admiration. J’avais… j’avais beaucoup de succès, et de conquêtes… Les filles, les femmes m’aimaient, des hommes m’aimaient, et j’aimais aimer toutes… ces femmes, les parcourir, les attendrir… persévérer avec elles. Mais voilà, la vie en a décidé autrement… la vie m’avait rendu… stérile. Voué à ne pas connaître la grâce d’une descendance, j’ai perdu… j’ai perdu tout espoir… J’aurais tué pour changer mon corps en glaise… pour retourner sur lui-même le sens de la vie… Mais la vie… la vie pour moi… ce n’était qu’un vaisseau humide et suant, un vaste amas de consciences qui s’évidaient devant moi, à mes pieds, tandis que je voulais crier le dégoût d’être un homme… Je regardais les femmes avec la plus profonde tristesse, je leur donnais l’amour le plus puissant qu’un homme ait jamais pu leur donner… Et puis j’ai rencontré celle… (Un instant.) et puis je suis subitement devenu vieux… tellement compris, tellement accepté par un autre être… que c’était comme si j’avais tout vécu… Ne demandant plus rien à la vie, après avoir tout gâché moi aussi, et ne trouvant pas de raison assez forte, assez morale, justement, pour demeurer quelqu’un… j’ai vieilli de la manière que tu me vois… (Il ôte sa perruque.) Malade. Cancéreux. Chimique. Cryogénisé. Dans l’attente d’un train de minuit. Dans l’attente d’un carrefour. Dans la poursuite d’un flambeau dans les ténèbres, des lueurs, des voix dans la brume, étrangères et familières. Ces voix communes… que je n’ai jamais connu… Je suis fini. Je veux finir. Je veux mourir. Non pas par désespoir… non… mais parce que je n’ai plus rien à faire ici. Je n’ai plus rien envi de goûter. Plus rien envi de sentir. Plus aucune chatte à lécher. Plus aucun plaisir qui soit une sagesse. Plus aucune féminité qui ne soit gâchée… Pestiféré… Diable… Néant. Me voilà perdu, pendu, et pourtant… c’est la seule véritable fois où je me trouve… C’est ma première nuit de noces… avec… elle… Liberté… Amérique…
  • Comment l’avez-vous perdue?
  • (Les yeux dans l’air.) Sais-tu combien de particules rivalisent pour s’accaparer, à chaque instant, un espace sur cette terre?
  • Non… Vous le savez?
  • Je n’en ai aucune idée…
  • Vous aimeriez le savoir?
  • Non… c’est bien comme ça… C’est très bien comme ça. Restons humain. N’essayons pas de tout savoir… en tout cas, pas si c’est pour laisser de côté ce qu’il est essentiel de ne pas quitter des yeux…
  • Quoi donc?
  • Celui qui a l’arme.

 

17/12/2010

 

 

 

Entrée

Jérémy Douville Ortega

 

(Un couple à table. Ils écrivent.)

 

  • Tiens…
  • Merci. Tu as fini?
  • Non, pas tout à fait.
  • Tu seras prête quand?
  • Je ne sais pas…
  • Dépêche-toi.
  • C’est bon, ne t’inquiète donc pas, ça vient… (Silence. Elle arrête tout.) Oh j’en ai assez…
  • Moi aussi.
  • Tu as reçu mon cadeau?
  • Oui, merci, il est très beau. Et toi, tu as reçu le mien?
  • Oui. Je t’envoie mes vœux.
  • D’accord. On s’enverra un peu d’amour aussi?
  • Si c’est possible, oui. Tu me l’enverras par mail?
  • Je sais pas. J’ai plus de crédit de toute façon.
  • Tu m’avais envoyé un sms hier.
  • Le dernier.
  • Bon… C’est bon à savoir. Tu m’enverras des fleurs?
  • Quelle définition?
  • C’est-à-dire?
  • Combien de pixels?
  • Je ne sais pas, combien de crédit il te reste?
  • Je ne sais pas trop.
  • T’as assez pour payer l’air au moins?
  • Des fois j’aimerais bien, mais tu sais qu’on a reçu une amende pour la dernière fois…
  • Oui… On n’aurait pas dû se laisser aller…
  • Non… Non non, en effet… Mais bon, on le saura pour la prochaine fois, je t’enverrai un baiser par courrier, c’est tout ce qu’il me reste.
  • Pff… On est pauvre cette année…
  • C’est à cause de la neige.
  • C’est à cause de toi, tu as trop dépensé.
  • Pour toi.
  • Oui mais j’en demandais pas tant…
  • C’est bon à savoir.
  • Tu le sauras pour la prochaine fois.
  • (Il s’arrête.) Oh, j’en ai assez…
  • Moi aussi.
  • Quand est-ce qu’on mange?
  • La question se pose en effet… Combien de temps il nous reste?
  • Ce crédit aussi, on l’a pas mal épuisé…
  • Pff… On est pauvre…
  • Et encore, on a de la chance d’être sous couverture créditrice, imagine ceux qui sont hors-circuit…
  • Oh mon Dieu, ils n’ont même pas de temps du tout!…
  • Ni même d’air!
  • Ou de fleurs!
  • Ou d’amour.
  • Au moins nous on a eu assez de crédit pour ça, mais du coup il ne nous en reste pas pour l’amitié… si? On en a ou pas?
  • Non… On n’en a pas.
  • Je croyais pourtant…
  • Tu l’as utilisé?
  • Tu l’as utilisé?!
  • Salaud! Et moi alors!
  • Mais! Béh, j’y peux rien! J’ai rencontré ce gars sympa sur mon réseau et… et voilà, j’ai pas vu le temps passer, ça m’a changé les idées, c’est tout…
  • Tu peux rêver pour que je t’envoie de l’amour par courrier moi!
  • De toute façon t’as plus de crédit courrier.
  • Comment ça?
  • Je l’ai utilisé pour écrire à ma mère.
  • Tu as utilisé mon crédit courrier! Salaud! T’as de la chance que j’ai plus de crédit contact physique sinon je t’aurais mis une gifle!
  • Hé hé… Tes gifles sont virtuelles à mes yeux.
  • Oh! Et tes fleurs sont d’une si basse résolution qu’un pétale est un pixel!
  • Comment oses-tu? Je les ai composées moi-mêmes!
  • Piètre programmeur! Pirate! Et si on se faisait prendre! Et si la brigade découvrait que tu m’as programmé des fleurs illégalement… oh! Ça veut dire que tu n’avais plus de crédit de crédit fleurs!
  • Oh…
  • À qui? À qui as-tu envoyé des fleurs?!
  • Chérie… tu vas user ton crédit colère…
  • Espèce de macho! Je t’ordonne de me dire à qui tu as envoyé des fleurs!
  • Mais ce n’était que des fleurs.. tu sais comme c’est facile…
  • Oh! Alors je suis facile moi?
  • Fais attention, on n’a pas assez de crédit pour un divorce…
  • Non, mais on en a assez pour que je ne t’adresse plus la parole.
  • Chérie?
  • Chérie… allez, c’était une blague… il me reste du crédit blague tu sais… si tu veux je te le donne.
  • Non. J’ai pas envi de faire des blagues. J’utilise mon crédit tristesse.
  • Bon… Tant pis, tu sauras pas de quel crédit il me reste encore…
  • Quel crédit?
  • Ah ah… mon crédit spécial…
  • Non… tu veux dire…
  • Oui.
  • Non!
  • Si!
  • C’est vrai?
  • C’est vrai!
  • On l’utilise?
  • Okay! J’utilise mon crédit spécial! (Rien ne se passe.)
  • Et… alors…
  • A pas?…
  • Je comprends pas…
  • Oh mince, j’ai été taxé là-dessus à cause des fleurs…
  • T’es nul… Je t’avais dit que j’en avais pas besoin…
  • Mais non les fleurs que j’ai envoyé à…
  • Parce que celles-la aussi étaient programmées?!
  • Euh… Non, mais…
  • Et à qui tu as envoyé les autres?!
  • Sur la tombe de notre ordinateur…
  • Oh… bon, et bien… il nous reste peut-être encore assez pour parler entre nous…
  • Je ne sais pas…
  • Non, tu…
  • Mathilde? Mathilde?
  • Oui? Qui êtes-vous?
  • Je suis ta mémoire-vive, Mathilde?
  • C’est quoi?
  • C’est le temps qu’il nous reste avant notre mise à jour… Ou en tout cas… J’ai un coléoptère coincé dans la gorge.
  • Et ça vous gratte?
  • Non. Et vous-mêmes?
  • Et moi-même? C’est correct.
  • C’est tout à fait correct.
  • Je suis heureuse.
  • Je suis heureux aussi.
  • Je suis pleine de crédit.
  • Je suis plein de crédit aussi.
  • Nos entités répondent parfaitement bien l’une à l’autre!
  • Je trouve aussi!
  • C’est merveilleux!
  • Partageons nos entités!
  • Oh oui! Vivons heureux!
  • Dans ce monde merveilleux!
  • Un deux trois!
  • Papa n’est pas là!
  • Je regrette monsieur, vous êtes sujet à une erreur système. Tout partage est abscons. Veuillez vous rendre au Service Après-Vente.
  • Oui maîtresse…
  • Oh… zut. (Elle crie.) Jean-Pascal!
  • (Un autre entre.) Oui maîtresse!
  • Ramassez-moi ça!
  • De quoi donc?
  • Cet poussière virtuelle, là, ramassez-la moi.
  • Veuillez m’excuser mais je ne comprends pas.
  • J’ai envi de vous demander de ramasser quelque chose de virtuel c’est pas si compliqué! Ramassez quelque chose de virtuel, je vous prie!
  • Mais comment fait-on au juste?
  • Mais vous êtes né dans le ventre d’une vache ou quoi?! Arrêtez de ruminer et ramassez-moi cette poussière!
  • Je vais chercher un balai.
  • Prenez ce balai virtuel. (Elle lui tend le balais virtuel.)
  • Vous êtes sûr que vous allez bien?
  • Oui, regardez André, lui il a compris.
  • Mais, il tourne en rond?
  • Oui, c’est normal, c’est une erreur système.
  • Bon, écoutez mon petit Jean-Pascal, entrez dans le jeu sinon je sens que je vais péter une durite… Allez allez!
  • Oui oui! (Il s’exécute, puis sort.)
  • Oh… je ne sais plus quoi faire d’eux. Je m’ennuie… André, arrêtez donc de tourner en rond.
  • Oui maîtresse. Que dois-je faire?
  • Restez comme ça, c’est très bien.
  • (Elle soupire.)
  • Puis-je dire un mot?
  • Non.
  • Une phrase?
  • Non plus.
  • Un discours?
  • Si vous en êtes capable. Parlez-moi de moi.
  • Alors? Vous avez perdu votre langue?
  • Je ne sais pas quoi dire maîtresse.
  • Et bien ne dîtes rien, ça vaudra mieux que tout ceci, qui n’est pas maintenant, et n’est pas à venir.
  • J’ai mal aux pieds.
  • Achetez-vous des chaussons.
  • C’est permis?
  • Vous êtes libre de les acheter. Vous avez du crédit?
  • Euh… non.
  • Tenez, je vous prête du mien. Venez, tenez.
  • Mais… il n’y a rien.
  • Bien sûr que si, c’est virtuel, vous le savez, je l’ai dit maintes et maintes fois.
  • Même votre autorité?
  • Bien sûr que non. Mon autorité est la seule raison qui fait du virtuel une donnée bien réelle…
  • Si vous ne comprenez pas, c’est normal, ça vous dépasse, je sais, c’est supérieur à vos capacités intellectuelles, votre entendement est doublement inférieur à la racine carré du mien.
  • Et ça veut dire dégagez. Ouste! Fi!
  • Oui maîtresse, nous vous sommes dévoués.
  • J’y compte bien.
  • Mais…
  • Mais quoi?
  • Vous êtes la seule à avoir de l’autorité?
  • Vous voulez dire ici?
  • Non… pas forcément…
  • Vous voulez chercher une autre maîtresse?
  • Il n’y a que des filles?
  • Hé! Jean-Pa’!
  • Comment, vous osez!
  • Il ne m’entend pas de toute façon, il n’entend que vous cet idiot! Mais moi, je vous dis… et puis non, je ne vous dis rien: je n’ai plus de crédit pour ça.
  • Mais, revenez! Revenez ici! Oh! Crotte!
  • Oui madame?
  • Non pas vous Jean-Pa’.
  • Croque-monsieur?
  • Entendu, mais sans œuf.
  • C’est un croque-madame.
  • Croque-madame ou croque-monsieur, tant qu’on me laisse ma présomption d’innocence… J’aurais au moins eu le droit d’y croire un peu… Je suis fatiguée… Il reste du crédit télévision?
  • Tant que vous voudrez madame.
  • Qu’y a-t-il à cette heure-ci?
  • Une émission sur les égos.
  • C’est bien ce que je craignais.

 

19/12/2010

 

 

Je veux m’accrocher. C’est un bateau qui vire, qui tangue, un bateau qui est ivre et qui s’enfouit dans le torrent des stupeurs tout à fait dicibles de nos allégeances polies. Je veux caresser un chien qui a soif, et lui parler de mon sort qui n’est rien, et qui est tout. Je veux lui parler du théâtre. Je veux le voir ne rien comprendre. Je veux lui souffler des mots amers, des mots émus, tendres et acides, sur le monde d’aujourd’hui qu’il ne connait que trop. Je veux le voir tirer la langue par compagnie, et je veux me sentir raffermi sur une position trop brute pour l’âge qu’ont les désirs qui me parcourent le soir.

Je veux me promener et me sentir suivi. Je veux que même la présence troublante d’un chien errant rende ce moment exceptionnel. Je veux rentrer dans une salle, et déranger une pièce, où le chien et moi tiendront un rôle entre le duo de Corneille. Je veux rire à ses côtés, me faire jeter comme un malpropre, et sourire enfin. Je veux finir dans la rue, assis à côté de ma compagnie nouvelle. Nous partagerons une boîte de sardines. Nous dirons que la lune est belle. Nous assiérons le beauté à notre table, et la reine des spectatrices sera pour nous une déesse fantasque et rêveuse, à qui nous louerons toutes nos paroles. Nous serons bénis, et comme nous n’aurons point été adoubés en salle, on nous prendra pour des fous, mon chien et moi! Mais tellement assis…

Que voulez-vous, c’est l’esprit moderne qui rode.

Phrases à tête:

C’est vrai, mais il vaut mieux être pendant que pendu.

Ce qui arrive parfois, c’est qu’il arrive à des gens d’être soupçonneux envers ceux qui leur disent: « j’ai un soupçon ». Répondez seulement: « un soupçon de quoi? ». Et ils attestent sans attendre la suite: « d’un zeste de citron ».

    • « Prendrez-vous du thé dans votre tasse?
    • Non merci, j’ai déjà bu ma cuillère.
    • C’est à n’y rien comprendre, je croyais justement l’avoir mise dans ma poche… »

J’arrivai chez Corine, je sonne, et là, je vois Pascal.

Passez à gauche au fond du couloir, et si vous voyez un sens unique, c’est là qu’il y a le stop, et si vous voyez le stationnement, c’est là qu’il ne faut surtout pas s’arrêter. Mais sinon tout va bien.

    • « Alors si je comprends bien vous êtes docteur… Docteur en quoi?
    • Comment?
    • Mais vous n’entendez rien?
    • Cependant, j’entends à peine, alors si vous voulez bien répéter…
    • Parce que depuis tout à l’heure je parle et…!
    • Là je vous entends oui, mais je ne comprends mot, cela ne correspond pas à ce que vous me disiez tout à l’heure.
    • … Laissez tomber.
    • Moi? Broncher sans cesse?
    • Je vous parlais de mon ulcère, mais je vois que rien n’y fait, vous n’écoutez pas! Or, écoutez, le voilà reparti!
    • Je vois bien, vous cherchez le mnémotechnique « mais-où-et-donc-or-ni-car »!
    • … Il nous manque le « ni » alors.
    • Ni vous ni moi ne le trouverons par ici.
    • Et que fait votre mari?
    • Hyppolite? DEVINEZ.
    • Ah… Des huîtres…
    • Quoi?
    • Bonne idée, mais que voulez-vous, personne n’est parfait. »
    • « J’abrite un sans-abri.
    • Quoi? Vous voulez rire! J’habite un cabriolet deux portes!
    • Est-ce qu’au moins la peinture est rouge?
    • Rouge??? Mais pourquoi rouge?
    • Parce que tant qu’à faire, vous auriez pu vous venter d’avoir de l’esprit.
    • Et alors, quel rapport avec le rouge?
    • Mettez votre langue dans votre voiture rouge et vous verrez bien si ça goûte du piment.
    • Mon pauvre, vous êtes complètement déglingué!
    • M’en fous, moi, au moins, je suis moral.
    • Moral de quoi? Vous êtes même pas foutu de vous tenir devant moi de trois quarts, alors que moi-même, je me tiens devant vous débraillé comme un cochon! Si vous avez de la morale, ayez au moins de la noblesse, considérez-moi comme un cochon!
    • … Très bien… (Il se tient de trois quart.) Vous êtes un cochon.
    • Ah bah ça!
    • Cochon qui s’en dédie en plus.
    • Ah elle est bonne, elle est bonne!
    • La Dame de chez Maxime, Feydeau, plagiat, trois cents ducats…
    • Pour votre clochard?
    • Pour moi.
    • Et pourquoi donc?
    • Parce que.
    • Parce que quoi?
    • Parce qu’un cochon, ça coûte cher. »
    • « Monsieur! Monsieur! Les acteurs ne sont pas prêts!
    • Comment, vous voulez rire?
    • Non non!
    • Que disent-ils?
    • Attendez…
    • Plus fort! Je ne les entends pas!
    • Ils disent… Ils disent qu’ils veulent… qu’ils veulent… des abats d’oies Monsieur.
    • Des abats d’oies? Mais ils sont ivres! Que disent-ils d’autres?
    • Ils disent… ils disent qu’ils veulent… les ailes des tournesols fanés de l’année dernière… et un coquelicot symbolique!
    • C’est la panique! Et bien! Moi qui m’attendais à ce qu’ils demandent une hausse des reversements…
    • Et une hausse des reversements!
    • … Au moins, ils n’ont pas demandé un bon spectacle.
    • … (Ils se regardent.) »
    • « Geneviève.
    • Jeanine.
    • Cela faisait longtemps.
    • En effet. »
    • « Et sinon, je parie qu’il y aura du gratin ce soir.
    • Carré d’as!
    • Mistigri!
    • Le froufrou d’mad’moiselle Champagne…
    • Oh vous m’donnez faim…
    • Tais-toi. On est combien, on est quatre?…
    • Huit de carreau.
    • Giselle au tableau!
    • Hop hop hop!
    • Bon allez stop là!
    • Tu crois qu’elle viendra?
    • Je crois surtout que…
    • Tais-toi!
    • C’est ça, dès que j’veux en placer une…
    • Une prune!
    • Un abricot!
    • Pô pô pô!
    • Et sinon on fait quoi?
    • Quoi, si elle vient pas?
    • Elle viendra.
    • Qu’est-ce t’en sais?
    • J’en sais rien, j’le dis, pis c’est tout, après on verra.
    • Mouais…
    • Les mains sur la table!
    • Et ta soeur!
    • Qu’est-ce qu’elle a ma soeur!
    • Elle est plate comme une limande!
    • Grosse comme une chèvre irlandaise!
    • Elle est bizarre…
    • C’est bon, arrêtez là…
    • Pom pom pom pi…!
    • On connait!
    • Dix de trèfle!
    • Croix d’bois, croix d’fer!
    • Si j’mens, j’vais…!
    • Oh, la voilà!
    • Où ça?!
    • Où ça?!
    • … Ah non c’est pas elle.
    • Oh…
    • Pfff!…
    • … J’ai vu une chèvre irlandaise une fois…
    • Ah ouais?
    • C’était pas beau à voir.
    • Tu m’étonnes…
    • Ah ouais…
    • Ouais… (Silence.)
    • … Ça r’semble à quoi?
    • Ah r’gardez la voilà!
    • En vrai?
    • En vrai!
    • Vrai de vrai?
    • Nan en paille.
    • Ah ouais! La voilà! J’la vois!
    • OH…
    • J’avais jamais vu une vache écossaise aussi bien fournie!…
    • Tais-toi imbécile! C’est une vache Américaine!
    • Mais non! C’est la Vérité!
    • C’est quoi la Vérité?
    • Mais je sais bien qu’c’est la vérité c’que j’dis!
    • La vérité c’est…
    • Mais non! C’est la Vérité!
    • Bah oui…
    • Quoi?
    • La Vérité, c’est beau comme une vache écossaise…
    • Américaine!
    • Quoi qu’il en soit, elle prend son temps.
    • C’est qu’ça mange ces bêtes-la…
    • Bah laisse-la, si elle a envi.
    • C’est qu’t’as pas le quart de la moitié du commencement d’une once de vérité dans ta bouche, tu sais pas c’que c’est, toi, d’être Vrai.
    • Un peu qu’j’suis Vrai!
    • Et moi? J’suis vrai moi aussi?
    • Et toi, t’as les dents en purée d’maïs? Pourquoi tu dis rien?!
    • Moi j’connais la vérité!
    • Oh l’autre eh!
    • C’est qu’elle a de grandes guiboles…
    • Laisse-la, elle, elle a pas des mamelles en papier, comme ta femme, au moins!
    • Mais ça va pas!
    • J’sais pas mais elle a l’même regarde qui tangue…
    • Arrête, tu m’fous l’mal de mer.
    • Eh!
    • Et mercredi on fait quoi?
    • Si personne ne s’dévoue pour me tailler une part de rumsteak, j’crois qu’on va bientôt pouvoir faire notre beurre avec du lait d’chèvre.
    • Une irlandaise?
    • Ah… la beauté, elle est belle comme du lait d’chèvre…
    • Quinze de coeur!
    • T’as vu ça où? Au Pays d’Galle!
    • Banane!
    • Banane…
    • Regardez! Elle se barre!
    • Oh la vache!
    • Tais-toi l’autre!… Voilà, elle revient…
    • … Ah non.
    • Bon, on fait quoi?
    • J’en suis complètement chèvre!
    • Ouais, ça m’scie.
    • Pierre qui roule…
    • Taisez-vous, j’suis lessivé.
    • … Les os d’lapin c’est très dangereux vous savez. Ça tue son homme!
    • Ça va! On n’est pas des chiens!
    • Neuf de poule!
    • Cuisse de canard!
    • Aile de poulet!
    • Coin coin!
    • … Jean-Charles…
    • … Bah quoi?
    • Si tu t’y mets on va jamais en finir.
    • Bah si les vaches écossaises se mettent à faire du lait d’chèvre irlandais, moi j’peux bien faire la truite norvégienne!
    • … Tant qu’tu nous fais pas le bison espagnol.
    • Il a des cornes en carton lui au moins?
    • J’sais pas, mais si tu veux mon avis, on n’est pas prêt d’voir le bout d’notre partie…
    • Allons enfants de la… Bon okay…
    • La r’voilà! La r’voilà!
    • … Na… ça, c’est un tupper ware géant…
    • Faut quand même savoir faire la différence!
    • … Pourquoi faire?
    • Bah, si jamais tu t’retrouve en face d’un tupper ware géant, vaut mieux pas qu’tu l’prennes pour une vache écossaise.
    • Ni un bison espagnol.
    • Et vice et versa!
    • De l’eau dans la parqua…
    • Bah! Avec toute notre cuisine depuis tout à l’heure, le grand patron a voulu faire de l’esprit j’suppose…
    • … C’est impressionnant en tout cas…
    • Mmh… ça manque un peu d’couleur…
    • Et de distinction.
    • C’est sûr que toi avec ton corsaire…
    • Est-ce que ça veut dire qu’un corsaire, c’est beau comme un tupper ware irlandais?
    • As de trèfle!
    • Grive égyptienne!
    • Oh l’autre!…
    • L’Amérique!
    • PIRATE!
    • Et l’Amérique, c’est bon comme du poisson…
    • ARRÊTE!
    • Y’a pas d’arête dans l’bifsteak.
    • J’deviens chèvre…
    • Suisse?
    • Et la marmotte?
    • Quelqu’un a un marteau?
    • Tiens.
    • Merci.
    • Mesdames, messieurs! Je vous présente: le TUPPER WARE!
    • Qui ne dit QUE-LA-VERITE!
    • Oui Monsieur!
    • Dîtes-moi Mr. Tupper ware, êtes-vous soucieux du détail qui nous échappe?
    • Tout à fait! Je dirais même qu’il s’agit d’un problème épineux!
    • Comme une rose?
    • Comme un artichaut!
    • Non, comme un pigeon à épaule grossière.
    • Pourquoi?
    • Parce qu’ils grossissent de l’épaule tout simplement.
    • Laquelle?
    • La gauche.
    • Comment?
    • La droite.
    • Vous avez dit la gauche.
    • C’est vrai.
    • Mais alors?
    • Alors c’est la droite.
    • Comment?
    • Est-ce qu’il a les dents en épis de maïs?
    • Euh… tout à fait!
    • Pourquoi?
    • Parce qu’il parle à l’envers.
    • Pourquoi?
    • Parce que l’endroit l’indiffère.
    • Lequel?
    • Celui où vous vous tenez.
    • Qui?
    • Vous.
    • Moi?
    • Oui, vous. Condamné, jugé, dégrisé, au bucher! Allez hop! Cas suivant!
    • Ouah… Un procès, c’est beau comme du roquefort allemand…
    • C’est pas du jazz?
    • Tiré d’une chèvre écossaise?
    • Non, irlandaise.
    • Ah moi qu’elle ne soit espagnole…
    • Bon, retournons à notre partie.
    • Ouais c’est vrai…
    • Ouais, c’est vrai, au final, il n’est jamais question que de vache et d’cochon.
    • Ouais, c’est vrai.
    • Et dire qu’un instant, j’ai cru que tout allait mal.
    • Ouais!… Ah ah!…
    • Bridge!
    • Poker!
    • Tout l’monde par terre!
    • Ventre à l’air!
    • Est-ce qu’un jour, un fois, dans votre vie, vous arriverez à vous décider?
    • Bah on est pas si mal, au final.
    • Misère… »

05/12/2010

L’archer

L’archer devant la lune

Pliant, jetant à ses regards

La grise

L’infortune

Sans gémir, ni d’ailleurs se plaindre

Caresse l’arc de ses chaleurs

Délie son phrasé

Dur, non des moindres

Sensible, depuis toujours

À viser son âme s’occupe

Et le voilà qui hurle en pensée

C’est un chant de guerre qu’il songe à lancer.

Une flèche d’or

À son cœur soudain

La douceur prit une couleur

Et sur le dos de la couleuvre, alors il se souvint

Que pour étrangler l’herbe innocente

Sous le roulis de ses manœuvres

Il chante, chante encore

Qui sait, saura-t-on jamais

Quand celui-ci, ou celui-la

Sera mort?

Mes amis

Mille choses encore, j’aimerais vous lire

Cent fois, pour vous annoncer

Que cela finit avec justesse

Avec honnêteté.

Mais à tout va ils partent

Et je reste

Retrouvons-nous à la fin des oraisons célestes.

31/01/2011

Déclencher l’invraisemblable

Il n’y avait que le vouloir

Déclencher l’invraisemblable

Et quand les dés purent être jetés

Il n’y eut que le silence

Du pendant jusqu’au couché

Dérivant sur les couleurs insoupçonnables

Du temps échancré

Que l’on attend.

À la larme du vase

Quand la décision

La main, presse le devenir

Vers l’avenir incontrôlé.

 

Je n’avais aucun mot

Te faire parvenir l’essentiel

Oh non jamais…

Y parvenir non plus…

 

C’est pourquoi tu restes là

Et je me concentre

Pour pouvoir à mon tour

De ma vision défaillante

Redessiner tes traits.

25/09/2010

Juste

Il est juste pour moi

De ressentir cela aujourd’hui

Je contemple ces anciennes photos

De souvenirs déjà anciens

Et je me rends compte

Alors

C’est ici

L’enfant que j’ai été

Je le vois

Et je me rappelle l’avoir été

J’ai été cet enfant

Et je réalise

Enfin

Ne plus pouvoir

L’être jamais.

01/02/2011

Clémence Ortega Douville

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